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Théâtre de Bâle
Bâle : “L’Orfeo“

Le Théâtre de Bâle offrait une transcription visuelle radicale de L’Orfeo de Monteverdi.

Article mis en ligne le mars 2008
dernière modification le 22 mars 2008

par Eric POUSAZ

L’Orfeo de Monteverdi est actuellement l’objet d’une transcription visuelle radicale au Théâtre de Bâle. En lieu et place des bergers arcadiens du livret, le metteur en scène Jan Bosse invite les spectateurs à assister au mariage d’un personnage fêté du show business entouré de ses amis très ‘pipoles’ …

Dès l’entrée dans le foyer, le spectateur est frappé par une décoration clinquante qui transforme l’antichambre du théâtre en salle de fête richement décorée. Dans le coin d’une galerie, un orchestre égrène quelques mélodies de danse alors que des serveurs offrent à chaque spectateur un verre de champagne.

Puis les musiciens prennent place de part et d’autre du grand escalier qui, d’ordinaire, mène aux galeries et entonnent la fanfare d’ouverture. Des invités (en fait des membres du chœur) se répartissent dans le public, alors qu’apparaît La Musica du Prologue en robe du soir brillant de tous se feux. Puis arrive une mariée voilée - tout droit issue d’un magazine de mode - vêtue d’une superbe robe d’un blanc immaculé comme il se doit ; elle esrt rejointe ensuite par son époux dans une tenue époustouflante : escarpins argentés, costume et chemise rouge sur un pull à col roulé noir, coiffure rétro qui le fait ressembler aux stars du rock des années 60. Pendant la première heure du spectacle, tout se joue dans ce foyer avec un chœur disséminé en divers endroits de la salle, des acteurs qui montent sur des tables ou prennent l’escalier d’assaut tandis que des cameramen et des photographes, flash au clair, mitraillent l’assemblée de leurs armes de prédilection pour ensuite faire projeter leurs images sur un écran géant… Après l’arrivée de La Messagère annonçant la mort d’Eurydice, les portes du théâtre s’ouvrent mystérieusement. Les acteurs du drame se dirigent alors lentement vers la salle, suivi d’un public de plus en plus étonné.

Sur la scène, aucun décor, mais un vaste rideau noir sur lequel se détache un projecteur éclairant la salle a giorno. La fosse est un trou béant symbolisant le fleuve sur lequel Charon convoie ses victimes ; l’orchestre s’installe donc dans les premiers rangs du théâtre alors que le chœur prend place un peu partout, dans les rares sièges restés vides. L’enfer se présente ensuite comme un trou noir béant, enrichi d’un grand miroir dans lequel le public, plongé dans un éclairage ‘noir’ fantasmagorique qui fait scintiller le blanc des habits et des bijoux, assume involontairement le rôle des âmes en peine à la recherche d’un hypothétique salut. Une constante utilisation de la vidéo oblige le spectateur à assister à ce qui se passe derrière lui, voire dans le foyer du théâtre tandis que le spectacle continue sur le plateau. Dans cette transcription scénique fascinante, qui pose ouvertement la question du rapport du public au spectacle qui lui est offert sous cette forme aussi éclatée, la seule faute de goût se trouve à la fin, lorsque dans une parodie d’une mauvaise réalisation cinématographique des aventures de Superman on assiste à l’envol d’Apollon et Orphée sur les toits de Bâle avant de se perdre dans un ciel étoilé du plus bel effet kitsch…

La réussite ne serait bien sûr pas aussi aboutie sans la présence des instrumentistes de la Schola Cantorum Basiliensis, dont l’orchestre baroque est plus connu sous le nom La Cetra. En vrais virtuoses, ces musiciens savent donner corps à chaque inflexion du commentaire orchestral, hissant par là même les instrumentistes au rang de protagonistes établissant un dialogue sans cesse renouvelé avec les chanteurs. On peut cependant regretter que le chef, Andrea Marcon, s’intéresse plus à obtenir des musiciens une plasticité exemplaire qu’à soigner la mise en perspective dramatique du parlar cantando, souvent réduit ici à une déclamation un rien monotone faute d’une articulation trop peu soignée du texte ; ainsi, les fautes de prononciation italienne, avec notamment un Euridice prononcé avec un ‘k’ à l’allemande, sont tout simplement impardonnables dans une soirée lyrique où la perception parfaite du mot, comme le souhaitait d’ailleurs Monteverdi, devait passer avant la jouissance purement musicale...

La distribution fascine plus par sa cohésion que par les mérites intrinsèques de chaque interprétation. De fait, aucun chanteur ne sort du lot, à commencer par l’Orfeo sonore mais peu différencié de Nikolay Borchev ou La Musica uniformément bien chantante de Yeree Suh. Dans une troupe infectée par un méchant virus grippal qui avait attaqué ce soir-là trois des chanteurs principaux (la Messagiera, la Speranza et Euridice elle-même), il est donc difficile de mettre en exergue telle ou telle contribution ; on se contentera de dire que, dans son ensemble, ce spectacle appartient sans conteste à cette catégorie d’événement musical qui justifie amplement un déplacement dans la capitale rhénane de la Suisse allemande…(soirée du 8 février ; l’ouvrage reste à l’affiche jusqu’en avril)

Eric Pousaz