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Le goût des lettres de mars 2011 : Audace - [Arts-Scènes]
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Le goût des lettres de mars 2011 : Audace

A propos de : « La Cour des grands », « Tam-tam d’Eden », « Genève en sept balades », « Peut mieux faire », « Le Voyage existentiel »,

Article mis en ligne le mars 2011
dernière modification le 16 novembre 2011

par Serge BIMPAGE

Voici quelque temps que Jacques-Étienne Bovard nous a habitués à son regard socio-ethno sur le microcosme helvétique. Son recueil de nouvelles, Nains de Jardin, fut un modèle du genre. A vrai dire, on ne s’habitue pas à la littérature de l’auteur lausannois, tant il nous réserve de surprises et d’audace en son regard affuté.

Quatre personnages en quête de gloire
La Cour des grands porte bien son nom. En en dénonçant la prétention, Jacques-Étienne Bovard y entre de plain-pied. De quoi s’agit-il ? D’un voyage littéraire auquel participent quatre misérables auteurs suisses romands. Le narrateur, Xavier, judoka à ses heures, doté d’une inclination littéraire plutôt sportive. Charlène, belle autrice voyageuse, dont l’écriture se cherche autant qu’elle-même. Et Borloz, motard pornographe rédigeant ses romans à la pelle. Tous auteurs de piètres romans de gare mais heureux de leur vie et dépourvus d’arrière-pensées.

Jacques-Étienne Bovard
© P. Pache

On allait presque oublier la star du voyage : Pierre Montavon, l’Ecrivain, le détestable et admirable vieux maître (devinez qui dans la réalité) autant faisant la pluie et le beau temps de l’édition romande que connu en France. Lequel, en ce périple allant de Strasbourg à Paris à l’invitation d’une association culturelle française, ne cachera pas un seul instant son profond dégoût d’être entouré de si minable équipage. De trajets en autobus en stations à l’hôtel en passant par les réceptions et une émission de télévision, chaque participant à cette inopinée promiscuité en sera pour ses frais, cherchant pathétiquement à tirer son épingle du jeu. Propulsés dans le rôle de personnages de romans, les auteurs se voient précipités dans une rude confrontation avec leurs œuvres ainsi qu’avec eux-mêmes. La vraie vie est autrement bouleversante que tout ce qu’on peut en dire.
Il est bien rare qu’un auteur, en particulier suisse, fasse autant rire. Qui plus est, l’humour de Jacques-Étienne Bovard est profond. Entre Albert Cohen et David Lodge, bien au-delà de la simple (et impitoyable) analyse sociologique, il conduit à une métaphysique emplie de poésie. « Et toi, est-ce que tu les reconnaissais ces petits livres aux couvertures lustrées, énergiques, lisses comme des miroirs, où rien pourtant ne se reflétait ? Est-ce que tu te reconnaissais toi-même dans ces titres simples, ces histoires stratifiées, ces personnages toujours les mêmes sous leurs oripeaux de marionnettes ?  »
En un scénario bien ficelé aux rebondissements savoureux, Jacques-Étienne Bovard articule ses marionnettes avec la jubilation et l’amour pour elles des grands auteurs. Très contemporaine, la langue est remarquablement maîtrisée. Et l’éternelle interrogation littéraire, qu’est-ce qu’écrire, qu’est-ce que bien écrire, discrètement présente au travers de ces désopilantes tribulations.
« La Cour des grands », par Jacques-Étienne Bovard. Bernard Campiche éditeur. 307 pages.

Elles sont belles, les nouvelles de Moeri
Antonin Moeri se fond dans l’homme. Il n’a pas son pareil, à une table de bistrot ou poussant son caddie pour, d’un coup d’œil, l’harponner comme un pêcheur, le déposer dans ses filets et l’examiner gigotant d’humanité. Et lui-même devient poisson. Se glisse dans la peau de sa proie, rit, se débat et souffre avec lui. Ayant le plus souvent pour théâtre le bord du lac ou quelque village de la Riviera, les nouvelles de Moeri scintillent en autant de tableaux impressionnistes. On cligne des yeux devant le chatoiement des portraits en miroir : un homme et une femme se disputent à une table voisine, les participants jasent au mariage d’un couple mixte, une femme confie ne pas supporter son mari qui ronfle. Vus de l’extérieur, ce ne sont que petits riens, les symptômes de menus dérèglements voilés par la quiétude et la beauté inquiétante de lieux sans véritable histoire.

Antonin Moeri
© P. Pache

Or, le mot revient quelques fois, Moeri est en alerte. « J’ai écouté le discours avec des sentiments mélangés. Il y avait, dans le regard de la femme éloquente, une étrange inquiétude. Ses paroles dithyrambiques, son enthousiasme débordant m’ont alerté ». Et si les paroles d’ouverture de la magistrate dissimulaient le contraire de ce qu’elle pense ? Si le salaud, chez le couple qui se dispute, n’était pas celui qu’on voudrait ? Si la femme du ronfleur avait aussi ses tares ? L’écrivain ne le dit pas comme ça. Avec une rare finesse, il suggère, présente la scène d’une lumière décalée.
Loin du genre scénario suspens à la chute spectaculaire, Antonin Moeri scelle ses nouvelles de son œil malicieux. Artisan consciencieux, il ne se prive pas, cependant, de nous désarçonner. Très personnel est son style, sa manière de guider son lecteur vers de fausses pistes. Comme dans la vie, où, attablé au bistrot ou poussant notre caddie, notre esprit est sollicité par une chose puis par une autre apparemment dépourvues de liens entre elles. Et voilà que tout s’éclaire, d’un sens qui semble s’imposer de lui-même.
« Tam-tam d’Eden », par Antonin Moeri. Bernard Campiche Edition. 238 pages.

Genève en sept balades
Aussi bien les Genevois que les touristes découvriront avec bonheur Genève en sept balades. On doit cet opuscule au talent de Reynald Aubert, qui s’est associé pour le texte à Titan Lacroix, connue comme designer. Dessinés, les itinéraires proposés révèlent la beauté des lieux. Notices historiques, recettes de cuisine et calembours achèvent de faire de ce guide de Genève une référence insolite et incontournable.
« Genève en sept balades », par Reynald Aubert et Titan Lacroix.

L’école vue par l’enseignant
On aime les Editions de l’Hèbe, au travers de ses plus de cent parutions, pour ses effort de mise en page simple et belle. La plume de Leyla Tatzber, autrice genevoise, y fait écho. Peut mieux faire est le roman des vicissitudes d’un enseignant en proie aux absurdités du système et à la douleur des inégalités scolaires. Le titre porte bien son nom. Sociologiquement captivant, littérairement décevant.
« Peut mieux faire », par Leyla Tazber, Editions de l’Hèbe. 159 pages.

Le Christ s’est arrêté à la Bible
C’est le livre d’un humaniste, médecin, chrétien. Qui s’interroge sans complaisance et avec courage sur sa spiritualité vivante. Constate que cette dernière, inscrite dans le cerveau, peut trouver un équilibre travaillé entre science et foi. Et déplore les ajouts pervers des siècles successifs aux préceptes simples et justes du Christ, auprès desquels il faut revenir toutes affaires cessantes.
« Le Voyage existentiel », par André Charmay. Editions Slatkine, 88 pages.

Serge Bimpage