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La Comédie de Genève : Saison 2007-2008
Genève, La Comédie
Article mis en ligne le septembre 2007
dernière modification le 21 octobre 2007

par Julien LAMBERT

En conférence de presse ce 9 mai, Anne Bisang a présenté une saison à nouveau pleine de promesses pour l’année théâtrale à venir. Reconduite pour quatre ans, la directrice de la Comédie donne une synthèse à ses choix en se répétant « attachée à un théâtre qui questionne, qui s’adresse à tous sans démagogie, sème une zizanie fertile, parfois frondeuse, jamais rageuse ». Bilan critique de la saison écoulée et présentation de la prochaine.

Cette saison qui s’achève aura largement correspondu à cette conception du théâtre, avec un certain nombre de réussites. Anne Bisang aura osé un théâtre parfois carrément engagé qui ne peut laisser indifférent. Sa mise en scène très physique et positivement didactique des Âmes solitaires de Hauptmann associait une satire de la bonne société bourgeoise et des idéalismes inconsistants à de beaux portraits d’humains en désarroi. Avec plus de couleurs et un emploi très esthétique de la technologie, malgré une mise en scène moins audacieuse, Christophe Perton livrait quant à lui un tableau très pessimiste des idéalismes rangés et déçus dans Hop là, nous vivons ! d’Ernst Toller.

“L’Ecole des femmes“ de Molière, m.e.s. de et avec Coline Serreau. Photo LOT

Théâtre un peu plus central que les autres à Genève, la Comédie se doit aussi de faire revisiter de grands textes par des metteurs en scène d’envergure. Résultat très probant pour L’Ecole des femmes de Coline Serreau, dont l’Arnolphe féminisé teintait Molière de féminisme, sans s’interdire d’être drôle et attachant. En revanche, à côté d’un maître du genre comme Bob Wilson dont le Quartett stylisé ne pèche sans doute que par ce même gage d’originalité (voir critique dans ce numéro), Bernard Meister a franchement déçu en appliquant à Euripide un post-modernisme caricatural avec sa Folie d’Héraclès truffée de décalages et d’allusions inutiles. La double Inconstance de Christian Colin, bien qu’ayant révélé des acteurs capables de nous rendre les personnages de Marivaux à nouveau familiers, aura elle aussi échoué à vouloir donner des niveaux de sens supplémentaires à un classique, par des sophistications trop cérébrales, avec arrière-scènes floues et images métaphoriques. Enfin, au-delà des valeurs sûres la Comédie aura aussi su se risquer aux voyages, aux quatre coins de la francophonie avec le beau melting-pot culturel de L’Improbable vérité du monde d’Ahmed Madani, voyage dans de nouveaux champs scéniques avec Coda de François Tanguy, opéra d’ombres et d’apparitions sous chapiteau à Plainpalais.

07-08 : Nouveaux classiques, étrangers proches et français étrangisés
Pour la saison à venir, Anne Bisang propose un dosage passablement similaire de grands auteurs et de grands metteurs en scène, avec cinq accueils pour deux créations et une coproduction. Mais à part Goldoni et sa Locandiera, que Philippe Mentha veut jouer sans le rythme endiablé qu’on lui associe généralement, ces « grands » auteurs devront se révéler sous des jours vraiment nouveaux. Andrea Novicov montera Doux oiseau de jeunesse, pièce peu connue de Tennessee Williams dans laquelle une actrice associe son pouvoir de séduction au passage obligé par l’écran. Le metteur en scène envisage de se « brûler un peu les ailes » en se rapprochant du cinéma réaliste d’Hollywood sans quitter le langage du théâtre. De même, ce mystérieux Homme des bois que mettra en scène Isabelle Pousseur promet la découverte d’un Tchekhov « plein d’espoir », bien qu’il s’apparente à une première version d’Oncle Vania qui mêle tous les genres. Texte d’autant plus inconnu qu’il est inachevé, L’Acte inconnu de Valère Novarina, qui sera créé en Avignon cet été, poursuivra les expériences ludiques de l’auteur dans le domaine du langage. Une grande chance que le passage à Genève d’un des auteurs dramatiques contemporains français les plus importants, qui dit s’être inspiré ici de la « richesse et de la variété sonore » des toponymes et des parlers romands.

"L’Art de la Comédie". Photo Christian Berthelot

L’inlassable découvreur de contemporains Claude Régy nous introduira dans l’univers cruel du norvégien Arne Lygre au Théâtre du Loup, tout en nous offrant le plaisir de revoir Jean-Quentin Châtelain après son rôle dans le Eugène O’Neill de Carouge. Son Homme sans but pousse à l’extrême les limites du pouvoir de l’argent, pour remettre en cause la valeur du réel. Autre grand nom de la mise en scène, l’Irlandais Declan Donnellan sera paradoxalement le responsable du retour de Racine – avec Andromaque – dans une Comédie toujours plus internationale. Anne Bisang espère d’ailleurs des collaborations au-delà de la francophonie, suite à l’entrée de la Comédie dans la Convention théâtrale européenne.

Fidèle à ses grands thèmes, la directrice entamera sa saison en accueillant un texte très subversif, L’Art de la Comédie d’Eduardo de Filippo, mis en scène par Marie Vayssière : conversation entre de vrais-faux acteurs et un préfet qui doute de l’utilité du théâtre – une allusion ? Surtout, elle montera elle-même Salomé d’Oscar Wilde, nouvelle incarnation de la féminité entre innocence et pouvoir ravageur après sa formidable Sainte-Jeanne. La metteuse en scène se réjouit de l’« anticonformisme salutaire » de Wilde, mais nul ne sait si c’est une tête d’homme politique genevois qu’elle mettra sur le plateau de Salomé et de la toujours « ancienne » Comédie…

Julien Lambert

Renseignements : www.comedie.ch