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Scala de Milan
Milan : “Carmen“ flamboyante

Magnifique production à la Scala, avec une Carmen originale dans la mise en scène d’Emma Dante.

Article mis en ligne le février 2010
dernière modification le 24 février 2010

par Anouk MOLENDIJK

Cette saison, la Scala ouvrait ses portes avec Carmen, chef-d’œuvre populaire de Bizet. La production présentait de nombreuses originalités, en commençant par la présence d’une géniale parfaite inconnue dans le rôle-titre, aux côtés d’un Jonas Kaufmann majestueux, sous la direction de Daniel Barenboim. Et finalement, la mise en scène était assurée par Emma Dante, qui entrait ainsi dans le monde de l’opéra de manière fulgurante.

Pour le premier spectacle de sa nouvelle saison, la Scala présentait Carmen, opéra vu et revu, souvent jusqu’à l’écœurement. Mais cette production qui pouvait s’annoncer commune et aligner les poncifs habituels, a finalement tout pour étonner, à commencer par la mise en scène. Emma Dante se mesure à ce monstre sacré de l’opéra, et tâche avec plus ou moins de réussite de dévoiler l’œuvre sous un aspect dynamique et pulsionnel.

« Carmen »
Credit : Marco Brescia /Teatro alla Scala

Les tableaux et les ensembles sont traités avec beaucoup d’originalité ; il est parfois dommage que la longueur des morceaux les rendent quelque peu répétitifs. Les relations entre personnages, surtout entre Carmen et Don José, témoignent d’un travail corporel intense, d’une chorégraphie bien étudiée. Mais parfois des stéréotypes subsistent : Carmen soulève sa jupe un peu mécaniquement, ou la chanteuse interprétant Micaëla reste face public lors de son air, comme cela se voit souvent. Mais la grande force d’Emma Dante aura été de ne pas bouleverser immédiatement le spectateur d’opéra, en lui montrant une Carmen telle qu’il en connaît d’autres, pour infiltrer sa vision propre à doses homéopathiques. Dans les grands tableaux d’ensemble se distinguent des figures curieuses, des hommes portant des croix jusqu’aux petites filles qui poursuivent Carmen comme ses doubles. L’acte de la montagne présente une esthétique intéressante, où les décors de Richard Peduzzi cessent d’être de massifs décors d’opéra et deviennent plus abstraits, mettant en valeurs des hommes-arbustes surprenants.

« Carmen » avec Anita Rachvelishvili (Carmen) et Jonas Kaufmann (Don José).
Credit : Marco Brescia /Teatro alla Scala

La vision d’Emma Dante, c’est la religion de la vie. Le catholicisme est présent dès le premier acte ; on pourrait d’abord y voir une notation sociale et historique. Mais les cigarettières semblent des nonnes, et la fumée qui se dégage d’elles n’est que celle du bain chaud qu’elles prennent sur la place du village. Carmen fait figure de Shéhérazade, de païenne, de mystique. Si la religion d’une part, d’autre part la pulsion de vie que représentent les bohémiens s’opposent de prime abord, c’est pour mieux fusionner en apothéose lors du dernier acte. La thématique de la vente du corps culmine avec des ex-votos de bras et de jambes vendus à la criée, pendant que l’on célèbre la venue d’Escamillo, sous un encensoir géant. Et c’est sur la place publique que peuvent s’unir la religion et la vie, dépassant le paganisme des bohémiens et la bigoterie d’une Micaëla.
Tout tend vers une universalisation du drame ; le conflit entre les deux personnages principaux est reflété dans les relations sociales, des plus violentes. Emma Dante nous montre des femmes battues par les soldats, s’arrachant les cheveux, la présence d’une mafia reliée au clan bohémien, des images de taureaux agonisants lors de l’air d’Escamillo… Carmen devient non pas le prétexte glorieux, mais l’emblème de cette violence. Cependant, le spectacle ne verse jamais dans le tragique, et heureusement les rires persistent dans la bouche des gens des rues.

« Carmen » avec Erwin Schrott (Escamillo)
Credit : Marco Brescia / Teatro alla Scala

A cette explosion de joie contribue la direction de Daniel Barenboim, jubilatoire, grandiose et dévoilant les finesses de cette partition si connue. Et en porte-parole de ce trésor caché, Anita Rachvelishvili, élève de l’Academia de la Scala, de seulement vingt-cinq ans, Carmen à la voix extraordinairement puissante, chaude et sombre, au médium corsé et bien timbré et aux aigus ronds et sonores. Si on peut lui reprocher une diction un peu molle du français, elle dégage néanmoins une présence scénique incontestable qui donne tout leur sens aux mots.
A ses côtés, on ne présente plus le Don José de Jonas Kaufmann, valeur sûre et sublime. Sa voix est toujours sombre et métallique, son phrasé hors pair et ses nuances exquises, tel ce si bémol final de « La fleur que tu m’avais jetée », note suspendue dans les airs. Par contre, déception concernant l’Escamillo attendu d’Erwin Schrott, assez mat et sans finesse. Pareillement pour Adriana Damato, Micaëla peu intéressante malgré la mise en scène qui lui accorde plus d’importance que d’ordinaire. Sa voix est engorgée, ses aigus étouffés, et elle n’a pas de réelle tenue vocale. L’accueil que réservera le public aux chanteurs et au chef sera à l’égal de la vivacité du spectacle, et il est juste à regretter qu’il n’en soit pas de même pour la mise en scène…

Anouk Molendijk

Représentation du 20/12/09.
www.teatroallascala.org