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Entretien : Marie-Claude Jéquier - [Arts-Scènes]
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20 ans à Lausanne
Entretien : Marie-Claude Jéquier

Retour sur 20 ans passés à la tête de la culture à la Ville de Lausanne.

Article mis en ligne le février 2007
dernière modification le 14 juin 2007

par Frank DAYEN

"Les affaires culturelles sont un art difficile" retient Marie-Claude Jequier de ses 20 ans passés à la tête de la culture à la Ville de Lausanne. A la veille de sa retraite, elle se rappelle les moments forts de la culture lausannoise.

A quoi ressemblait le paysage culturel lausannois à votre arrivée à la tête du service en 1987 ?
Marie-Claude Jequier : Comme toutes les grandes villes, la vie musicale lausannoise était déjà assez active : l’Orchestre de chambre de Lausanne (OCL) tournait, l’Opéra venait de faire sa révolution (de l’accueil à la production). Mais l’offre théâtrale n’était pas aussi développée qu’aujourd’hui. Il y avait bien Vidy, mais sa direction était incertaine, suite à l’accident de son directeur. Parmi les musées, on comptait la Collection de l’art brut, au rayonnement mondial, mais le Musée d’Histoire était en voie de modernisation. Quant à la danse, elle était inexistante. Il y avait donc du travail à faire, même si le matériau brut était déjà là.
Quels ont été vos premiers chantiers ?
D’abord le Ballet Béjart. Il s’agissait d’un chantier non planifié. A l’Opéra national de Belgique, Maurice Béjart voulait faire de l’opéra, pas vraiment du ballet. Et surtout, il souhaitait avoir son budget propre, qu’il pouvait gérer tout seul. La Monnaie le lui promettait, mais le maître ne voyait toujours rien venir. Lausanne par contre n’était pas contre l’idée d’accorder tout cela à l’artiste pour l’accueillir. Je me souviens très bien, nous l’avions donc rencontré dans la rue, le jeudi de l’Ascension 1987, le syndic Paul-René Martin, Yvette Jaggi, alors en charge des finances, quelques autres et moi-même, et nous avions craqué en découvrant un homme magnifique, modeste et tout à fait adorable. Ce premier chantier nous a beaucoup occupé.
Vous avez aussi géré le dossier Vidy.
Effectivement, le poste de directeur avait été mis au concours. Peu de temps avant, Matthias Langhoff – alors à la Comédie -, avait défendu son fameux rapport sur le théâtre à Genève (publié chez Zoé) et avait été "jeté" par les autorités genevoises, qui trouvaient ses conclusions trop onéreuses. Sélectionné par Lausanne, c’est avec joie que l’homme de théâtre est arrivé à Vidy, qui lui offrait, entre autres, une salle de répétition, ce que la Comédie n’avait pas. Je me rappelle que son spectacle avait fait l’événement à Avignon, en 1989 : sa production avait remporté plus de succès que celle jouée dans la Cour des Papes. Ceci donna du prestige à Vidy. Ensuite, Langhoff a demandé un co-directeur : ce fut la collaboration Langhoff-Gonzales, à laquelle Matthias mit fin parce qu’il souhaitait se consacrer uniquement à la mise en scène. Encore aujourd’hui, Vidy lui doit beaucoup (abandon de l’abonnement pour la carte d’adhérant, convivialité du bar…). Depuis, René Gonzales dirige Vidy : homme de la scène (il fut d’abord comédien), il possède le génie de la programmation et, en plus, s’avère un excellent gestionnaire [rires].
Et l’Opéra de Lausanne ?
En 1987, nous avons permis à sa directrice Renée Auphan de construire son équipe technique, trop fragmentaire, de professionnaliser le chœur, de développer les co-productions, ses relations avec l’OCL et Sinfonietta, voire les productions. Renée Auphan quitte l’Opéra de Lausanne pour celui de Genève en 1995. Elle est remplacée par Dominique Meyer (aujourd’hui directeur du Théâtre des Champs-Elysées). Notre service s’est bien sûr attelé à d’autres tâches : le Musée d’Histoire, le Mudac, la construction du nouveau Musée romain, la modernisation et l’extension du Musée de l’art brut… Et nous n’avons pu mener à bien ces entreprises que grâce à l’appui des politiques (Paul-René Martin, Yvette Jaggi, l’ensemble de la municipalité et du Conseil communal…) et un public qui a été de plus en plus présent ; figurez-vous que l’Opéra et Béjart à Beaulieu ont affiché complet entre Noël et Nouvel an !
A quoi votre formation d’historienne vous a-t-elle été la plus utile ?
A une mise en perspective constante. Notre tâche est difficile car nous sommes sans cesse sollicités pour répondre à des demandes. Et, comme la créativité humaine ne connaît pas de limites, une bonne connaissance de l’histoire est un atout. L’Histoire en général et l’histoire spécifique à Lausanne. Beaucoup ignorent que la culture a été une des vocations de Lausanne depuis le Moyen Age. Grâce à l’évêque, le pape et l’empereur viennent inaugurer la cathédrale en 1275. Lausanne crée la première académie francophone du monde (avant celle de Genève). Sous la Réforme – qui a encouragé la musique et l’opéra au détriment des autres arts -, les métiers de l’imprimerie s’y développent. Au XVIIIe siècle, Voltaire s’établit à Lausanne, y joue du théâtre, y édite ses œuvres. Mme de Staël reçoit dans ses salons. Lausanne est une des villes les plus représentées au XVIIIe siècle (Turner…). La culture n’est pas une spécificité lausannoise parmi d’autres (comme Bilbao ou Glasgow, qui ont trouvé un créneau dans la culture, parce qu’elle leur a échappée à cause de l’industrialisation). La culture est véritablement constitutive de notre ville. Ceci d’ailleurs pose des problèmes avec le canton, rural, qui, souvent, ne comprend pas l’essence même de Lausanne.
En 1987, 2,53% du budget total de la ville était consacré à la culture, soient 19 millions de francs. Et aujourd’hui ?
Le budget 2007 (1’547 millions) prévoit 2,48% pour la culture, soient 38 millions. La situation est donc stable, mais cela reste peu par rapport à Genève, qui lui consacre 200 millions ! Il faudra donc encore demander plus d’argent pour la culture.
Quelles sont les préoccupations futures de votre service ?
A très court terme, la Cartoville Gallimard, les préavis sur l’Opéra et sur la politique culturelle, ainsi que l’informatisation des musées communaux. Mais un défi auquel il faudra faire face est celui des nouvelles tendances artistiques. En effet, depuis 6 ou 7 ans, à l’étranger comme ici, de nouvelles catégories émergent (performances, vidéo-spectacles, etc…), qui ne correspondent pas aux postes "classiques" des budgets (Danse, Musique…). Ces nouvelles formes d’expression artistiques représentent-elles une avant-garde de quelque chose qui va durer ? et alors, devrait-on leur attribuer des lieux spécifiques, voire créer des festivals ? ou alors ne sont-elles que modes, qui vont disparaître ? J’ai pour ma part toujours retenu ma subjectivité devant ce qui fallait que je fasse avec les moyens dont je disposais, mais il est évident que nous devons réfléchir sérieusement à cela.
Malgré la santé des institutions culturelles lausannoises, certains quotidiens émettent des craintes (retraites prochaines de Béjart, de Gonzales, oppositions à l’agrandissement de l’Opéra, etc…).
Ce catastrophisme est monté en épingles. Il faut plus d’argent pour éviter que les Docks ne deviennent une discothèque, et il y a toujours eu des oppositions à la construction ou agrandissement de salles de spectacles. J’ai l’impression que, depuis peu, la politique s’empare de la culture, parce que la culture est une "succession de problèmes" (humains, techniques…). La culture est donc un domaine dont on peut facilement exploiter les failles.
Propos recueilli par Frank Dayen