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Visions du Réel
Entretien : Jean Perret

Présentation de l’édition 2007 de “Visions du Réel“.

Article mis en ligne le février 2007
dernière modification le 14 juin 2007

par Sophie EIGENMANN

Le Festival international du film « Visions du Réel » présente chaque année plus de cent cinquante oeuvres. L’édition 2007 aura lieu du 20 au 27 avril. Entretien avec son directeur, Jean Perret.

Qui êtes-vous ?
Je suis typiquement un passeur et ceci depuis toujours. Dès l’âge de quatorze ans, j’ai écrit des articles sur le cinéma pour la revue lausannoise « Travelling ». Dans les années 70-80, avec mon premier groupe d’animation cinématographique « court-circuit », à Saint-Gervais, j’ai travaillé à la diffusion de films, de débats et de tracts. L’idée était de montrer des oeuvres qu’on ne pouvait pas voir ailleurs. J’ai aussi fait de l’enseignement et de la radio, essentiellement sur Espace 2 en tant que responsable d’émissions culturelles. Puis, en 1995, j’ai repris « Visions du Réel ».
Qu’est ce que « Visions du Réel » ?
On a fait de ce festival une plate forme qui cherche à proposer des réflexions et des éléments de compréhension des flux audiovisuels dans lesquels on vit et qui poussent davantage dans l’amnésie que dans la connaissance. Les films que nous sélectionnons travaillent autrement dans le champ culturel. Depuis douze ans, notre expérience s’est adaptée à la diversification des formes d’expression, des démarches, des modes mais aussi des moyens technologiques. La situation politique et audiovisuelle évolue et on apprend à se parler et à développer des projets ensemble. Une « Maison du Réel » regroupant des activités indépendantes du Festival comme un lieu de rencontre, de résidence, de consultation, d’archivage audiovisuel et de lancement de projet devrait à terme voir le jour à Nyon.
En quoi la créativité a -t’elle évoluée ces douze dernières années ?
L’apparition des caméras digitales a été une vraie révolution. Des gens qui n’avaient pas la possibilité de s’exprimer ont tout à coup eu accès à la vidéo. Toute l’Asie est concernée par ce changement. Grâce à cette nouvelle technologie, on a aussi pu travailler en Palestine, Israël, Iran et en Europe de l’Est.
Ce nouveau cinéma est souvent autobiographique. Il pousse le cinéaste à explorer son intimité, à transfigurer au moyen du film un vécu, une expérience. Il est avant tout subjectif et personnel mais quelles que soient ses formes il garde des traces du réel. Il amène un renouveau esthétique, des prises de risque, des écritures personnelles mais aussi des angles d’approche du réel expérimentaux. Ce cinéma installe une distance nécessaire entre le cinéaste et le spectateur pour qu’ils apprennent à se connaître dans tout ce qui fait leurs cultures et leurs différences. Le cinéma du réel critique la banalisation et réinstalle au cœur du débat citoyen la complexité mais également la beauté de la diversité.
Qu’attendez-vous de votre public ?
J’aime les mots de Jean Vilar : « être élitaire pour tous ». Avoir de l’exigence, c’est se donner les moyens de rencontrer, de réfléchir, de confronter toute la complexité de la culture. Revendiquer cela c’est prendre à hauteur de regard son spectateur et ne pas le voir comme un simple consommateur mais comme un citoyen. Etre exigeant, c’est aussi solliciter l’autre et prendre le meilleur qu’il a à offrir en termes d’attention et de curiosité. En chacun de nous cohabitent plusieurs types de spectateurs. On peut aimer France Culture et James Bond. A Nyon, on essaye de solliciter les différentes faces du spectateur. Nous avons besoin d’images et de récits qui nous parle de nous et des autres de manière à avoir des repères sociologiques, poétiques, fantasmatiques et de mieux savoir qui nous sommes et qui sont les autres. A « Visions du Réel », il faut accepter de perdre du temps pour prendre du bon temps et découvrir d’autres esthétiques. Ce parcours vise à partager quelques convictions mais surtout beaucoup de questions.
La culture devient-elle plus politique ?
Il y a parallèlement deux mouvements : la nécessité du roman familial autobiographique et une tendance à un réinvestissement du champ politique. Aujourd’hui, contrairement aux années 70-80, on n’a plus de certitudes. Le cinéma du réel pose des questions sans être militant. Il met en doute et parfois même en pièces les quelques pensées uniques qui nous dominent comme le néolibéralisme ou la globalisation. En avril prochain, on va passer au moins deux films qui montrent les conséquences de la privatisation des biens de consommation comme l’eau en Bolivie et l’électricité en Afrique du Sud. Ces deux films nous placent à la fois dans le roman du réel et devant un grand spectacle. On est dans un art cinémato- vidéo- graphique qui tente d’élargir la conscience politique.
Est-ce que la culture perd ou prend pied ?
La culture fast food de consommation hédoniste existe bien. Comme tout ce qui se consomme vite, elle produit des problèmes à terme, comme une non-connaissance, une opacité de la perception ou un déficit de mémoire. Parallèlement, on constate un développement du geste culturel comme acte de résistance. La culture est essentielle car elle pose des questions hors des doctrines établies. Elle nous rappelle combien la littérature, la peinture, la musique, le cinéma nous aide à fonder nos identités et nos consciences.
La culture est faite en chacun de nous de plusieurs cycles qui doivent être respectés. Le premier amène un retour sur soi-même, la découverte de la solitude et participe à notre histoire intime. Dans le deuxième cycle, cette expérience première nous met en relation avec d’autres. Elle nous confronte aux avis divergents. On dialogue avec l’autre et même si on ne partage pas son avis on découvre ce qui fonde la différence entre l’autre et soi, c’est à dire la distance. C’est elle qui crée le désir et nous rend vivants. Avec le mensonge de l’immédiateté-proximité et de la continuité, les médias brisent cette distance et menacent notre désir par l’uniformisation.
Est-ce que vous êtes étonné par la rapidité des évolutions technologiques ?
C’est ébouriffant ! Au début, en 1995, on travaillait encore avec des fax. Je me perds aujourd’hui dans l’offre du réseau de l’information. On a le sentiment que cela n’est jamais fini. Internet est fascinant sur le plan anthropologique ou philosophique mais me sidère. Cela me conforte encore plus dans mon petit boulot qui consiste à vouloir prendre pied dans le réel par le cinéma et la photographie. C’est une façon d’arrêter le mouvement, de le ralentir et de définir des territoires où on se retrouve pour partager. On a besoin de ces écritures singulières du réel. Plus elles seront singulières et plus elles enrichiront ce débat dans un temps décalé.

Propos recueillis par Sophie Eigenmann