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Chez les libraires
Beaux livres de musique - décembre 2009

Regard sur : Beethoven illustré par Wasselin, et sur Karol Szymanowski.

Article mis en ligne le décembre 2009
dernière modification le 9 décembre 2011

par Pierre-René SERNA

Beethoven illustré par Wasselin
On a beaucoup écrit sur Beethoven, mais jusqu’à présent les manuscrits du compositeur étaient restés à l’écart du grand public et des lecteurs. Cette lacune est désormais comblée grâce à Beethoven, les Plus beaux Manuscrits récemment paru aux éditions de La Martinière.

Christian Wasselin
© Sabine de La Grève

L’auteur, car il en fallait un pour éclairer, guider, faire partager la passion engendrée par la matière de l’ouvrage, n’est autre que Christian Wasselin. Les habitués de Scènes Magazine apprécient sa plume alerte et élégante. Ils savent peut-être moins que lui reviennent différents livres musicaux : Berlioz ou le Voyage d’Orphée (aux éditions du Rocher), Berlioz, les Deux Ailes de l’âme (Gallimard, collection Découvertes), Clara ou le Soleil noir de Robert Schumann (chez Scali), pour ne citer que les plus notables. Mais Wasselin est tout autant le signataire de romans (Rue du Bois de la lune, chez Aléas), de pièces dramatiques (la Ville inoubliée, donnée en son temps à France Culture ; le livret des Orages désirés, opéra sur une musique de Gérard Condé) ou de multiples chroniques littéraires, lyriques et musicographiques. Car c’est d’un écrivain complet qu’il s’agit, et parmi les plus remarquables par les vertus du style alliées à une palpitation des images, un sens de la métaphore que l’on oserait qualifier de poétiques.
Autant dire que ce Beethoven richement illustré vaut presque davantage, sinon mieux, pour sa teneur rédactionnelle ; quand bien même l’auteur est aussi celui du choix minutieusement sélectif des pièces présentées (avec la collaboration de Roselyne de Ayala). C’est l’invite à un vaste voyage, à travers la vie d’un grand artiste, ses affres et ses victoires, ses tourments et ses joies, qui nous est contée. Les nombreux documents reproduits, copies multiples de manuscrits, tableaux et images d’époque, se replacent ainsi dans le contexte qui les ont vu naître, avec une rigueur d’informations qui se combine du plaisir de la narration enlevée. Nous apprenons que Beethoven fut désigné en son temps comme le “Spagniol”, l’Espagnol – et il est vrai que la ressemblance physique, dans les portraits au fil des pages, est frappante avec son contemporain Goya, artiste dont le rapprocheraient l’esthétique tempétueuse et une même surdité ; nous découvrons, chemin faisant en compagnie du héros et de son ardent commentateur, au détour de lettres ou d’extraits de partitions, les esquisses d’une Dixième Symphonie, un projet d’opéra sur Faust, le texte intégral du fameux Testament de Heillingenstadt, mais aussi les soubresauts et épiphénomènes de l’Histoire (“Revanche de la poudre des perruques sur celle des canons”), les amours mort-nées, les compagnons de route (Haydn, Cherubini, Rossini…), les ambitions démesurées, les certitudes orgueilleuses, les accomplissements magnifiques d’un être qui “a commencé à remuer les mondes de mélancolie et de désespoir amassés comme des nuages dans le ciel intérieur de l’homme” (Baudelaire).

Karol Szymanowski
Karol Szymanowski, dont le Roi Roger avait clôt la précédente saison de l’Opéra de Paris, fait l’objet d’un ouvrage capital et essentiel dû à Didier van Moere (Fayard). Un livre qui manquait dans la littérature francophone, pour un compositeur dont on commence seulement à redécouvrir l’importance.
Szymanowski (1882-1937) connut pourtant une sorte de gloire de son vivant, non moindre que celle de Bartok, Stravinsky ou Prokofiev dont il est à la croisée de leurs chemins. Car, comme les derniers cités, rien de plus universel que l’art de ce musicien polonais. Sa vie même en constitue le reflet, qui voit le personnage naître en Ukraine, poursuivre sa formation en Pologne, émigrer à Paris, puis partir à la quête de toujours plus de soleil vers la Côte d’Azur, l’Italie, l’Espagne, l’Afrique du Nord. Dans la capitale française, il sera un musicien fêté par Ravel et Lifar. Son esthétique pourrait s’associer à celle des courants impressionnistes et symbolistes, mais teintée d’éclats à la Richard Strauss et d’un feu à la Scriabine. Ces rapprochements ne sauraient cependant réduire une musique profondément personnelle où les accents des racines polonaises s’élèvent à la dimension d’une création originale qui dépasse temps et espaces.

« Le Roi Roger » à Bastille, avec Mariusz Kwiecien (Le Roi Roger), Olga Pasichnyk (Roxana).
Crédit : Ruth Walz / Opéra national de Paris

Didier van Moere a consacré trente ans au compositeur, à la suite d’une passion née dans sa jeunesse puis alimentée par de nombreux séjours en Pologne. C’est donc d’une somme qu’il s’agit, où rien de la vie (jusque dans des mœurs que l’époque réprouvait) et de l’œuvre (exhaustivement) du musicien n’est oublié. Pour autant, le livre reste éminemment personnel, portant la griffe et l’état des recherches propres d’un musicographe éprouvé et à la plume raffinée. On regrettera quelques étiquettes passe-partout (“modernité” ou “romantisme”, qui demanderaient à être mieux définis pour leur donner sens), mais le style emporte une lecture où la science se conjugue du plaisir et de la surprise. À lire et relire, pour y puiser indéfiniment des informations renouvelées et se laisser mener par une œuvre et un personnage édifiants.

Pierre-René Serna