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Feuilleton littéraire No. 200 : La fièvre des prix

Commentaires sur l’attribution des prix littéraires 2007.

Article mis en ligne le décembre 2007
dernière modification le 29 janvier 2008

Comme chaque année à pareille époque, la francophonie — ou plutôt Paris — est gagnée par la fièvre des Prix. Manœuvres occultes, petits arrangements entre amis, trahisons de dernière minute : tout concourt à maintenir à la fois le suspense et une sourde atmosphère de complot dans le monde littéraire. And the winner is…

Cette année, en remportant le Goncourt, le Renaudot et le Prix Novembre, Gallimard semble gagner sur tous les fronts, ne laissant aux autres éditeurs (parisiens) que des miettes. Le Goncourt, tout d’abord, à Gilles Leroy. Le Prix le plus prestigieux, car le plus « vendeur ». En effet, on estime habituellement qu’un Goncourt moyen vaut entre 200’000 et 300’000 exemplaires (l’an dernier, Les Bienveillantes, le gros roman de Jonathan Littell s’est vendu à plus de 750’000 exemplaires !). Mais aussi le Renaudot, attribué cette année à un auteur déjà starifié : Daniel Pennac, pour Chagrin d’école. Le Prix novembre enfin, créé en 1989 par Philippe Dennery et décerné par un jury où règne en maître Philippe Sollers, a récompensé un roman touffu et confus de Yannick Haenel, Cercle, publié chez Gallimard, dans la collection de… Philippe Sollers !

Zelda la Magnifique
Mais à tout seigneur, tout honneur ! Gilles Leroy, lauréat du Prix Goncourt 2007, n’est pas un inconnu. Loin de là. Cela fait une vingtaine d’années qu’il publie régulièrement romans et récits qui retiennent l’attention des lecteurs (et dont SCENES a souvent rendu compte). Resté fidèle au Mercure de France (dirigée par Isabelle Gallimard, la sœur d’Antoine, PDG de Gallimard), Gilles Leroy fait preuve, dans chacun de ses livres, d’un talent à la fois subtil et singulier. Dans Alabama song, Leroy a choisi de raconter la vie de Zelda Fitzgerald, la femme de Francis Scott, l’auteur inoubliable de Gatsby le Magnifique. Couple mythique des années folles, les Fitzgerald forment, on le sait, un couple tragique où l’un noie sa dépression dans l’alcool, quand l’autre est méthodiquement détruite par des internements psychiatriques musclés.
« Aujourd’hui, des psychiatres sont revenus sur le diagnostic de schizophrénie pour laquelle on la soignait, explique l’auteur. Il semble qu’elle ait été en fait maniaco-dépressive ». Avec passion et discrétion, Leroy s’est glissé dans la voix de Zelda pour raconter les années tourbillonnantes, excessives et malheureuses d’une femme trop libre, entravée par un mari jaloux, à une époque où le conjoint a tous pouvoirs sur sa femme. Gilles Leroy est tombé amoureux de ce couple à 20 ans, au moment où naissait son envie de devenir écrivain. L’engouement pour Francis Scott passe, la sidération pour Zelda dure : « J’ai beaucoup lu la littérature américaine depuis vingt ans. Le roman de Zelda, sa correspondance m’intéressent autant : sa plume est dérangeante, contemporaine ».
Ainsi, après la vie de Marilyn Monroe revisitée par Michel Schneider (Prix Goncourt 2006), la vie tumultueuse de Zelda Fitzgerald ! Décidément, Bernard Pivot et ses pairs du Goncourt aiment les destins tragiques de femmes…

Daniel Pennac, photo C. Hélie Gallimard

Le cancre Pennac
Pendant que les Goncourt décernaient leur prix à Gilles Leroy, les Renaudot ont étonné tout le monde en donnant le leur à Daniel Pennac. Chagrin d’école (Gallimard) ne figurait pas dans leur dernière sélection – ni d’ailleurs sur aucune liste d’automne. Ce qui a provoqué l’ire de Christophe Donner, qui était favori…
Les jurés Renaudot aiment bien se distinguer : en 2006, ils avaient couronné le roman inédit d’un auteur mort, Suite française d’Irène Némirovsky (Denoël). Sans doute comptent-ils dans leurs rangs d’anciens mauvais élèves, touchés par les souvenirs contés dans Chagrin d’école. « J’ai pensé qu’en tant qu’ancien cancre, cela lui ferait très plaisir d’avoir pour une fois un prix d’excellence », a déclaré le président du jury de cette année, Patrick Besson.
Chagrin d’école aligne les piteux bulletins, les notes apocalyptiques, les redoublements inévitables. Certains profs se déchaînent, ainsi celui qui se réjouit de noter au-dessous de zéro : « Moins trente-sept en dictée, Pennacchioni (le vrai nom de Pennac), la température est de plus en plus basse. » Chagrin d’école finit bien. Le cancre las a rencontré des enseignants mieux intentionnés. Il y en eut un pour lui demander d’écrire un roman plutôt qu’une rédaction. Il y eut l’amour d’une hypokhâgneuse, enfin, pour donner un peu de confiance en soi au malheureux candidat au bac. Devenu professeur à son tour, Pennac allait trouver les mots pour porter la bonne parole. Et devenir le romancier à succès que l’on sait.

Prix Novembre 
C’est l’écrivain Yannick Haenel, 40 ans, auteur, déjà, d’Evoluer parmi les avalanches (2003) et d’Introduction à la mort française (2001), qui a remporté, de haute lutte, le Prix Novembre, généreusement doté par Pierre Bergé de 30’000€euros. L’intrigue ? Le narrateur du Cercle décide un matin de ne pas se rendre à son travail et de dire non au « troupeau » et à une vie « rétrécie ». Double de l’auteur, il va rencontrer une danseuse qui l’ouvre à la légèreté du monde et découvrir « l’existence absolue ». Ce roman foisonnant de près de 500 pages a notamment figuré début septembre sur la première sélection du Goncourt.
Post Scriptum : Gallimard fait plus fort encore, cet automne, avec le prix Femina attribué à Éric Fottorino (par ailleurs directeur de la rédaction du journal Le Monde) pour Baisers de cinéma. Quant au prix Médicis, c’est Jean Hatzfeld, ancien grand reporter pour Libé et écrivain de talent, qui l’obtient pour La Stratégie des antilopes (Seuil), un livre qui oscille entre récit et essai.

Jean-Michel Olivier

* Alabama Song de Gilles Leroy, roman, Mercure de France, 2007.
** Chagrin d’école par Daniel Pennac, Gallimard, 2007.
***Cercle par Yannick Haenel, roman, Gallimard, 2007.