Patrick Cramer se consacre, depuis de nombreuses années, à l’écriture et à l’édition de livres de références, de catalogues raisonnés et de catalogues d’exposition d’œuvres créées par des artistes du XXe siècle. Parallèlement, il dirige une galerie d’art où il présente des œuvres d’artistes contemporains.

Votre maison d’édition officie à Genève depuis de nombreuses années et est notamment reconnue pour ses catalogues exhaustifs de célèbres peintres du XXe siècle. Quelle est son actualité ?
Généralement, nous éditons un à deux livres par an. Depuis 2005 nous consacrons nos parutions aux affiches anciennes, datant de 1880 jusqu’en 1950 environ. Ces dernières sont la cible d’un engouement extraordinaire non seulement en Suisse, mais aussi dans le monde entier. Dans le cadre de ce projet, j’ai la joie et le plaisir de collaborer avec Jean-Charles Giroud, conservateur de la collection d’affiches de la Bibliothèque de Genève et grand connaisseur de l’histoire de l’affiche suisse. Sur les talons d’un livre consacré aux affiches patriotiques (“Les images d’un rêve”), nous avons publié un ouvrage sur les affiches touristiques suisses intitulé “Paradis à vendre” (2005) qui a rencontré un franc succès. Réalisées par de grands artistes suisses de l’époque sous la forme de lithographies originales, ces oeuvres d’art témoignent d’un talent et d’une créativité remarquables. Nombre de ces affiches étant profondément marquées par l’Art Nouveau, mouvement artistique majeur de cette époque, nous avons décidé d’y dédier un livre en soi intitulé “L’Art Nouveau et l’affiche suisse” paru en avril 2006. Puis, très récemment, en décembre 2006, nous avons édité un ouvrage consacré aux sports d’hiver. “Un siècle d’affiches suisses de sports d’hiver” retrace les débuts du tourisme hivernal dès la fin du XIXe siècle ainsi que son évolution. Ce livre met à l’honneur les stations phares de l’époque, comme Davos ou St. Moritz, mais aussi d’autres moins connues qui ont, pour certaines, totalement disparu aujourd’hui. Ces lieux de villégiature hivernale sont sublimés une fois de plus par de grands artistes suisses, comme Walther Koch, Carl Moos, Emil Cardinaux ou Martin Peikert. Un véritable hommage non seulement aux sports d’hiver mais aussi au graphisme suisse !
Largement illustré, l’ouvrage est précédé d’un texte historique qui permet d’apprécier et de mieux cerner les débuts d’un phénomène qui continue de se développer aujourd’hui.
L’édition n’étant pas votre seule activité, parlons de votre galerie d’art. Qu’exposez-vous actuellement et quelle est votre approche quant au choix des artistes ?
En ce moment, j’expose des œuvres de Jean-Pierre Cassigneul. Artiste français vivant en Suisse, il est mondialement connu, notamment au Japon et aux Etats-Unis. Son travail est à l’origine de 150 expositions, dont une qui a attiré plus de 65’000 visiteurs. C’est indéniablement un grand artiste, relativement méconnu en Suisse ; je souhaitais avant tout que le public genevois découvre son art. La galerie existe depuis plus de trente ans et jouit d’une certaine réputation qu’il me tient à cœur de défendre. Aussi, la qualité de l’exposition prime-t-elle sur son aspect financier.
J’expose les artistes dont j’aime l’œuvre. Je suis avant tout au service de l’artiste, car c’est grâce à lui qu’une galerie peut exister. C’est la raison pour laquelle je m’efforce du mieux possible de faire le lien entre l’artiste et le public. De plus, chaque rencontre est une nouvelle aventure fascinante.
L’édition de livres d’art et la gestion d’une galerie sont-elles des activités qui, pour vous, vont de pair ?
Pas nécessairement. Pour ma part, ce sont deux passions qui se rejoignent et que je gère conjointement. Ma passion, depuis le début, a toujours été les livres. Mon père étant galeriste et éditeur, j’ai baigné toute mon enfance dans un univers artistique captivant, au contact de grands artistes. Dès ma tendre enfance, j’ai côtoyé Joan Miró, car mon père éditait à l’époque en étroite collaboration avec lui “A toute épreuve” de Paul Eluard, paru en 1958. J’ai également eu la chance de connaître Marc Chagall et Pablo Picasso. L’art fait donc partie de mon quotidien depuis toujours. Lorsque j’ai repris la galerie de mon père en 1976, j’ai continué à monter des expositions et en parallèle à éditer des livres. Après avoir édité le troisième volume de l’œuvre gravé d’Henry Moore en 1980, j’ai décidé de m’atteler à un genre peu exploré, car relativement complexe mais néanmoins essentiel : les catalogues raisonnés des livres illustrés d’un artiste. J’ai d’abord édité le catalogue raisonné de livres illustrés de Picasso en 1983 avant de publier en 1989 celui de Miró qui m’a valu trois années de travail assidu et qui demeure aujourd’hui un livre de référence complet. Au début je ne faisais que de l’édition, car je n’avais pas les connaissances nécessaires pour être auteur. Par la suite je suis devenu éditeur et auteur, puis auteur pour d’autres maisons d’éditions. L’édition d’un livre représente un investissement personnel majeur : relecture, mise en page, contrôle des couleurs et de l’orthographe, paginations, notices et traductions. Certains livres que j’ai édités me tiennent aujourd’hui particulièrement à cœur, notamment ceux consacrés à l’œuvre de Miró, car il a toujours été ma passion et l’est encore aujourd’hui.
Comment percevez-vous l’évolution du milieu artistique depuis 20 ans en tant que galeriste et éditeur ?
Aujourd’hui comme il y a 20 ans, l’intérêt pour l’art et la peinture est toujours très présent. J’ai cependant le sentiment que le livre d’art se vend malheureusement moins bien qu’à l’époque. On est en effet moins enclin à payer cher pour un beau livre d’art. De plus, certaines maisons d’édition se lancent dans des tirages immenses tirant les prix vers le bas. Néanmoins, les amateurs d’art continueront à se procurer de beaux livres. Au fil des années, on voit apparaître certaines tendances et certains marchés spécifiques, dont le catalogue raisonné, qui ne disparaîtra jamais. Ouvrages de référence complets, les catalogues raisonnés sont indispensables aujourd’hui comme il y a 20 ans. Dans ce milieu et sur la durée, il est important d’avoir une ligne directrice. Par ma part, c’est l’amour des choses, la précision, la passion du beau livre ainsi que sa réalisation avec l’artiste dont j’aime l’œuvre qui fait l’essence de mon travail, il y a 20 ans comme aujourd’hui.
Propos recueillis par Magali Jank

Galerie Patrick Cramer et Patrick Cramer Editeur. Rue de Chantepoulet 13. 1201 Genève. Tel 022/732.54.32, www.cramer.ch

Jean-Charles Giroud, “Un siècle d’affiches suisses de sports d’hiver” (60 CHF) ainsi que tous les ouvrages publiés chez Patrick Cramer Editeur sont également disponibles dans toutes les grandes librairies.