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Lucerne : le festival de piano - [Arts-Scènes]
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Festival de Lucerne
Lucerne : le festival de piano

Petite revue des concerts proposés.

Article mis en ligne le 20 janvier 2011

par Eric POUSAZ

Lors de la traditionnelle semaine automnale consacrée au piano dans tous ses états, le Festival de Lucerne a proposé quelques belles découvertes aux amateurs heureux curieux….

Le duo Yaara Tal et Andreas Groethuysen
Les Variations Goldberg de Bach sont considérées depuis longtemps comme un des Everest de la musique de piano et ne semblent pas justifier qu’on s’attelle à les retoucher. Dans une passionnante conférence - introduction donnée avant le concert, les pianistes ont néanmoins tenu à montrer pourquoi les deux compositeurs que sont Josef Rheinberger et Max Reger ont cru bon, à la fin du 19e et au début du 20e siècle, de retravailler cette partition pour deux pianos.
Dans ses Variations, Bach s’est en effet concentré sur une mélodie secondaire, exposée dans l’Aria à la main gauche. La mélodie à proprement parler n’est qu’indirectement retravaillée dans les séquences qui suivent. En décidant de récrire la partition pour deux pianos, Josef Rheinberger puis Max Reger n’entendent donc pas corriger Bach, mais plutôt exploiter un matériau qui est, en quelque sorte, resté en friche. Avec ce but en tête, ils enrichissent l’ouvrage de Bach d’un potentiel musical qui permet de parfaire encore le contrepoint dans les canons tout en en densifiant le contenu. Quelques exemples joués en cours de conférence donnaient clairement à entendre les différences, certes, mais surtout l’extraordinaire respect dont ont fait preuve les deux musiciens qui ont ‘osé’ retouché ce chef-d’œuvre.

Yaara Tal et Andreas Groethuysen
Photo Peter Fischli / Lucerne Festival

En deuxième partie de concert, les deux instrumentistes jouaient l’intégrale de ces Variations. Les qualités de ce duo que l’on entend trop rarement en nos régions sont stupéfiantes : le jeu de chacun des interprètes est si subtilement accordé à celui de l’autre que les mélodies passent d’un clavier à l’autre sans qu’il soit toujours possible de distinguer une nuance de couleur différente ou une qualité de frappe divergente. Les deux pianos sonnent comme un seul instrument au potentiel dédoublé. Dans chaque variation, jouée avec la reprise, les pianistes essaient de varier la couleur pour que chacune des voix puisse tour à tour prendre légèrement le dessus sur l’autre et en offrir ainsi une écoute renouvelée.
C’est ainsi une approche presque symphonique que proposent les deux interprètes de cette partition dont la complexité semble à la fois magnifiée et patiemment disséquée par une telle volonté de diversification de la pâte sonore. Loin de sombrer dans l’exercice un brin scolaire, cette exécution impressionne autant par sa virtuosité naturelle que par une sorte de spontanéité qui ajoute à chaque épisode un éclat séduisant. La brillance de la 13e Variation, avec ses motifs en surpiqué, ou les longues vagues de la 25e qui semblent faire flotter le motif central dans une atmosphère épurée, comme détachée de tout contexte, sont ici abordés avec une délicatesse qui fait oublier le risque d’enflure sonore lié à la riche texture des instruments. La clarté du dessin mélodique, l’élégance des phrasés, l’incroyable perfection de ces deux tempéraments qui trouvent un terrain de parfaite harmonie jusque dans la dernière variation précédant la reprise de l’Aria avec son lent decrescendo invitant l’auditeur à revenir vers son point de départ après un inoubliable voyage initiatique ont fait de ce concert un moment où la perfection semblait soudain accessible.

Pierre-Laurent Aimard
Le pianiste français a composé un programme audacieux pour clore l’édition 2010 du Festival de piano : après les Préludes de Messiaen, une œuvre de jeunesse passionnante composée par un musicien de vingt ans, il interprétait Miroirs de Ravel, puis, après deux pièces de Chopin, offrait en bis une courte page de Kurtag…

Pierre-Laurent Aimard
Photo Peter Fischli / Lucerne Festival

Ce récital, dont la partie romantiques était de loin la moins aboutie, a permis au pianiste français de souligner une intéressante filiation entre Ravel et Messiaen : les Préludes de ce compositeur s’inscrivent en directe ligne dans la même atmosphère que Miroirs, une suite de pièces d’une indicible légèreté de touche rendues ici avec un son cristallin presque immatériel : les Oiseaux tristes semblaient planer dans un espace traversés de brillances soudaines ; dans le Nocturne initial, l’interprète ne dégageait aucune mélodie mais créait par touches successives une architecture sonore dont les éléments porteurs semblaient camouflés, laissant quelques bribes mélodiques suspendues dans un fascinant climat d’extase ; un Alborada del gracioso plutôt musclé succédait à la fluidité indicible d’une Barque sur l’océan aux impalpables reflets changeants alors que La Vallée des cloches, soudain plus grave, accrochait ses curieuses harmonies en un sfumato mystérieux qui en augmentait encore la charge expressive. Les Préludes de Messiaen paraissaient presque plus simples, par leur structure comme par leurs atmosphères plus nettement dessinées ; ces pages permettent de mieux appréhender le chemin parcouru par le compositeur vers des horizons dont on ne devine qu’imparfaitement la réelle grandeur dans une écriture encore terriblement marquées par les grands compositeurs français du début du 20e siècle. La Barcarolle en fa et le Scherzo no 2 de Chopin, abordés avec un jeu rugueux, presque rageur, ont par contre laissé une impression nettement moins favorable car la virtuosité, ici, était extérieure et bousculait inutilement l’architecture de ces pièces aux tournures brouillées par une conception aussi heurtée et par de brusques ruptures de tempo trop cavalières. Le court bis consacré à Kurtag ramenait le public vers un langage plus contemporain qui paraissait néanmoins déplacé après l’incursion cahotante du pianiste dans l’univers du compositeur polonais.

Eric Pousaz