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Sélection à découvrir
Livres d’art de décembre 2006

Analyse de quelques beaux livres récemment publiés.

Article mis en ligne le décembre 2006
dernière modification le 24 novembre 2011

par Laurent DARBELLAY

Cindy Sherman
Voici enfin, en français, la monographie que l’on attendait sur une des plus fascinantes photographes des 30 dernières années. Dans son art, Cindy Sherman combine une tonalité grave et des touches plus légères ou comiques, passant de la plus grande crudité ou de l’angoisse à une certaine émotion, et adoptant souvent une position post-moderne nourrie de références à l’iconographie culturelle. Au fil de ses nombreuses séries de clichés, dont elle est toujours l’unique sujet, elle explore inlassablement la représentation de soi, les enjeux de l’identité, la tension entre le réel et le simulacre, la profondeur et la surface, la possibilité incessante de se créer des vies parallèles, d’envisager des destins potentiels.
Ce volume, qui est le catalogue de l’exposition qui s’est tenue au Musée du Jeu de Paume au printemps 2006, propose un survol extrêmement complet et remarquablement illustré de l’œuvre de Sherman. On peut ainsi parfaitement suivre la progression de son travail, qui débute dans les années 70 avec la série de clichés “Untitled Film Stills”, devenue rapidement célèbre, et dans lesquels l’artiste travaille en noir et blanc à partir de multiples stéréotypes, avant tout filmiques. Par la suite, dans la série “Rear Screen Projections” de 1980, elle passe à la couleur et exploite encore plus directement l’imaginaire et la mise en scène cinématographiques. Avec les “Fairy Tales” des années 80, elle navigue entre le conte de fée et le cauchemar, et a pour la première fois recours à des prothèses et des mannequins, qui deviendront récurrents dans la suite de son travail. La série “History Portraits/Old Masters”, quant à elle, établit un rapport complexe avec l’histoire de l’art, où le grotesque et le cocasse côtoient la fascination pour l’art classique, puisqu’elle recrée photographiquement des portraits célèbres de la peinture. Plusieurs des séries suivantes impliquent des mannequins ou des poupées, qu’ils contribuent, dans les “Sex Pictures”, à déshumaniser le désir sexuel, qu’ils créent d’étranges fantasmagories dans les “Horror and Surrealist Pictures”, ou qu’ils constituent les corps tourmentés et malsains dans les “Broken Dolls”. Finalement, les séries du début des années 2000 exploitent surtout le maquillage et le déguisement.
Trois essais viennent compléter le livre. Dans le premier, Régis Durand propose une lecture chronologique très précise de l’œuvre de Sherman ; dans le second, Jean-Pierre Criqui s’interroge sur les tensions entre le vrai et le faux dans son art, et finalement la célèbre théoricienne féministe Laura Mulvey se concentre sur la question complexe du statut du corps féminin chez Sherman.
(Collectif, Flammarion, 50 euros)

100 chefs-d’œuvre de la peinture
Difficile d’isoler 100 œuvres dans un musée imaginaire de l’art mondial, et pourtant, Michel Nurisdany réussit parfaitement cette gageure. Il choisit avec pertinence des œuvres issues de tous les continents, suivant ainsi le sous-titre de son ouvrage, « De Lascaux à Basquiat, de Florence à Shangai ». Les œuvres sont généralement bien choisies, qu’il s’agisse de toiles célèbres, telles que “La Joconde”, “Le Jugement dernier”, “Olympia”, “La Nuit étoilée”, “Les Demoiselles d’Avignon”, ou de peintures moins universellement connues : “la Déposition” de Pontormo, “L’Allégorie sacrée” de Bellini, “La Pietà” d’Enguerrand Quarton, “La Trinité” d’André Roublev, pour ne pas parler de nombreuses œuvres d’art chinoises, indiennes ou japonaises. On appréciera tout particulièrement quelques choix subtils, par exemple les fresques de la Villa des Mystères de Pompéi, “La Mer de glace” de Friedrich, ou “L’Annonciation” de Simone Martini. De plus, une page de commentaire accompagne chaque reproduction, la situe dans son contexte et justifie sa présence. Un seul regret : l’absence d’une toile de Rothko, certainement le plus grand peintre de l’après-guerre.
(Michel Nurisdany, Flammarion, 35 euros)

Anselm Kiefer et la poésie de Paul Celan
Anselm Kiefer pratique souvent la citation littéraire dans son travail plastique, de Rilke à Genet, de Musil à Kleist, au point de devenir un véritable procédé de style. Dans ce champ de références littéraires, Paul Celan occupe une place particulière, car la lecture de cette poésie difficile et tragique aide Kiefer dans son travail de mise en cause de l’Histoire allemande, de l’héritage culturel allemand et de la représentation classique et harmonique après le gouffre de la Shoah. Dans son ouvrage, Andrea Lauterwein envisage avec une rigueur et une envergure tout universitaires les liens existants entre les deux artistes. Il suit l’évolution de la production de Kiefer, et montre comment les liens avec l’œuvre de Celan lui proposent des réponses à sa réflexion sur les mythes germaniques et sur l’idéologie nazie. La poésie de Celan offre également au peintre un appui indéniable pour sa démarche de deuil, deuil historique tout autant qu’éthique. Les échos de sources juives, tout comme le rapport à différents matériaux, s’inscrivent eux aussi dans ce processus d’influence.
Une remarquable iconographie, combinant peintures, dessins, photos et installations, illustre le propos tout en donnant une très bonne idée de l’œuvre de Kiefer.
(Andrea Lauterwein, Regard, 59 euros)

Laurent Darbellay