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Genève : Nouveautés littéraires - [Arts-Scènes]
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Editions Notari
Genève : Nouveautés littéraires

Regards sur les ouvrages nouvellement édités.

Article mis en ligne le février 2011
dernière modification le 24 février 2011

par Françoise-Hélène BROU

Les Editions Notari, fondées en 2006 à Genève par Luca et Paola Notari, axent leurs intérêts dans deux domaines spécifiques : les livres sur l’art et les livres pour la jeunesse. Dans le domaine de l’art, les éditeurs cherchent en particulier à tisser des croisements originaux entre artistes et écrivains.

Montagnes en gestation
Texte de Michel Butor, illustrations de Catherine Ernst, préface de Marcel Cottier, traduction en allemand de Flurin M. Spescha, 119 pages, Editions Notari, Genève, 2010.
Dans cet opus appartenant à la collection CuriosArt, nous découvrons une suite de quelque quarante textes poétiques de Michel Butor mis en regard avec une série de paysages imaginaires de Catherine Ernst. Cette collection propose d’explorer des écrits d’artiste, des aspects inédits ou méconnus d’un artiste ou d’une œuvre, ou dans ce cas précis une rencontre entre un écrivain et une artiste. Travail à quatre mains ; signes, traits et couleurs concourent à évoquer successivement la fluidité rocailleuse, la sinuosité verbale, les cascades sémantiques et gestuelles.

« Montagnes en gestation », interieur 21

La métrique de Butor est resserrée sur la forme de l’heptasyllabe, vers impair réputé instable, et peu utilisé sinon par Verlaine (Sagesse), mais vif et sautillant qui convient aux pièces courtes. Le choix est particulièrement approprié dans cette situation évoquant l’image de la montagne. Le poète a en outre supprimé toute ponctuation, c’est-à-dire une autre forme de structuration (ou de stabilité), renforçant ainsi les effets de verticalité et de stratification, vers le haut et le bas. La partie graphique de Catherine Ernst construit des espaces à l’encre noire et aux vides blancs, d’autres couleurs surgissent, celles de la terre, des eaux, de la végétation. Le geste est ample et puissant, à l’image des forces telluriques qui ont dressé et plissé ces montagnes.

Artistes à Genève, De 1400 à nos jours
Sous la direction de Karine Tissot, Texte bilingue français/anglais, 750 pages en couleur, Editions Notari et L’Apage, Genève 2010.
Cet ouvrage imposant et richement illustré propose de porter à la connaissance du public l’étendue des pratiques de l’art à Genève, entre 1400 et notre époque, soit environ six cents ans d’histoire. Les moyens importants dont ont disposé les rédacteurs du recueil aboutissent en effet à un résultat remarquable, tant du point de vue informatif que visuel. Cet ouvrage constitue désormais un point de référence incontournable dans le dispositif bibliographique et référentiel de l’histoire de l’art suisse. Pourtant ces efforts ne parviennent pas à masquer un certain nombre d’ambiguïtés fort dérangeantes. D’abord concernant le genre de l’ouvrage ; l’introduction précise qu’il se « dégage de toute ambition encyclopédique », ce qui semble curieux dans un objet comportant 672 pages, présentant quelque 350 artistes actifs à Genève, entre la fin du Moyen Age et aujourd’hui. La visée historique et stylistique est également gommée du propos ; en effet le choix d’un classement alphabétique des noms d’artistes, permet selon les auteurs : « d’éviter les oppositions de périodes de l’art au nom d’une vision de progrès et contrecarre l’idée d’une histoire exclusivement évolutive. »

« Artistes à Genève », p 116-117 : Alexandre Calame « L’Orage à la Handeck », 1839
Huile sur toile, 190,2 × 260 cm, Genève, MAH (1839-1)

Ce présupposé renvoie à la méthode de « déconstruction », concept philosophique postmoderne, forgé par Heidegger et systématisé dans l’œuvre de Derrida, qui assume pleinement la rupture avec l’histoire, la société, les traditions techniques et figuratives. La méthode, utile dans une approche critique, entraîne toutefois dans ce type d’ouvrage plusieurs effets pervers. D’abord la sélection aléatoire des artistes : « Refléter 600 ans d’histoire en un seul volume impose des limites matérielles entraînant d’inévitables restrictions, et il a parfois été bien difficile de renoncer à certains noms. » A cet aveu d’incomplétude s’ajoute un autre effet réducteur qui consiste à traiter sur le même pied d’égalité un Alberto Giacometti et des artistes peu ou pas connu, soit deux pages indifféremment consacrées à chacun. Un tel choix rédactionnel ne permet pas de hiérarchiser les valeurs (pourtant déclarées comme un critère de sélection déterminant), avec pour résultat de créer un fourre-tout peu représentatif et objectif. Enfin si des priorités avaient été fixées, plus d’artistes auraient pu être intégrés à cette somme, évitant en cela des omissions regrettables.

Mille et un visages ou le Je en jeu : Antoine Sevilla
Texte de Jacques Roman, peintures et dessins d’Antoine Sevilla, 56 pages, Éditions Notari, Genève, 2010.
Paru dans la collection Qu’Art est : ce qu’Art est, le petit opuscule constitue un exemple de cette approche au carrefour des arts plastiques et de la littérature. L’auteur a déjà écrit une trentaine d’ouvrages dans des genres divers : prose et recueils poétiques, livres d’artistes, pièces de théâtre et œuvres radiophoniques. Ici Jacques Roman présente une série d’autoportraits dessinés de son ami le peintre Antoine Sevilla. Les dessins, tous au format identique, montrent le peintre endossant une multiplicité d’identités : militaire, roi, pirate, pilote, et dont certaines grâce à quelques traits spécifiques sont reconnaissables, comme Calvin, Zorro ou Sherlock Homes.

« Mille et un visages », interieur 53

L’art du portait et de l’autoportrait entrent dans une relation ambiguë, le Je de l’artiste s’efface, ou se retire, pour épouser celui de l’Autre. Plus qu’un transfert identitaire, l’écrivain montre que nous sommes dans un jeu de travestissement et de miroirs « où l’œil ne fixe que le tain du miroir ». Non sans humour et stylistiquement appuyé par un trait de caricaturiste, le visage d’Antoine Sevilla s’affuble de masques, chapeaux, casques, lunettes et autres accessoires carnavalesques. L’ironie de la mascarade est que ces masques ne cachent rien, « ce que le masque voudrait masquer, il ne le peut. » Avec ses mots, Jacques Roman participe au bal masqué de Sevilla, et sans le démasquer il montre simplement que ces dessins ne sont que le « miroir qui nous tend les rêves de notre visage ».

Françoise-Hélène Brou