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Opéra national du Rhin
Strasbourg : “Fidelio“

L’Opéra du Rhin terminait sa saison avec Fidelio.

Article mis en ligne le septembre 2008
dernière modification le 19 septembre 2008

par Eric POUSAZ

Pour clôturer sa saison, l’Opéra du Rhin s’est offert une nouvelle production du Fidelio de Beethoven.

La mise en scène d’Andreas Baesler est tout simplement sensationnelle.
Celui-ci remplace en effet la prison du livret par les dédales d’un monde que domine une bureaucratie kafkaïenne : le superbe décor représente un lieu qui se situe à mi-chemin entre les archives d’un état totalitaire et la salle d’accueil d’un camp de travaux forcés. Les prisonniers ne sont soumis à aucune violence physique mais laissés dans un état de désœuvrement qui attaque leurs nerfs. Rocco, Jacquino, Pizarro et le Ministre sont habillés de complets vestons gris et ternes, qui deviennent le symbole d’une liberté qui n’a rien d’attirant : ainsi, lorsque les prisonniers chantent leur hymne à la beauté de la vie, de tels habits tombent, chiffonnés, des cintres, comme s’ils devaient à eux seuls symboliser ce qui les attend à la sortie de leur prison. Parallèlement, lorsque Florestan croupit dans sa geôle, ces mêmes loques grises tombent d’un trou ménagé dans la paroi et encombrent progressivement un lieu clos à l’atmosphère de plus en plus suffocante …
Un tel parti pris ne ferait aucun effet s’il n’était accompagné d’un travail minutieux sur les gestes et les attitudes : l’espace, magnifiquement occupé par les déplacements réglés au cordeau des prisonniers désœuvrés, dégage une impression d’étouffement malgré ses proportions vastes et lumineuses. Même le final libérateur, donné sous les armoires déboulonnées de ces archives dont les tiroirs laissent échapper des tonnes de papier, laisse planer le doute sur l’optimisme de la musique car l’avenir reste bien sombre pour les habitants de ce monde dominé par la paperasse.
La distribution ne contient pas de grandes voix, mais convainc précisément parce que chaque chanteur incarne à la perfection son personnage. Une silhouette élancée permet à Anja Kampe de rester parfaitement plausible scéniquement sous le travesti de Fidelio ; la voix, forte parfois jusqu’à la rudesse, donne corps avec aplomb à une souffrance dont le spectateur partage chaque moment sans être gêné par l’artificialité de la situation. Jorma Silvasti est également un Florestan exceptionnel malgré un timbre usé : le chant, en effet, reste toujours au service de la situation et donne à entendre avec un saisissant degré de vérité dramatique les affres d’un esprit qui refuse de baisser la garde. Christina Landshammer, touchante dans son pathétique désir de tendresse partagée, et Sébastien Droy, au ténor un brin emprunté, donnent vie avec moins de brio vocal au couple secondaire que forment Marzelline et Jaquino. John Wegner est un Pizarro blafard, au timbre certes banal, mais ennemi de toute exagération et, par là-même, d’autant plus menaçant alors que le Rocco de Jyrki Korhonen frappe par la bonhomie d’un chant remarquable d’assurance et de chaleur humaine.
Les chœurs de l’institution se tirent avec les honneurs de leurs interventions périlleuses où Beethoven attend de chaque timbre une souplesse qu’on associe plus généralement aux instruments à cordes…
Marc Albrecht dirige non sans sécheresse un orchestre aux timbres plutôt arides, mais il gère avec une surprenante aisance les décalages stylistiques de cette partition où les banalités de l’opéra comique à l’allemande voisinent sans transition avec les grandes envolées tragiques ou encore le statisme des pages finales qui transforment subitement l’opéra en oratorio. De fait, jusque dans ses manques apparents, une telle réalisation musicale rend parfaitement justice à l’idéal visionnaire du compositeur.

Eric Pousaz