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Orchestre de Chambre de Lausanne
Entretien : Patrick Peikert / OCL

Portrait de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, qui est au meilleur de sa forme.

Article mis en ligne le mars 2007
dernière modification le 16 juin 2007

par Eric POUSAZ

L’Orchestre de Chambre de Lausanne vole de succès en succès. Ses disques trouvent un accueil chaleureux du côté de la critique comme du public, ses tournées se multiplient - l’ensemble était au Théâtre des Champs Elysées de Paris début janvier - et surtout, le public, fidèle de saison en saison, remplit à plus de 85% la salle du Métropole lors des deux séries de concerts
d’abonnement, ce qui représente tout de même près de 1900 abonnés...

Ce succès n’étonnera pas ceux qui suivent les diverses activités de l’orchestre depuis longtemps. En effet, la formation a trouvé depuis quelques années le parfait équilibre entre ses diverses activités symphoniques et lyriques, ainsi que ses nombreux rendez-vous de musique de chambre ; elle garantit ainsi bon an mal an un niveau de qualité que pourraient lui envier d’autres ensembles plus connus et chéris des maisons de disques, comme l’attestent les nombreux commentaires élogieux glanés lors des concerts donnés dans le cadre de tournées internationales.
Ces raisons paraissaient suffisantes pour essayer d’analyser les recettes d’un tel succès avec l’administrateur de l’orchestre, M. Patrick Peikert. A ses yeux, les raisons d’un tel essor sont diverses. La première étant naturellement le déménagement de toutes les activités musicales au Métropole.

Une salle digne de ce nom
Le travail de l’OCL a gagné en lisibilité et en qualité le jour où les musiciens ont pu entrer dans leurs murs, soit en 1995. Les premiers mois furent assez émouvants : la salle n’avait pas été utilisée pendant plus de cinq ans, des pigeons nichaient dans les coins, le mobilier se trouvait dans un état lamentable, bref : tout sentait le provisoire. Et pourtant, dès la première répétition, le charme a opéré. L’acoustique est idéale pour un ensemble d’une petite quarantaine de musiciens et permet d’aborder tous les répertoires. En effet, la musique baroque sonne bien dans cette salle, alors qu’au Théâtre de Beaulieu, elle se perd dans l’immensité du lieu ; quant aux partitions romantiques, abordées avec un effectif réduit, elles s’accommodent mal d’une acoustique trop sèche qui n’a jamais eu les qualités de celle de la Maison du Peuple, détruite en 1950, où l’orchestre a fixé ses premiers rendez-vous au public sitôt après sa création. Travailler au Métropole, c’est pouvoir ‘sentir’ une interprétation même en l’absence du public, et par conséquent oeuvrer dans la continuité. D’ailleurs, confie l’administrateur de l’orchestre, Christian Zacharias n’aurait jamais accepté le poste de directeur musical s’il n’avait eu la certitude de pouvoir travailler dans un endroit aussi idoine.

Recrutement
En dix ans, l’OCL renouvelle environ le tiers de ses effectifs en engageant une dizaine de nouveaux instrumentistes. Or ces conditions d’engagement ont considérablement changé au cours des dernières décennies et assurent au responsable du recrutement une relève de choix. Lorsque Victor Desarzens dirigeait l’orchestre et qu’il avait besoin de nouvelles recrues, il faisait personnellement le déplacement à Paris pour entendre au Conservatoire de la ville les musiciens qu’il jugeait capables de venir enrichir les rangs de son ensemble. Dans les années soixante du siècle passé, les conditions s’étaient déjà améliorées au point qu’une audition réunissant environ cinq à dix postulants. Mais force est de reconnaître que le travail d’orchestre jouissait alors d’une assez mauvaise réputation ; il n’était ainsi pas rare d’entendre dire d’un instrumentiste d’orchestre qu’il était un soliste raté, donc frustré, et que la musique symphonique n’était pour lui qu’un gagne-pain. IL était, dans ces conditions, assez difficile de dénicher la perle rare ! Dès les années quatre-vingt-dix, les conservatoires se sont mis à former des gens qui se destinaient en premier lieu au travail d’orchestre. Aussi les auditions réunissent-elles aujourd’hui un ensemble de musiciens de meilleure qualité parce que leur motivation est réelle et sincère. Malgré des conditions de salaire qui ne sont pas royales - un musicien d’orchestre gagne environ le salaire d’un maître de musique dans un établissement secondaire - et l’interdiction d’exercer une activité lucrative annexe, les postulants sont de plus en plus nombreux : récemment, près de cent trente lors d’une des dernières auditions pour un seul poste vacant…) ; si ce constat réjouit l’administrateur de l’orchestre, il l’inquiète pourtant, car il met en exergue une réalité angoissante : les orchestres voient leur nombre diminuer un peu partout et les places de musiciens se font plus rares…

Orchestre de Chambre de Lausanne © Nicolas Lieber et Carole Parodi

Refonte des méthodes de travail
Les conditions de travail ont profondément changé ces dernières années. Il y a encore une vingtaine d’années, l’orchestre s’éparpillait et devait parfois assurer un service d’opéra tout en préparant un concert en parallèle. Maintenant, l’administration s’efforce de faire travailler les musiciens par blocs de façon que l’ensemble fasse corps avec le projet en cours et ne se voie pas forcer de jongler avec des approches trop diverses. De ce point de vue, le doublement de la série des concerts d’abonnement a été bénéfique, car il incite chaque musicien à se dépasser si la première soirée n’a pas donné entière satisfaction. De plus, la diversité des répertoires abordés stimule la versatilité des musiciens. Plusieurs jeunes recrues, par exemple, sont parfaitement au courant des nouvelles pratiques de la musique baroque et apportent leurs connaissances à l’ensemble de leurs collègues, ce qui facilite grandement les soirées programmées sous la direction d’un spécialiste tel Ton Koopman. La présence régulière de l’orchestre dans la fosse de l’Opéra de Lausanne, l’approche soigneusement calculée de nouveaux territoires (comme actuellement la musique de Brahms que l’orchestre s’approprie avec un brio certain) ou encore le travail avec des musiciens non professionnels contribuent également à favoriser la souplesse et la mobilité de l’ensemble. La participation de l’OCL à l’opération ‘Label Suisse’, qui a vu les musiciens jouer dans une usine d’incinération avec une sonorisation puissante, est aussi le gage de ce désir de renouveau, tout comme les soirées où les musiciens de l’OCL s’assoient aux côtés des instrumentistes de l’orchestre du conservatoire pour jouer Bruckner, un compositeur qui reste normalement hors de leur portée par l’importance des effectifs requis. De fait, les musiciens retrouvent l’esprit d’invention et le goût du risque des créateurs de l’orchestre dans les années quarante en se mêlant plus directement à la vie de la cité (ils aligneront par exemple trois équipes sur la ligne de départ des Vingt kilomètres de Lausanne !) et en organisant diverses manifestations extra-musicales destinées à renforcer l’esprit de corps.

Les Entr’actes
Depuis une vingtaine d’années, les musiciens sont invités à organiser des moments de musique de chambre avec la collaboration de quelques collègues ; ils se produisent alors pour la beauté du geste (il n’y a pas de cachet à la clef) dans des programmes qui sortent des sentiers battus, ne serait-ce que par les formations instrumentales requises. Ces concerts s’ajoutent au travail régulier de l’orchestre, mais ont l’avantage de fournir aux instrumentistes l’occasion de faire de la musique autrement. Et ce n’est un secret pour personne : la pratique de la musique de chambre est certainement un des meilleurs moyens de hausser le niveau personnel de chacun des interprètes concernés… De plus, l’orchestre conserve une certaine marge de manœuvre pour des projets inédits et imprévus.
M. Peikert m’a cité l’exemple d’une soirée organisée par Maurice Béjart où le chorégraphe souhaitait la présence de l’orchestre pour le Boléro de Ravel. Entre la requête du chef de la troupe et le concert à proprement parler, à peine quinze jours se sont écoulés. « Une telle liberté de manœuvre eût été impensable il y a encore vingt ans ! », m’a-ton assuré.

La participation des musiciens à la marche de l’orchestre
Enfin, les instrumentistes ne sont pas livrés pieds et poings liés à leur chef et à leur administration. Ils sont consultés lors de la nomination d’un nouvel arrivant, et constituent même la majorité de la commission musicale chargée de l’élaboration des programmes. De ce fait, l’ensemble des activités de l’orchestre est l’affaire de tous, et cette prise en charge rejaillit sur le niveau d’une formation que chacun a à cœur d’élever toujours plus.
Il serait néanmoins erroné de claironner sur les toits que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, comme aimait à le dire Candide. L’équilibre atteint est fragile, comme l’atteste par exemple le nombre des abonnés qui, après un pic à plus de mille neuf-cents atteint en 2001, a quelque peu régressé ces dernières saisons. Car le nombre des gens susceptibles de s’intéresser régulièrement à la vie de l’orchestre n’est pas infini ; et si, par exemple, la fréquentation augmente à l’Opéra, on peut être sûr qu’elle baisse d’autant à l’orchestre. « Il n’y a pas rivalité ». me dira-t-on, « mais le nombre des soirées que chacun peut consacrer à la musique n’est pas extensible à l’infini, et Lausanne dispose d’une offre en la matière que d’aucuns pourraient presque qualifier de pléthorique ! »
Dans quelques mois, les programmes de la future saison sortiront de presse. Et les surprises seront suffisamment nombreuses pour rassurer ceux qui auraient pu penser que l’OCL risquait de s’endormir sur ses lauriers.

D’après des propos recueillis par Eric Pousaz