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Entretien : Serge Bimpage - [Arts-Scènes]
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Entretien : Serge Bimpage

Le dernier roman de Serge Bimpage est une interrogation poignante sur l’amitié, le mitan de la cinquantaine et le sens de l’existence

Article mis en ligne le février 2008
dernière modification le 2 février 2008

par Laurent CENNAMO

« L’amitié contient de l’amour, jamais l’inverse ». Le dernier roman de Serge Bimpage, Pokhara (Editions de L’Aire) est une interrogation poignante sur l’amitié, le mitan de la cinquantaine et le sens de l’existence. Entretien avec son auteur.

Viktor et Léon, les deux protagonistes de votre roman, effectuent un "trekking" dans les montagnes du Népal. Il s’agit en fait de retrouvailles...
A vrai dire, ils ne se sont jamais perdus de vue ! On pourrait même dire qu’ils n’ont jamais cessé de se tenir à l’œil, de guetter l’évolution de l’autre. C’est le lot de l’amitié. Dans La chute, Camus montre comme l’amitié se conquiert péniblement, après quoi « il faut faire face » : à la différence, à la singularité de l’autre, ce qui exige beaucoup de maturité. Une douloureuse confrontation de cet ordre avait eu lieu vingt ans auparavant, justement à l’occasion d’un « trekking » dans l’Himalaya. Or, Viktor ne l’avait pas supportée. C’est pourquoi, d’un accord tacite, ils décident de renouveler l’aventure en fêtant leur cinquantième anniversaire au même endroit. La métaphore est celle du mitan de la vie. On dresse le bilan ; douloureux dans la mesure où les portes des possibles se referment une à une ; merveilleux dans celle où l’on peut bénéficier du bien si précieux de l’amitié…

Serge Bimpage

Bien qu’amis, Viktor et Léon ont fait des choix de vie fort différents, antinomiques même.
La double question posée dans « Pokhara » est la suivante : comment, dans l’amitié, atteindre ce point de hauteur qui transcende des manières radicalement opposées d’envisager le monde ? Et comment vivre heureux dans un pays qui a tout pour l’être ? Viktor représente en effet l’image inversée dans un miroir de Léon. Le premier cherche à « s’en sortir sans sortir », son combat est celui d’accepter de vivre le plus harmonieusement possible dans le quotidien d’une existence convenue. Le second se rebelle, traque le romanesque, estime que vivre revient à le faire comme un héros de roman, il est convaincu que les grands hommes s’inscrivent dans la rupture.

Le personnage de Léon est vaguement inquiétant. Comment qualifier son rapport au monde et au langage ? Qu’est-ce qui pousse Viktor à comparer son camarade au personnage de Don Juan ?
Des deux, Léon apparaît le plus solide, c’est la figure de l’aventurier. Or, au creux de ses doutes, c’est Viktor qui finit par tenir le couteau par le manche. Il perçoit qu’au fond, Léon est aussi inquiet qu’inquiétant, déstabilisé que déstabilisant. C’est un Don Juan des temps modernes. Il veut toujours être ailleurs ; il est dans la vitesse, l’impatience, la séduction, l’insatisfaction et finalement la destruction.

Quel est la place des femmes dans Pokhara ?
Pour Viktor, la femme constitue l’élément stable, en même temps que la muse, qui lui permet de s’en sortir sans sortir. Elle est ce lien tangible à l’existence qui lui permet de trouver la paix intérieure. Tandis que pour Léon, elle représente un obstacle à son absolu de conquête. Cela dit, les femmes n’apparaissent qu’en contrepoint dans « Pokhara » car, c’est curieux, l’amitié contient l’amour mais jamais l’inverse.

Pokhara est également un roman sur l’expérience très particulière de la marche en haute altitude. Quelles "variations" cette pratique opère-t-elle sur le corps et l’esprit des deux hommes ?
Celles de cette tension entre la lourdeur du pas du montagnard et l’allégement, la purification progressifs de l’esprit. Ici encore, métaphore : c’est une démarche qui s’apprend au fil du chemin. Au début, on marche lentement, on cherche son rythme en même temps qu’on élimine les mauvaises pensées comme des toxines ; puis vient cet état où le corps et l’esprit se soulèvent, comme les moines en lévitation, débouchant sur une ivresse qu’il convient à son tour de maîtriser !

Etes-vous un grand voyageur ?
Je le fus. J’ai écrit ce livre au nom de ce que je voudrais plus être.

Pokhara : un roman d’amitié ou un roman d’amour ?
Un livre sur l’amitié, incontestablement. Cependant l’interrogation sur cette amitié amène les deux hommes à s’interroger sur leur manière de voir le monde, sur leur façon et leur capacité d’aimer. De sorte touche en filigrane au roman d’amour.

Quelles sont vos influences littéraires ?
Elles sont nombreuses, je n’ai pas d’écrivain fétiche. Mais j’ai été marqué par deux rencontres. D’abord celle de Marguerite Yourcenar, dans sa maison de Petite Plaisance aux Etats-Unis. Elle a eu cette petite phrase frappante : « Le monde est une prison. Comment être assez fou pour mourir avant d’en avoir fait le tour ? » Quand j’étais jeune, j’avais effectué un tour du monde dix-huit mois ; dans cette aventure, je me cherchais. Or, cette immense écrivaine, dans sa vie, ses livres et ses propos, a exprimé ce que je pressentais : il faut commencer par explorer la planète, puis la sienne propre, intérieure. Chaque fois que je la relis, j’éprouve le vertige de sa merveilleuse hauteur d’écriture, tout comme pour Céline.
Ma deuxième rencontre décisive est celle d’Agota Kristof. Dans son petit appartement de Neuchâtel, elle m’a confié : « C’est en devenant rien du tout qu’on devient écrivain ». Elle n’avait que faire du succès. Son écriture reflète son exigeante humilité métaphysique. Au point d’affirmer que la vie en Suisse n’est pas forcément plus aisée que la guerre en Hongrie…

Propos recueillis par Laurent Cennamo