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Sélection de février 2010
Livres d’art - février 2010 : Art genevois

Les éditions Favre publient un livre sur les peintres genevois, sous la plume de Christophe Flubacher.

Article mis en ligne le février 2010
dernière modification le 9 décembre 2011

par Laurent DARBELLAY

On connaît sans véritablement le connaître l’art pictural genevois. Quelques noms viennent évidemment à l’esprit – Liotard, Saint-Ours, Agasse, Calame –, mais manquent souvent une vision d’ensemble, et surtout une véritable réflexion sur les œuvres. C’est chose faite avec le volume de l’historien de l’art Christophe Flubacher, publié aux éditions Favre.

Après avoir abordé les peintres valaisans (2003) et vaudois (2008), Flubacher a choisi cette fois de se confronter aux artistes genevois, en privilégiant la période 1750-1950. Ce choix chronologique est pertinent, puisqu’il lui permet de couvrir les principaux artistes ayant œuvré à Genève, sans chercher désespérément des précurseurs avant le XVIIIe, et en évitant de se confronter à l’art contemporain genevois, qui mérite sans doute une réflexion propre.

La peinture genevoise à l’honneur
Rêvant à raison qu’un jour Genève puisse être appelée la patrie de Liotard ou de Hodler, et non seulement celle de Rousseau, l’auteur propose une intéressante étude “panoramique“ de la production genevoise, en abordant à la fois des artistes célèbres et des peintres moins reconnus, et en prenant le temps de commenter chacun d’eux. De plus, tous les genres picturaux sont traités – paysage, portrait, nature morte, scène de genre, orientalisme, etc. –, ce qui contribue à la variété du panorama. Sans avoir certes besoin d’être réhabilitée – plusieurs artistes genevois ont été de tout temps célébrés en Suisse et à l’étranger –, la peinture du bout du lac se révèle ainsi au fil des pages, et au gré d’une iconographie de belle qualité, dans sa richesse et sa complexité.
Après une riche mise en place chronologique, l’auteur propose un découpage en trois parties : « Les maîtres pionniers », « Efflorescence de la peinture genevoise » et « Un réalisme poétique par défaut ». La première se concentre bien entendu sur Liotard, sans conteste un des plus fins et délicieux portraitistes du XVIIIe, sur l’éloquence de Saint-Ours, sur les délicates vues de Genève de Pierre-Louis de La Rive, ainsi que sur les fascinants portraits de Voltaire par Jean Huber, qui dévoilent l’écrivain dans son intimité de Ferney – et pas toujours à son avantage.

Jean Ducommun, « Le repos du modèle », 1944
Collection privée, © Galerie Selano, Genève

La seconde partie traverse le XIXe siècle, et suit les différents courants qui rythment la production picturale genevoise. On découvre les subtils paysages de Wolfgang-Adam Töpffer, les élégantes scènes de chasse de Jacques-Laurent Agasse, les portraits de Firmin Massot croquant toute la bonne société genevoise. On voit comment Alexandre Calame et François Diday investissent le genre du paysage romantique et le traduisent en termes alpins, et comment, dans la seconde moitié du siècle, Albert Lugardon et Aubuste Baud-Bovy se confrontent également aux paysages montagnards, mais sur un ton tantôt apaisé, tantôt héroïque, tantôt encore spiritualisé. Enfin, on succombe évidemment à la puissance, au sens architectural, à la sérénité des toiles de Ferdinand Hodler, et on (re)découvre les tableaux orientalistes de Dufaux ou de Duval, ainsi que le Panorama Bourbaki d’Edouard Castres.
Dans la dernière partie du livre, la production des peintres évoqués est plus variable, non pas parce que les artistes genevois se tiennent souvent en marge des avant-gardes et de l’abstraction, mais car la qualité, la séduction et l’originalité des œuvres se révèlent plus aléatoires. On admire les paysages d’Alexandre Perrier, récemment à l’honneur au Musée d’art et d’histoire, les scènes sensuelles de Jean Ducommun, les paysages très sobres, voire métaphysiques, de Vallet, les natures mortes de Viollier, l’émotion des œuvres de Borgeaud. On est moins convaincu par Vautier, Barraud, Bressler.
Le livre permet également de voir comment la peinture genevoise dialogue avec les nombreux courants artistiques et avant-gardes. Parfois les échanges sont très fructueux. Le néoclassicisme d’un Saint-Ours s’inspire de David et de Girodet tout en gardant sa singularité, son sens particulier du mélodrame, et son aptitude à faire interagir paysage et scène dramatique (en particulier dans Le Tremblement de terre), tandis que l’élégance toute en retenue des portraits britanniques influence en profondeur Jacques-Laurent Agasse. Dans d’autres situations, le constat est plus mitigé. Ainsi, dans le genre de la peinture d’histoire, les toiles de Léonard Lugardon représentant Arnold de Melchtal ou François Bonivard font pâle figure par rapport aux modèles français romantiques, et même académiques.
En tous les cas, l’art pictural genevois gagne beaucoup à être mis en lumière par cet ouvrage ; on découvre certains peintres se révèlent, le talent d’autres se confirme, des jugements préconçus se voient remis en question.

Laurent Darbellay

Christophe Flubacher, « Les peintres genevois », Favre, 272 pages, 89 Frs.