Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Saison 2010-2011 du Théâtre Vidy-Lausanne
Lausanne, Vidy : Bruit et fureur

La nouvelle saison sera très animée...

Article mis en ligne le juillet 2010
dernière modification le 13 août 2010

par Frank DAYEN

Programmation de bruit et de fureur pour la 20e saison de René Gonzalez : Bondy, Jemmett, Desarthe, Mages côté mises en scène ; Shakespeare, Wedekind, Süskind, Ionesco, Bouvier côté répertoire ; et aussi des paris plus osés (Pierre Etaix, Louis de Funès, un spectacle en russe, du flamenco, du rock, des marionnettes…).

A l’image de son directeur, René Gonzales, Vidy ne fait rien comme les autres. Alors qu’en France, les théâtres affichent péniblement 15 à 20% d’autofinancement, Vidy franchit les 60% grâce à ses nombreuses créations et tournées, ce qui constitue l’exception théâtrale francophone. Autre particularité du “théâtre au bord de l’eau“ : les pièces s’y jouent en moyenne plus longtemps que dans la majorité des autres salles. Enfin, la saison 2010-11 coïncide avec les 20 ans de son grand manitou et promet donc une programmation aussi insolente que son affiche : un singe narquois en costume de magicien.

Le primate, cousin de l’homme, ne se retrouve-t-il pas dans ce Richard III plein de facéties ? C’est du moins l’avis de son metteur en scène Valentin Rossier, habitué de Vidy (dont on se rappelle Un Contrat, western psychanalytique la saison dernière, ou Platonov au Théâtre de Carouge). «  Je voulais évoquer le sujet du cirque, du monstre de foire, tout à la fois les jeux du cirque et la lutte suisse ! », confesse un Rossier jubilatoire, donc avec fausse modestie. Il faut en effet de solides arguments pour prétendre dépoussiérer la plus fameuse pièce historique de Shakespeare, la plus retorse et violente aussi : « Il s’agit d’une ascension au pouvoir dont chaque marche serait un mort », résume Rossier. « Et l’action se passe à la Toussaint », ce qui rajoute à la farce tragique dont Richard III est le roi et le fou. D’ailleurs, pour planter le personnage le plus monstrueux du répertoire, l’incarnation du mal absolu jusqu’à la difformité, qui d’autre qu’un monstre ? Jean-Quentin Châtelain (lire notre prochain numéro).

Vincent Goethals met en scène « Une laborieuse entreprise »
© Eric Legrand

Deux autres pièces disputent à Richard III le titre de pièce la plus sulfureuse. La première s’intitule Le Château de Wetterstein . Elle est signée Franz Wedekind le scandaleux (1864-1918 ; Lulu, L’Eveil du printemps…). Jamais montée en France, interdite pendant cinq ans en Allemagne, portée sur scène pour la première fois à Zurich en 1917 où elle fut immédiatement censurée, retirée de l’affiche pour subversion l’année suivante après huit représentations au Kammerspiele de Munich, la pièce suit le parcours d’une jeune fille éduquée comme au début du XXe siècle, qui se rebelle contre la famille et l’ordre bourgeois : bref, c’est l’histoire d’une métamorphose. Après son habile Hiroshima mon amour la saison dernière, Christine Letailleur met en scène ce Château explosif : « Il s’agit d’une langue belle, sensible, poétique », recadre-t-elle avant de citer Wedekind lui-même : « Toute l’action est dans les mots et les mots traversent les âmes ». Précisons que Le Château de Wetterstein est tout empreint du Richard III de Shakespeare de l’aveu de Wedekind lui-même (voir surtout l’influence de la scène 2 de l’acte I sur le premier acte du Château).

La seconde pièce impertinente serait Une laborieuse entreprise de Hanokh Levin (1933-1999), que met en scène Vincent Goethals. Inconnu jusqu’ici, le dramaturge israélien Levin est sans doute promis à un bel avenir théâtral en Occident puisqu’une quarantaine de ses textes seront montés l’an prochain dans toute la francophonie. Cette Entreprise relève d’une scène de ménage cruelle, très méchante, pathétique, une comédie politiquement incorrecte quoi. Hormis l’actrice Valérie Crouzet, l’œuvre sera portée par Dominique Parent (un habitué des mises en scène de Valère Novarina) et Benjamin Ritter (acteur et musicien souvent associé à Olivier Py).

« Miousik papillon » de et avec Pierre Etaix
© Marc Etaix

Autre pièce terrible, Une Guerre personnelle est l’adaptation de La Couleur de la guerre, biographie en 13 récits d’Arkadi Babtchenko (éd. Gallimard) lorsqu’il était soldat russe en Tchétchénie. L’œuvre donne ainsi à voir l’absurdité totale de la guerre. Tatiana Frolova est la principale artisane de ce spectacle en russe, surtitré en français.

Par la démesure de son entreprise, L’Usage du monde de Nicolas Bouvier s’inscrit aussi dans l’outrance. Parti de Genève en 1953 dans une simple Fiat Topolino, Bouvier et son acolyte Thierry Vernet mordent le bitume, les cailloux et le sable jusqu’en Inde ! Dorian Rossel (qui revient avec Soupçons en seconde partie de saison, et dont Quartier lointain est attendu à Vidy la prochaine saison) adapte ce récit de voyage : « Il a quelque chose de Peter Brook dans sa manière de regarder le monde et le théâtre », ose René Gonzalez à propos du jeune metteur en scène.

L’écriture radicale du romancier, poète et dramaturge David Storey (The Sporting life) a intéressé Chantal Morel. Home , titre de la pièce présentée à Vidy, a d’abord été montée par Claude Régy en 1972. Marguerite Duras en signe l’adaptation. Chantal Morel l’a recréée en 1986 et, depuis lors, Home n’a plus été rejouée. Ils sont cinq personnages, sous une tonnelle, ils cherchent la chaise qui leur manque pour se réunir autour de la table. Quand ils seront assis, ils pourront se dire, les rires, les larmes…

« Press » de Pierre Rigal
© Frédéric Stoll

Des chaises, il y en a de prime abord également dans Les Chaises d’Eugène Ionesco. La pièce fut une des premières mises en scène de Luc Bondy il y a 40 ans. A l’époque, le questionnement du Zurichois s’inscrivait dans une forme assez innovatrice : « Il s’agissait de savoir jusqu’où aller avec l’imaginaire », explique-t-il. « Aujourd’hui, c’est davantage l’aspect de la solitude de deux nonagénaires qui ne veulent pas rester seuls et s’inventent des invités pour échapper à la tristesse et profiter de vivre encore un peu avant de la fin inéluctable ».

Il n’y a pas que le langage de Ionesco ou les situations de guerre qui se nourrissent du quotidien absurde. L’humour du comique Pierre Etaix en fait un de ses ressorts principaux. Le clown touche-à-tout (cinéaste, dessinateur, musicien, magicien, affichiste, essayiste…), qui fut lancé par Jacques Tati à travers Mon Oncle et son spectacle à l’Olympia Jour de fête (1960), présente Miousik papillon , un spectacle de music-hall. On doit l’autre éclat de rire encore à Shakespeare, pour sa pièce la plus courte et la plus farcesque, La Comédie des erreurs . Celle-ci est signée Dan Jemmett (souvenons-nous de son étrange William Burroughs et de Femmes, gare aux femmes donnés à Vidy).

Enfin, après avoir créé Pierrot le fou il y a deux ans, la Compagnie Un Air de rien (Sandra Gaudin, Hélène Cattin et Christian Scheidt) continue d’écluser le 7e art pour jouer Louis Germain David de Funès de Galarza , prétexte aux associations les plus folles.

Gardy Hutter sera « La Couturière »
© Adriano Heitmann

Incontournable à Vidy, la partie circassienne de la programmation comporte quatre volets : La Piste là , en ouverture de saison, avec l’équipe d’Oper Opis, La Couturière ravaudée par la clown Gardi Hutter, la tragédie chorégraphique folle de Pierre Rigal ( Press ) et le spectacle de marionnettes Hand stories de et avec le Chinois Yeung Faï. On peut y ajouter trois partitions musicales : celle de l’acteur-musicien-danseur – et ici clown - Hubertus Biermann ( La Contrebasse de Süskind), celle de la pianiste Sylvie Courvoisier, qui accompagne le danseur de flamenco Israel Galvan ( Tabula rasa ) et celle de Pierre Rigal – de nouveau lui –, qui tente une folie de plus : appréhender la poésie des concerts rock ( Micro ).

Voilà comment René Gonzalez fait son théâtre en s’amusant. L’homme pour qui le clown constitue le plus parfait représentant du théâtre réussit ce tour de prestidigitation qu’est l’alliance du monstrueux, du terrible, de l’outrance et du décalé à l’absurde et au clownesque. On vous l’avait bien dit que Vidy serait insolente cette saison !

Frank Dayen

Théâtre de Vidy, www.vidy.ch, rés. 021 619 45 45.