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Laure Mi Hyun Croset : Volonté en veille - [Arts-Scènes]
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Chez les libraires
Laure Mi Hyun Croset : Volonté en veille

Un recueil de nouvelles savoureux.

Article mis en ligne le juillet 2010
dernière modification le 20 août 2010

par Rosine SCHAUTZ

Les Velléitaires est le premier livre de Laure Mi Hyun Croset. Une vingtaine de nouvelles très courtes, très ciselées, écrites avec le tranchant d’un couteau à sushi, coupe précise, régulière, esthétique. Concentrée, et savoureuse.

Il ne s’agit pas de nouvelles qui raconteraient une et une seule histoire, comme cela est souvent le cas dans les ‘recueils’, dont on croit à tort qu’ils sont un ensemble décliné en plusieurs chapitres, mais plutôt d’esquisses, de croquis, de portraits qui mettent en scène, entre autres, quelques jeunes gens sur le chemin du probable désenchantement, jeunes trentenaires, rêveurs, dont la volonté de faire est en veille. Des velléitaires. Pas encore abouliques, pas non plus forcément aquoibonistes, mais peut-être déjà veufs, inconsolés, desdichados.
L’intérêt de ce livre réside dans la séparation entre le style et le propos : d’abord, l’écriture de Laure Mi Hyun Croset est limpide, claire, classique a-t-on dit, soit, mais également très ‘moderne’, très contemporaine par certains côtés. Un peu Ponge, un peu La Bruyère : cocktail détonnant ! La rigueur objective de Ponge, l’ironie de La Bruyère, mais sans la morale du XVIIe siècle, dont on ne perçoit chez l’auteur, très renseignée, aucune nostalgie. Ensuite, les thèmes abordés qui entrent en carambolage avec ce ‘classicisme’ assumé : en effet, là, aucune mièvrerie, aucun narcissisme de lettré, de lettreux, juste la description nette, cruelle parfois, qui va à l’essentiel, ‘jusqu’à l’os’ comme le dit Laure Mi Hyun fort à propos. Une écriture anorexique ? Le qualificatif ne lui déplaît pas, tant qu’il veut dire ‘qui se rapproche du squelette, de l’architecture première’.
Livre à lire donc, dans un parc, dans un bus, au bord d’une piscine ou dans la nuit silencieuse des après-fièvres, au petit matin, livre à offrir aussi à ceux qui n’ont plus le goût ou le temps de lire, car ce livre redonne l’envie des mots qui ont de la saveur.

Saveur
De la saveur, justement, commençons par là. Il faut savoir que la belle Laure a plus d’un tour dans son sac. Non contente d’être une écrivaine raffinée, intelligente, distinguée et drôle, d’être correctrice dans des maisons d’édition, d’être prof free-lance, elle est également critique gastronomique, en mission chez les plus grands. A coups d’interviews, d’expériences culinaires, d’excursions et de reportages au cœur des saveurs sans cesse réinventées, puis analysées et commentées, elle s’est forgé une grammaire, qui évidemment en aval irrigue son écriture. Car, si la matière première est offerte à tous, là les aliments, ici, les mots, n’est pas chef qui veut, n’est pas écrivain qui veut. L’art est peut-être d’en faire quelque chose de personnel, de surprenant mais de nécessaire, de délicieux, d’inattendu, de moins ‘classique’ justement. Quelque chose d’assaisonné peut-être de manière iconoclaste, mais épicé au gramme près, quelque chose qui restituera le goût, magnifié, de la matière première. L’écriture de Croset va dans cette direction.

Homme
On le sait, ‘je’ est parfois un autre, et pour Laure, ‘je’ est souvent un homme. Pourquoi ? ‘Les discussions intimes, je les ai eues avec des hommes plutôt qu’avec des femmes, j’ai connu l’intimité des relations, la complicité, la qualité des confidences plutôt avec des hommes, mes amis, mes compagnons. Je suis à l’aise avec les femmes bien sûr aussi, mais j’ai un accès direct à ‘l’âme’ des hommes.

Personnages
J’aime adopter le point de vue de mon personnage qui se trompe sur lui-même, j’aime avancer avec lui jusqu’à la chute. D’ailleurs, je compose mes textes ‘à l’envers’. J’ai d’abord la chute, la fin, et je fais la route à rebours. L’histoire naît en moi par sa chute. Je me suis inspirée de ma vie pour créer mes caractères, je n’ai rien inventé au sens strict du terme, par exemple je suis allée dans les lieux que je décris, j’ai vu les voitures se garer devant les entrées d’immeuble. J’ai mélangé les traits des uns aux autres, j’en ai fait une sorte de mosaïque ; mes personnages sont des collages, en somme. Ils évoluent sur des chemins, mais les pistes sont barrées, car la solution qu’ils trouvent n’est finalement pas la bonne, jamais la bonne. La nouvelle s’arrête lorsque les options qu’ils avaient en tête ne sont plus.’

Laure Mi Hyun Croset

Influences littéraires
Jeune fille, j’ai beaucoup lu Proust, je m’étais promis de le relire tous les cinq ans. Mais je n’y arrive plus. Ou il faudrait que je ne relise que Sodome et Gomorrhe, ou Le Temps retrouvé, qui sont plus brutaux, plus denses. J’aime beaucoup Flaubert, le fait d’écrire à partir de rien, de creuser, comme dans Les Trois contes... Et j’aime beaucoup la littérature américaine, Ellroy, Bukowsky, Fante, même si moins maintenant. J’ai vécu à Chicago, et j’en ai gardé quelque chose, une familiarité. Je reste très attirée par cette culture, je me sens très proche de certains auteurs contemporains. Palahniuk par exemple me plaît beaucoup, depuis un certain temps déjà : j’aime son écriture au cutter.

Histoire de l’art
A un moment, j’ai éprouvé le besoin d’apprendre à voir. Je suis à l’aise dans le langage, dans la pensée, mais j’ai du mal à voir les choses, à les embrasser du regard, en une fois. Je vois des morceaux, mais le tout, très difficilement. Mes études en histoire de l’art m’ont appris à voir des touts à partir de fragments, et m’ont apporté une discipline, une rigueur, qui m’a été utile aussi dans mes études de lettres. Je suis par nature très esthète, mais j’ai appris, puis compris que forme et fond étaient nécessaires pour rendre ‘la beauté’ du monde.

Prénom
Je m’appelle Mi Hyun, je suis coréenne de naissance. Quand j’ai été adoptée, on m’a donné ce nom de Laure, et on a gardé Mi Hyun en deuxième prénom. Mi Hyun veut dire ‘claire beauté’, mais peut-être aussi ‘belle intelligence’, cela dépend de la prononciation. J’ai tenu à garder mes prénoms, parce que j’ai envie que l’on entende tout de suite que je ne suis pas que Laure, ou que Mi Hyun. Que je suis les deux.

Les mots qui comptent
Elégance, délicatesse, ironie, ambivalence, doute, rigueur, tension, équivoque, échapper, maîtrise, forme…

Les projets
J’ai envie de finir le roman que je suis en train d’écrire. En fait, mon premier livre publié est mon deuxième livre. J’essaie depuis un certain temps d’écrire une auto-fiction, mais c’est douloureux, et long. Les Velléitaires se sont intercalés dans mon projet premier, et j’en suis ravie, puisqu’ils ont l’air de plaire…

Ils plaisent en effet pour toutes les raisons que l’on aura comprises, dont par exemple ce moment qui donnera à voir l’écriture de Laure Mi Hyun Croset (Sur fond de hip hop) : ‘Il marchait sans hésitation, et tout semblait lui être parfaitement naturel. J’étais fascinée par cette vision d’une virilité à l’état brut. Comme des adolescents, nous flirtâmes assez crûment dans la loge jusqu’au moment où une pénétration parut inéluctable…’ (p.18)

Ou encore cette scène extraite de Le voyageur, qui donne un bref aperçu de ces presque-rien qui habitent, tout au long du recueil, les paroles tenues, retenues, contenues : ‘Interrompant le silence sacré, la porte de l’établissement s’ouvrit sur une fillette tzigane portant un petit accordéon rouge. La patronne se leva et dit à la fillette : « Ah non ! pas de ça chez nous. » Gilbert posa la cuisse de canard confite qu’il avait entrepris de ronger et surenchérit : « Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées ! » Tout le monde applaudit. Gilbert n’était pas seulement un grand voyageur, il savait aussi, à ses heures, se montrer un vrai philosophe.

Rosine Schautz