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Théâte de Vidy-Lausanne
Vidy-Lausanne : “Passion selon Jean“

Rencontre avec Olivier Cruveiller et Paul Minthe, comédiens de ce Mystère pour deux voix poétique et truculent.

Article mis en ligne le mars 2008
dernière modification le 22 mars 2008

par Laurent CENNAMO

Du 21 février au 9 mars, le Théâtre de Vidy présente Passion selon Jean, une pièce de l’auteur italien contemporain Antonio Tarantino (né en 1938), dans une mise en scène de Jean-Yves Ruf. Rencontre avec les comédiens de ce Mystère pour deux voix poétique et truculent – proche de l’univers d’Artaud mais aussi de celui de Laurel et Hardy – Olivier Cruveiller et Paul Minthe.

Sculpteur, poète, Antonio Tarantino est également un auteur de théâtre à découvrir. Il est édité en France aux Solitaires Intempestifs. Quant au metteur en scène Jean-Yves Ruf, il est directeur de la Haute école de théâtre de Suisse romande.

« Mystère pour deux voix » : c’est le sous-titre qu’Antonio Tarantino a donné à sa pièce, Passion selon Jean. De quoi s’agit-il exactement ?
Paul Minthe : Historiquement, nous sommes dans l’Italie des années 70, au moment où on transforme les asiles de fous en hôpitaux psychiatriques. On assiste à la journée d’un patient, Moi-Lui, et d’un infirmier, Jean, dans la salle d’attente de la Caisse des pensions et des retraites. Moi-Lui est un schizophrène, il est le siège d’une personnalité éclatée : en même temps qu’il vit dans la dimension horizontale de l’hôpital - avec ses camarades, les infirmiers et les médecins -, il s’identifie à Lui, c’est-à-dire au Christ. Il revit intimement les épisodes de la Passion du Christ : le procès devant Pilate, le calvaire, la crucifixion... Selon Moi-Lui, l’infirmier est aussi l’apôtre Jean qui témoigne de la Passion du Christ. Et en effet, cette corvée administrative dans une salle d’attente va progressivement se transformer en une sorte de chemin de croix, d’où le comique n’est cependant jamais évacué. C’est l’histoire de ces deux hommes seuls, abandonnées par la médecine institutionnelle et dont les voix - tout en étant séparées – vont se mêler, se nourrir l’une de l’autre, que nous raconte Antonio Tarantino.

Jean-Yves Rüf
© Mario Del Curto

Quelle langue utilise l’auteur pour parler de la folie, de la schizophrénie ? Peut-on parler de cela ?
Paul Minthe : On parle formidablement de cela. Ici, la langue de Tarantino se fait très précise. Moi-Lui s’exprime en vers, dans un langage poétique très rythmé ; quant à Jean, ses paroles sont plus pittoresques : il utilise un grand nombre d’expressions, tirées soit du milieu hospitalier, soit du dialecte de la région de Brescia. Le texte est constitué de petits monologues, ou « chants ». Au total, cela donne une langue qui roule, très belle.

Olivier Cruveiller : Oui, le sujet principal chez Tarantino, c’est la langue. Le principe itératif est proche d’une certaine poésie contemporaine, notamment celle de Gerhasim Luca. Des parallèles avec Antonin Artaud sont également possibles, que ce soit dans la poésie ou l’appréhension du monde. C’est cette confrontation des langues qui fait naître la poésie et le théâtre.

Quelles difficultés avez-vous – éventuellement – rencontré dans l’approche de ces personnages et de cette langue ?
P. M. : Ici la langue constitue 80% de la mise en scène. Nous nous sommes immédiatement rendus compte qu’il fallait à tout prix être très précis, apprendre tout par cœur, que c’était la seule manière d’être proches des rôles. Le texte est construit sur un système itératif : si une phrase est répétée quatre fois, il faut la dire quatre fois, et non trois. Même si nous sommes dans un univers psychiatrique, il ne s’agit nullement d’un théâtre exalté : c’est la langue qui est porteuse de cette folie, ce n’est pas à nous de la jouer ou de la mimer. Il est nécessaire d’être sobre derrière cette langue ; jouer « avec les yeux qui touchent le ciel » serait ridicule.

O.C. : En effet, il ne s’agit pas pour l’acteur d’ « être fou », nous n’effectuons pas un travail documentaire. Le fou est une personnalité éclatée ; le rôle de l’acteur est en revanche de rassembler. Le difficile ici est de faire entendre un langage abîmé, altéré, inhabituel. Tarantino n’est pas un auteur qui aide à la lecture ; une situation éclatée se déroule devant nos yeux, et notre travail d’acteur – passionnant – est de recréer une forme de dialogue.

Comment s’est passée votre rencontre avec Jean-Yves Rüf ?
O.C. : Je l’ai rencontré quand il a monté Silures. Ce spectacle était remarquable dans son travail poétique, c’est pourquoi Paul et moi avons très vite pensé à lui. Jean-Yves Ruf est selon moi un des meilleurs metteurs en scène de sa génération. Par son souci de faire du théâtre un lieu de poésie, il me fait beaucoup penser à Georges Lavaudant. Pour ce qui est de la mise en scène, Jean-Yves Ruf a opté pour la simplicité : un lieu unique – malgré que le texte soit en réalité un voyage –, dépouillé, et un très gros travail sur le son et la lumière : tous ces lieux qui n’apparaissent pas seront ainsi suggérés par ce moyen.

Propos recueillis par Laurent Cennamo

Au Théâtre Vidy-Lausanne jusqu’au 9 mars 2008
Réservations : 021 619 45 45, www.vidy.ch