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Le goût des lettres No. 203 - [Arts-Scènes]
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Notules littéraires
Le goût des lettres No. 203
Article mis en ligne le avril 2008
dernière modification le 22 avril 2008

par Serge BIMPAGE

L’inquiétante étrangeté de Lovay 
De quoi diable faut-il être armé pour lire Lovay ? De laisser-aller, je crois, de lâcher-prise comme on dit de nos jours. Chacun de ses livres, des Régions céréalières à Cervelle omnibus, en passant par le célèbre Convoi du colonel Fürst, se présente comme du poil à gratter pour les lecteurs. Rares sont ceux qui parviennent à lire jusqu’au bout. Et pourtant tous, ou presque, d’admettre qu’un ton, une musique, une inquiétante étrangeté s’imposent peu à peu pour devenir comme ces ritournelles obsédantes : unique et inoubliable.

Jean-Marc Lovay
© Eddy Motta

Extrait du quatrième de couverture de Réverbération, en guise de présentation : « L’ancien meilleur apprenti pleureur final Krapotze espérait encore être élu Grand Suicideur, pendant qu’il emmenait son fidèle complice chez Frauline-l’Illuminatrice, là où elle ne pourrait donner naissance à l’unique brodeur de linceul pour oiseaux, le Grand Rapetissé, qu’après avoir refusé d’en pleurer la future disparition et rendu sa liberté à l’unique larme encore prisonnière de son âme.  » Mais stop, s’il est une œuvre irréductible, c’est bien celle-ci.
Certains n’y voient qu’une écriture autistique. Certes, l’écriture de Lovay ouvre sur un univers hanté par la folie, les complots et machinations. Mais tout se passe comme si le narrateur campait à sa frontière : un pied dedans, un pied dehors, posture du poète. Nulle forclusion : c’est bel et bien dans le réel que l’écrivain puise son inspiration ; pour le capturer, le phagocyter et nous le faire percevoir autrement. Comme dirait Nathalie Sarraute, Lovay écrit dans la folie – pour se relire dans la normalité.
« Réverbération », par Jean-Marc Lovay. Editions Zoé, 149 pages.

L’éclat d’Anne-Lise Grobéty
C’est un livre éclatant en dépit de la douleur du sujet, où il est question de la très ambivalente filiation mère-fille, tissée dans l’amour et la haine, cependant que le père est le grand absent du récit. Dans une somptueuse demeure anglaise, garnie d’un jardin extraordinaire, le personnage central de Jusqu’à pareil éclat, Jade Chichester, évoque son enfance près de Grace, mère recluse qui n’a pour tendresse que des phrases visant à se débarrasser de sa progéniture.
On comprend pourquoi la photographe Jade Chichester rechigne à rencontrer son admiratrice de narratrice et lui raconter son passé. La rencontre aura cependant lieu, grâce à une question sésame : celle concernant la toute première photo qu’elle ait prise… Dès lors, le livre peut se dérouler non sans malice, tantôt sur le mode du « elle » utilisé par la narratrice, tantôt sur celui du « je » figurant la photographe. Anne-Lise Grobéty dresse d’une plume confondante le portrait de cette solitude dans ce manoir métaphorique coupé du monde et labyrinthique. Les vibrations animales du parc seront de piètre recours pour la sublimer. En revanche, la découverte, dans la bibliothèque, de la poésie de Keats, de la puissance érotique de la langue, des boiseries et des greniers agiront sur la fillette de manière décisive, de même que le débarquement inopiné d’une tante aventurière, globe-trotter, photographe et homosexuelle. Avec une trame simple, l’écrivaine neuchâteloise parvient non seulement à décliner ses thèmes favoris (rapport mère-fille, privation de la parole, manque intérieur et libération féminine) mais aussi à en découdre savoureusement avec le statut ambigu de la première personne en littérature.
« Jusqu’à pareil éclat », par Anne-Lise Grobéty. Editions Bernard Campiche, 129 pages.

Le Valais merveilleux d’Alain Bagnoud
En cuisine, l’omelette est la plus difficile à réussir. Obtenir le velouté voulu, tout en respectant la singularité de l’œuf, c’est tout un art. Il en va pareillement du récit de vie. L’élever au rang de littérature, l’universaliser sans dénaturer le caractère personnel des ingrédients est une gageure.
Eh bien, Alain Bagnoud est un bon cuisinier ! Dès la première ligne (« de l’extérieur de la maison venaient les grommellements, les bouillonnements brusques qui m’avaient tiré du sommeil. Des son inhabituels enchâssés dans le bruit du torrent… »), sa Leçon de choses en un jour se déguste.
Un jeune garçon s’éveille le matin de son anniversaire. Il reçoit le plus beau cadeau qui soit, réalisant qu’il vient d’entrer dans l’âge de raison. Perspective exaltante, dont la matérialisation se révélera cependant plus ardue que prévu. Nous sommes dans les années soixante, en plein cœur d’un petit village vigneron du Valais. Le héros commence à comprendre les arcanes de cette société rurale ; sa hiérarchie, ses règles, ses désirs et ses angoisses de modernité.
Alain Bagnoud emmène son lecteur par la main dans le quotidien rugueux et merveilleux de la vigne, de la maison, de l’école et de l’église. Tout un univers où le monde semble s’être arrêté devant le seuil du progrès ; tout un monde de petites gens au cœur gros comme les montagnes avoisinantes, qui parlent un patois dont l’auteur nous gratifie de la saveur. Avec un rare talent d’évocation et une justesse de ton qui soude ce récit de longue haleine, il brosse ici un portrait lumineux du Valais que Chappaz ne renierait pas.
« Leçon de choses en un jour », par Alain Bagnoud. Editions de L’Aire, 292 pages.

Le choix de Serge Bimpage