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Editions Bernard Campiche
Entretien : Philippe Morand

Théâtre en CamPoche : retour sur une collection de référence... avec Philippe Morand, homme de théâtre.

Article mis en ligne le mars 2011
dernière modification le 21 mars 2011

par Rosine SCHAUTZ

La collection Théâtre en CamPoche des Editions Bernard Campiche se voit hélas contrainte de stopper son entreprise au printemps 2011 pour des raisons économiques - à moins d’un coup de théâtre, philanthropes s’annoncer ! - après la publication d’environ 12’000 pages consacrées au théâtre et plus précisément aux œuvres théâtrales contemporaines.
Philippe Morand, directeur des titres Enjeux et Répertoire, revient sur l’épisode soutenu par la Société Suisse des Auteurs (SSA) et initié en 2004.


Tant de mots polis
tant de gestes assouplis
par l’urgence
par l’effort
pour la lente recomposition
des corps
textuels et charnels

La Fissure
, Ph. Morand

Comment est née cette aventure éditoriale ?
Philippe Morand : Au départ, notre idée à Bernard Campiche et moi-même était d’éditer ce qui nous paraissait important et pertinent en termes d’écritures dramatiques d’auteurs romands. J’ai donc été chargé de mettre sur pied une ligne éditoriale forte, identifiable et de référence. On m’a donné carte blanche, et j’ai pu effectivement mener à bien des projets qui me semblent aujourd’hui cohérents et qui je l’espère feront date dans l’histoire du théâtre suisse de langue française. Il faut noter que le défi était de taille car la réalité de l’édition et a fortiori de l’édition d’œuvres théâtrales est extrêmement difficile. Le public, principalement composé des praticiens du théâtre, comédiens, directeurs d’institutions et responsables artistiques, n’est pas très motivé, malheureusement, par la lecture de pièces. Beaucoup de gens pensent en effet, et le disent, qu’il leur est fastidieux de lire des pièces, comme s’ils devaient faire preuve de plus d’imagination que lors d’une lecture de romans. Pourtant, on le sait, il s’agit ici d’une sorte de cliché, véhiculé de générations en générations, mais qui à mon sens n’a pas lieu d’être. Avec un peu d’entraînement, on peut très bien lire ‘en trois dimensions’, c’est-à-dire se figurer les personnages, les décors, les gestes, les atmosphères, et entendre en soi les voix et les bruits.
Cette double collection a donc aussi pâti de ce type d’a priori.

Philippe Morand

Que veulent dire Enjeux et Répertoire ? Enjeux, théâtre en puissance, et Répertoire, théâtre en acte pour reprendre une catégorie philosophique ?
La collection se déclinait, et continuera de se décliner, car quand bien même elle s’arrête au printemps, elle perdurera, sinon dans les mémoires, du moins dans les bibliothèques et dans l’histoire du théâtre romand, cette collection, donc, propose deux axes bien distincts : Enjeux regroupe en un volume plusieurs auteurs contemporains, et Répertoire regroupe en un ou plusieurs volumes toutes ou plusieurs pièces d’un seul auteur. Ce dispositif permet de promouvoir des auteurs moins connus dont l’écriture est belle, structurée, poétique, significative d’un moment et d’un lieu, tout en rendant hommage à des auteurs plus confirmés dont on ne monte peut-être pas toujours les pièces, pour de nombreuses raisons dont nous, nous n’avions pas à nous soucier. Je tiens d’ailleurs à insister sur le fait que je n’ai jamais édité dans ces deux collections des pièces que j’aurais aimé jouer ou mettre en scène personnellement. Au contraire, j’ai tenu à valoriser des écritures qui pouvaient donner l’envie à d’autres que moi de s’en emparer, et cela, je l’ai fait dans le but de montrer la représentativité des écritures de chez nous.

Que pouvez-vous dire, justement, de l’écriture suisse contemporaine ?
En parcourant les 130 pièces publiées, je crois que l’on s’aperçoit vite qu’il n’y a pas une seule tendance dans l’écriture dramatique contemporaine suisse, mais bien une somme d’écritures, de thématiques, qui transcendent les époques et les conceptions du théâtre proprement dit. Cela est valable à l’échelle de la Romandie, mais aussi à celle, plus vaste, de la francophonie, et cela est certainement aussi le cas dans d’autres langues. Par ailleurs, on observe que les jeunes auteurs dont nous avons publié les premières œuvres ont continué leur chemin, et proposent aujourd’hui des pièces plus abouties, plus travaillées parfois, ou disons plus compliquées dans les situations inventées. Cette collection a donc su à la fois défricher des territoires et donner l’envie aux auteurs de se dépasser, voire de se surpasser.

A l’heure du bilan, quels regrets ? Quels espoirs ? Quels souvenirs ?
L’heure du bilan, je ne sais pas si j’aime ce mot… Mais il reste que j’ai accompli ce que je voulais, comme je le voulais. Au départ, j’avais en tête une figure architecturale composée de 4 piliers, que je me dessinais comme les 4 piliers d’un temple appelé l’écriture dramatique suisse romande. Il s’agissait de Gaulis, Liengme, Viala et Probst. Je n’ai pas commencé en éditant Gaulis, mais ce sera le dernier livre que nous publierons, de manière à terminer le ‘travail de construction’ de ce temple que je m’étais assigné. En termes de souvenirs, j’en ai plusieurs : les quantités extraordinaires de pièces que j’ai lues dans la perspective d’une publication, les allers-retours chez les auteurs pour retravailler les détails, et parfois les auteurs ne sont pas très ‘disposés’ à se remettre à la table, les nuits blanches au service du théâtre, de l’écriture théâtrale. Et, pour être tout à fait franc, je m’étais promis d’arrêter au moment de la sortie des œuvres (5 pièces) du regretté Louis Gaulis. Donc, l’aventure pour moi se terminait de toute façon cette année.

Des projets pour 2011 ?
Oui, beaucoup de choses, très diverses. Je me suis, toute ma vie, ‘démultiplié’… Je reste directeur du Théâtre Alambic à Martigny1, ainsi qu’à la tête de l’Ecole du Théâtre de Martigny, je joue bientôt dans la Musica deuxième de Duras mise en scène par Sireuil à Bruxelles, j’ai des écrits en suspens aussi, et puis… je me réjouis de lire, enfin, pour moi !

Propos recueillis par Rosine Schautz

1- Programme complet de la saison : http://www.theatre-alambic.ch/