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Teatro alla Scala, Milan
Milan : “Die Walküre“

Début de saison assez sombre à la Scala...

Article mis en ligne le février 2011
dernière modification le 18 février 2011

par David VERDIER

Seize ans après André Engel, c’est au flamand Guy Cassiers que revient l’honneur de mettre en scène la Walkyrie en ouverture de la nouvelle saison de la Scala de Milan. Succédant à un Rheingold prolixe et confus, ce deuxième volet de la Tétralogie ne parvient pas à dissiper les doutes sur le plan scénique et musical.

Ombres errantes
Disons d’emblée, qu’à l’inverse de certaines réalisations vues récemment, le parti-pris est ici moins radical et provocant que le regietheatre d’un Günter Kramer vu récemment à Paris, et certes plus inventif que le travail de Tankred Dorst à Bayreuth. Le reproche principal réside dans cette impression de vouloir faire fonctionner des règles inspirées en droite ligne du théâtre littéraire et souvent en contradiction avec les exigences du théâtre musical wagnérien. C’est trop vite oublier que cette partition exige une immédiateté de communiquer au spectateur l’émotion du geste scénique et vocal, sans jamais le surcharger ou le dénaturer.

« Die Walküre »
Photo Teatro alla Scala

Le résultat est un plateau scénique très sombre d’un bout à l’autre, un décor relativement abstrait parfaitement adapté aux vidéos d’Arjen Klerkx et Kurt d’Haeseleer tandis que deux projecteurs jettent une lumière crue sur les chanteurs, en découpant leurs ombres sur les murs latéraux. Malgré ces éléments – somme toute assez classiques - la polémique lancée par Waltraud Meier avant la première reprochait à Cassiers de s’intéresser davantage à la technologie qu’à la direction d’acteurs.

Que dire au juste de cette technologie abusive ? Peu de chose, en réalité. On oscille entre minimalisme (lumières) et sophistication ennuyeuse (vidéos). L’alternance entre ombres chinoises et projections est relativement naïve ; les décors changent en fonction de l’état d’esprit des personnages mais on navigue entre extrême stylisation et volonté de parsemer le spectacle de références plus ou moins explicites à l’actualité (cette toile de parachute en fond de scène, éclairée par des éclairs verdâtres censés illustrer les bombardements en Irak). L’effet des projections varie en fonction des supports : illisibles car diffractées sur une sphère en rotation à l’acte II, faciles à saisir (trop sans doute) quand elles se contentent d’illustrer le foyer de Hunding (cheminée qui brûle et trophées de chasse). Le procédé dit du pixel soap renvoie à un mode de design onirique assez lénifiant et répétitif (diffusion en boucle d’un conglomérat visqueux de cadavres au III). On trouvera plus réussies les projections utilisant les pieux verticaux comme élément de spatialisation – un univers tantôt végétal, tantôt abstrait (cristaux de glace, pointes incandescentes) ou bien crypté (idéogrammes de runes sur la lance de Wotan ?).
Le seul intérêt technologique est le caractère aléatoire de ce mode de diffusion mais quand on sait que la lanterne magique existait déjà à Bayreuth en 1876…

Direction d’acteurs
La polémique est plutôt à chercher du côté de la direction d’acteurs. Dans les récits introspectifs, les personnages sont totalement immobiles. Ils sont réduits à lever les bras dans les moments de tension et les écarter pour exprimer leur dépit comme plantés derrière des pupitres invisibles, comme lors d’une version de concert. Les personnages masculins sont les principales victimes de ce traitement et ridiculisés par des costumes en peaux de bêtes et d’affreux maquillages. La mise en scène sous-exploite les qualités vocales des chanteurs, chacun sur scène chante pour soi. Comme personne ne les dirige, ils en sont réduits à se diriger eux-mêmes, avec des réussites inégales. Ici encore, ce sont les personnages féminins qui écrasent les débats.

« Die Walküre »
Photo Teatro alla Scala

Waltraud Meier puise largement au passage dans l’enseignement de Chéreau (cf. le côté "Kundry" de son jeu de séduction à la fin du I, ou lorsqu’elle émerge de son rêve au II). Elle nous offre les précieux reflets de sa Sieglinde d’antan, son engagement venant parfois au secours d’une couleur de timbre un peu fanée (inoubliable O hehrstes Wunder’…). Nina Stemme, quant à elle, allie une projection et une qualité de l’intonation avec la fougue juvénile du personnage. Même bridée par la battue, elle est la seule à s’investir aux limites du danger (son cri à Wotan au III !). Remarquables également, les aigus des hojotoho, très physiques, comme jetés hors contrôle, aux limites de la capacité de la voix. Le Hunding de Tomlinson n’effraie pas grand monde ; l’émission est terne, l’assise vocale très instable, et il peine à trouver ses aigus quand il tente de forcer le ton. Crédibilité en berne pour le Siegmund de Simon O’Neill - aigus proprets mais incarnation besogneuse. La voix est légère, pas désagréable, mais invariablement tendue avec une tendance à nasaliser et à ne plus tenir la ligne (conclusion du I). Appelé pour remplacer René Pape qui s’est retiré des représentations milanaises mais devrait retrouver les habits de Wotan lors des reprises au Staatsoper de Berlin, Vitalij Kovaljov campe un personnage errant sur scène en plein désarroi. Malgré une entrée prometteuse, la voix sombre accuse rapidement une baisse de tension et sombre dans un gris monotone. Son duo avec la Fricka d’Ekaterina Gubanova tourne rapidement à l’avantage de l’autoritaire mezzo russe. Le groupe des walkyries, coryphée statique, vocalement strident et dépareillé, résume bien ce plateau où rien ne brûle, privé d’une réelle incarnation.

« Die Walküre »
Photo Teatro alla Scala

Dans la fosse, Barenboïm choisit une direction très prudente qui permet de ne pas contrarier les voix, sauf à certains moments délicats (ouverture du III notamment), qui le contraignent à changer brusquement de battue pour rattraper un décalage devenu dangereux. Cette absence de tension crée d’inévitables tunnels en voulant substituer les moments de climax à la volonté de faire entendre le maximum de choses.
Il est à noter que le placement latéral au plateau accentue le phénomène acoustique qui donne l’impression que les cuivres noient à plusieurs reprises des cordes en manque d’épaisseur. D’une manière générale, l’orchestre est remarquable, la petite harmonie fruitée et précise, aucun accroc majeur n’est à relever, malgré la difficulté de la partition. Seule la battue distendue d’un chef en quête de sublime à la fin du III expose dangereusement les cors et le piccolo, tandis que descendent des lampes à bronzer très conceptuelles sur la pauvre Brünnhilde…

David Verdier

DIE WALKURE, de Richard Wagner - Teatro alla scala - Milan 21 décembre 2010