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Karel Bosko : L'humanisme endurant - [Arts-Scènes]
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Aux éditions Labor et Fides, Genève
Karel Bosko : L’humanisme endurant

L’historien Karel Bosko analyse le passé proche de la Tchécoslovaquie.

Article mis en ligne le juillet 2010
dernière modification le 19 août 2010

par Christophe RIME

Dernière publication en date de l’historien genevois Karel Bosko, L’humanisme endurant propose une brillante mise en perspective du proche passé de la Tchécoslovaquie, entre deux révolutions humanistes : Le Printemps de Prague et celle de velours.

Tchécoslovaquie, 1968-1989, itinéraire d’un humanisme européen
Avec doigté, l’auteur construit brique après brique l’histoire récente des fondations d’un mouvement d’idées humaniste, socialiste et libéral, celui du peuple tchécoslovaque. Et malgré les avertissements qui accueillent le lecteur dès l’introduction de ce livre « qui n’est pas un ouvrage d’histoire », celui-ci se laissera volontiers porter par une étude qui a tout d’une enquête scientifique patentée. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est ici un véritable et rigoureux travail d’historien livré par Karel Bosko – traitant d’un passé qui ne doit pas passer – un regard sur cette « autre Europe » trop longtemps déshéritée par le regard des capitales occidentales.

Cheminement d’une réflexion
La Tchécoslovaquie ou cette marge aux confins de l’Europe de l’Est – expression consacrée n’incarnant qu’une fiction accouchée de la Guerre froide – est le théâtre moderne de quelques unes des pages les plus émouvantes que l’Europe ait jamais écrites en faveur de la raison humaine, des libertés fondamentales, ainsi que de « ce qu’il y a de plus élevé dans les sociétés qui la constituent » ; cette « perle qu’est le noyau secret que chacun porte et abrite au plus profond de lui-même (…) la perle qui donne sa dignité à l’être humain ». Coincée entre deux régimes totalitaires – nazi puis soviétique – l’humanisme tchèque a bel et bien failli y être incinéré et ses cendres dispersées sur l’autel de la tyrannie. C’était sans compter sur la révolte qui allait bientôt gronder dans cette Europe sans frontières, indivisible et irréductible, non pas cette Europe de l’Est, mais cette seule et unique Europe, dont le centre des idées portant sur les moyens réfléchis par l’homme pour se réunir à lui-même s’allumait désormais un peu plus à l’Est que ce l’on aurait pu croire alors, également en Hongrie, en Pologne et ceci dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Tracés sont dès lors les cheminements d’une réflexion centrale qui s’engage face aux systèmes de terreur, par trop négligée et mise en veilleuse devant l’implacable suprématie d’une Europe dont seuls les événements secouant sa partie occidentale, ne semblent manifestement devoir faire l’histoire. Une révolte nécessaire à chaque fois qu’un régime tente de mettre en place des appareils criminels de déshumanisation qui vomissent la monstruosité d’un homme sans qualité figé dans un monde de pierre, et écartèlent ses principes d’humanité jusque dans leurs fondements éthiques les plus profonds. Arpenter l’histoire tchèque représente une formidable piqûre de rappel, qui nous revient en pleine figure : 1968-1989, c’est « penser liberté », « penser tchèque », mais surtout « penser européen ».

Construit autour de cette fourchette chronologique cohérente que nous venons de rappeler, la monographie pose les bases d’une maturation des idées, en ouvrant sur le premier président de ce frais assemblage national, sorti des ruines de la fin de l’humanité survenue en 1918 : Masaryk. Immédiatement, le ton est donné avec cet homme d’Etat et philosophe ; Masaryk l’emblème, l’étalon, l’ouvreur de chemin, cependant que loin d’écraser les figures tchèques à venir comme celles du passé, son parcours et ses idées vont les magnifier, les symboliser dans un mouvement syncrétique consacré à ce que l’humanisme sorte au jour, émergeant de trop longues années de veille et d’immersion en eau profonde et trouble. A travers la figure de Masaryk vont bientôt hurler les Mlynar, Havel, Kafka, Palach... mais aussi les Kundera, Forman, pour n’en citer que quelques uns.

Rendez-vous manqué
Le décor planté, le rideau s’ouvre sur le Printemps de Prague avant que l’auteur ne s’attaque aux rendez-vous manqués entre les humanismes Est-Ouest. A moins qu’il ne faille véritablement parler d’une seule et même essence, l’auteur nous invitant plutôt à évacuer nos visions caduques et monolithiques : la Tchécoslovaquie est bien une pièce maîtresse et incontournable d’un processus de réflexion globale, en mouvement constant, construction sans cesse inachevée des valeurs universelles et de l’identité humaine ; elle ne cesse de s’arracher des griffes de l’atavisme pour retrouver le chemin de l’Europe libre, comme nous le comprenons aisément à la lumière de cet extrait éclairant : « Prague est demeurée un ailleurs lointain et brumeux, avec laquelle ni Paris, ni Bonn, ni Londres, ni Rome ne se sentaient liés sur le plan politique, et moins encore sur le plan culturel... Alors même que là-bas, les journalistes, les écrivains et une large fraction de la population vivaient la floraison du Printemps comme un arrachement à « l’Est » satellisé, comme un « retour à l’Europe ».

Bien loin d’en être un wadi exotique, la Tchécoslovaquie en est en fait un des coeurs palpitants où une idée certaine de l’homme y est demeurée, fière et en résistance. Vient ensuite la révolution de velours qui verra ses efforts récompensés par la « fin d’un mur » – ce qui devrait toujours être l’occasion d’une fête au sein des civilisations – qui n’avait que trop perduré et oppressé des peuples et des cultures avides d’indépendance et de souveraineté.

Le discours historique est clair, la plume peut-être un peu plus libre qu’à l’accoutumée – mais sur un ton qui par ailleurs s’accorde bien à la thématique présentée – le tout ficelé par un travail de sources minutieux, par des choix de terminologies calibrées et dont les sens ont été savamment disséqués, par un appareil critique et une bibliographie enfin, conséquents et pertinents ; le résultat vaut le « détour » puisqu’il émet la brutale constatation que tous les Quisling de l’histoire ne suffiront pas à briser un seul Jan Palach.

A l’heure de refermer ce vibrant hommage rendu par Karel Bosko aux hommes de l’Europe orientale et centrale, ainsi qu’à leurs luttes, le terme épilogue posé en lieu et place d’une conclusion, nous rend très subtilement attentifs au fait que l’histoire en général, et l’histoire de la pensée humaniste en particulier n’a ni frontières, ni vision finie, mais est bien plutôt work in progress et que tous les barbelés du monde ne sauraient affaiblir ce qu’elle a de plus fort à nous enseigner : « La dignité humaine n’existe ni ne se défend au futur » comme nous le remémore Zdenek Mlynar. Un « détour » par les perles tchécoslovaques suffira à nous le rappeler si tant est que nous eussions eu l’audace de l’oublier.

Christophe Rime

Bosko, Karel, « L’humanisme endurant », éditions Labor et Fides, Genève, 2010.

Pistes biographiques :
Karel Bosko est professeur d’histoire à Genève, au Collège et à l’Université (Lettres). Il est au bénéfice d’une formation en histoire médiévale et contemporaine. Ses chantiers d’investigation et de publication parcourent les domaines de l’histoire religieuse (hérésies) et politique (résistance non-violentes, essor des Etats-providence).