Deprecated: Using ${var} in strings is deprecated, use {$var} instead in /home/clients/5f3066c66025ccf8146e6c2cce553de9/web/arts-scenes/ecrire/base/objets.php on line 1379
Avignon : Etats de corps - [Arts-Scènes]
Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Festival d’Avignon
Avignon : Etats de corps

Commentaires sur quelques chorégraphies.

Article mis en ligne le septembre 2010
dernière modification le 18 septembre 2010

par Bertrand TAPPOLET

Le Festival d’Avignon a été marqué par une forte et superbe empreinte chorégraphique. Qui déroule le double fil d’une inspiration tantôt abstraite, tantôt théâtrale.

La nuit remue
En atendant, avec un seul t comme en ancien français, s’ouvre par un long solo réalisé à souffle touchant dans un continuum sonore impressionnant à la flute traversière. La chorégraphe flamande Anne Teresa est fidèle à son idée de donner à voir la musique et à écouter la danse. Les différents mouvements développés en contrepoints animent les marches et les courses sans cesse ré-alimentées par leur propre intensité. S’initie une danse cinglante et fluide qu’accompagne par intervalle la musique complexe de l’Ars subtilior. Lequel s’est développé dans les cours du Moyen Âge et singulièrement en Avignon, alors que la pandémie de peste fauchait une grande partie de l’humanité. Possible écho lointain aux gisants d’hier et d’aujourd’hui dans les danseurs étendus, naufragés, formant un maillage de leurs anatomies entremêlées. Ensemble, ils dessinent un médusant radeau reliant les vivants et les morts. Ailleurs, on les découvre qui remettent sur le métier, comme au fil d’essais, un geste miné par sa propre perte.

Forêt de signes
This is how you will disappear de Giselle Vienne confronte trois figures archétypales (la sportive, son entraîneur et une suicidaire star gothico-rock) en reprenant la main sur une contrée forestière de légende, pour la recouvrir d’une brouillard d’eau magnifiquement sculpté. Par la densité extrême d’une écriture presque blanche, les personnages imaginés par l’écrivain américain Denis Cooper semblent pris dans le brouillard d’une conscience anesthésiée. On découvre une gymnaste dont l’anatomie est rendue ductile jusqu’à l’extrême par un coach dont le désir de formater le corps n’a d’égal que celui de l’anéantir. Au cœur de situations laissées irrésolues qui s’attaquent à des sujets délicats liés à une violence primitive, les morts peuvent planer à la surface de notre vision telle une brume dense et lumineuse.

« En atendant » d’Anne Teresa De Keersmaeker
© Anne Van Aerschot

Le loup des contes se décline-t-il en avaleur en série, victime émissaire, meneuse de cabaret ou joueuse de golf ? L’interrogation ne lasse pas d’intriguer à la vision de Wolfstunde (La Leçon du loup), œuvre protéiforme de la performeuse Silke Mansholt. A ses yeux, le loup fait partie de notre part lumineuse assombrie par l’humain afin de sauvegarder sa propre identité. Dans le spectacle, elle présente notamment la liste de ses réincarnations, se vies antérieures, avec un ton à la lisière entre l’analyse, la poésie et l’humour. Ainsi au détour de ce médusant tableau qui voit l’artiste en possible déesse mère recouvrant sa force instinctuelle, prendre la pose de la louve qui allaita Romulus et Rémus, les fondateurs légendaires de Rome.
Une enseigne en fer forgé barre l’avant scène en hauteur. Malgré quelques lettrines manquantes, se dessine le sinistre frontispice des camps nuit et brouillard, Arbeit macht frei. L’artiste entre tout de blanc vêtue en pantalon colonial, une casquette rouge de golfeuse, puttant l’effigie vaudou de Tiger Woods. Le reste bascule résolument dans l’inquiétante étrangeté, dont un magnifique solo proposant une remontée de l’abîme comme encordée. Comment s’émanciper du passé et en explorer la résonance dans le présent ? Mansholt rapatrie in fine son expérience personnelle de l’Holocauste en complétant l’enseigne concentrationnaire. Pour mieux replier ce symbole métallique du poids de l’histoire génocidaire et l’emporter sur son dos tel un fardeau, convoquant la figure du réfugié ou de Sisyphe.

« This is how you will disappear » de Giselle Vienne
Photo Sebastien Durand

Histoire de révolutions
S’inspirant de Godard qui use de la mise en abyme au cinéma et sensible à l’histoire de la danse inscrite dans son patrimoine génétique et chorégraphique, Foofwa d’Imobilité fait le choix de la nudité, le corps sans artifices du penseur-danseur sur scène. Au sein d’Au contraire, le danseur et chorégraphe apparaît en relaxation et en phase d’écriture de la pièce chorégraphique, jouant des couleurs primaires. Le danseur et chorégraphe revisite une part de son répertoire, de ses soli. Sans omettre ses sept ans passés chez Cunningham. Ce danseur, l’un des plus en vue de sa génération, est aussi comme traversé de flux électriques, agité par un syndrome de Gilles de la Tourette appliqué à un corps ne se maîtrisant plus et se contorsionnant dans le cri.
Rosa, seulement s’ouvre sur des fragments de correspondance, de journal et d’écrits de la militante et théoricienne communiste Rosa Luxembourg. Sous forme de bribes numérotées, pareilles à de possibles scénarios d’un film à venir, Ils semblent être passés de manière aléatoire par une troupe de jeunes comédiens saisis en répétition nonchalante. Le silence retombé, Cindy Van Acker initie des mouvements métronomiques de bras fléchés se repliant délicatement sur le cœur. Elle est rejointe en miroir par le dramaturge Mathieu Bertholet, torse dénudé, image iconique du travailleur prolétarien modèle. La partition écrite des mouvements et positions est fixée au sol, comme elle le fut dans un trio imaginé par la chorégraphe, Kernel auquel fait parfois songer une grammaire chorégraphique sémaphorique composée de neuf mouvements distincts. Et débondée avec une lenteur et une souplesse mécanique magnifiquement apprêtées.

Bertrand Tappolet