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Festival d’Avignon
Avignon 2010 : Obsessions textuelles

Petite revue des spectacles à texte.

Article mis en ligne le septembre 2010
dernière modification le 18 septembre 2010

par Julien LAMBERT

En choisissant pour la première fois un auteur – Olivier Cadiot – comme artiste associé, le Festival d’Avignon aura rendu compte des manières très diverses dont le texte peut être abordé sur scène aujourd’hui. Avec des résultats divers... De Bérénice sacrifiée à Brecht et Richter magnifiés, petite revue des spectacles à texte 2010.

On a trop vite fait d’associer Avignon à la liquidation du patrimoine littéraire. Rien de plus éloquent que la tentative de Faustin Linyekula, explicitement intitulée Pour en finir avec Bérénice. L’élastique danseur et metteur en scène congolais affichait certes l’ambition réjouissante de se débarrasser d’un héritage culturel aliénant, imposé par le colonialisme. Or malgré quelques parenthèses cathartiques brutalement amenées et certains parallèles hasardeux avec l’indépendance du Congo, qui freinent la dynamique de la représentation, c’est majoritairement le texte racinien que ses comédiens interprètent fidèlement ! On n’en a pas fini avec Bérénice... Avec Shakespeare non plus et Richard II, que Jean-Baptiste Sastre a pris le risque de mettre en scène dans la Cour d’honneur sans faire de réels choix dans le foisonnement d’ambiguités propre à Shakespeare. Mais pourquoi pas ? Si des acteurs assez intenses et souples font vivre cette dialectique du spectacle, à l’image de Denis Podalydès, roi déclassé, tiraillé entre dolorisme et grandiloquence, ou de Bruno Sermone, vieux sage incantateur garant d’une solennité tragique.

Clotilde Hesme dans « Baal » de Brecht, mise en scène François Orsoni
© Christophe Raynaud de Lage

Brecht, Ionesco et Kafka
Belle surprise aussi : voir des Français, et même la troupe du corse François Orsoni, s’approprier avec talent une pièce de Brecht, et même le prophétique Baal. La solution ? L’élever du social au métaphysique, en jouant avec un engagement total le parcours destructeur de ce héros rimbaldien (la comédienne vitaliste Clotilde Hesme), de saouleries en coups d’un soir assoiffés de lumière, sans trancher entre la profération enflammée d’un texte très lyrique et le débridement de l’action. Frénésie punk, effeuillages intempestifs : une mise en scène très « berlinoise », toujours au service de l’énergie du texte, leurre avoué pour mieux révéler le désespoir de notre siècle. Le Délire à deux de Ionesco par Christophe Feutrier s’avère moins ravigorant. Ce dernier a peut-être été piégé par le concours d’acteurs trop accomplis – Valérie Dréville et Didier Galas -, incité à dessiner trop méticuleusement, à la manière des comics américain, les débats de ce couple qui génère le chaos du monde à partir de sa propre inconciliabilité. Sans doute trop emblématique de Ionesco, cet enjeu l’aura fait céder à la tentation de jouer l’absurde absurdement - jeu à rebours du texte ou didascalies lues avec laconisme.

« Der Prozess »
© Arno Declair

Le Procès adapté par le munichois Andreas Kriegenburg cède lui aussi aux clichés kafkaïens. L’idée de dissocier le personnage schyzophrène de Josef K. entre huit interprètes était pourtant fructueuse scéniquement parlant. Ceux-ci explicitent en effet la tendance de l’inculpé à générer ses propres persécutions, en jouant tour à tour les autres rôles. Mais un tel dispositif multiplie trop les trouvailles de mise en scène, privilégiant l’instantané au détriment du propos d’ensemble. C’est aussi l’effet du décor, un panneau basculable, qui permet de patauger entre les meubles sur le sol dressé à la verticale, mais fige la représentation.

Cadiot et Richter
Artiste associé du Festival, le poète Olivier Cadiot a pu faire douter de la théâtralité de certaines écritures contemporaines, avec son monologue Un Mage en été, labyrinthe d’évocations esothérico-sensorielles. Laurent Poitrenaux a beau faire de tout son corps un navigateur spatio-temporel, témoin du vertige du poète, capable de tenir à portée de main d’infinies galleries de perceptions. Mais le metteur en scène Ludovic Lagarde écrase sa performance, en voulant le soutenir à grand renfort d’hologrammes et de prouesses sonores et lumineuses. L’image d’un super-consommateur cybernétique éclipse celle du mage visionnaire.

« Trust » de Falk Richter et Anouk van Dijk
© Heiko Schäfer

Moins prétentieuse et plus charnelle est l’écriture de Falk Richter. Dans Trust, le metteur en scène de la Schaubühne berlinoise ose découpler la théâtralité de ce texte heurté, qui dit le désenchantement actuel des jeunes générations surinformées, surqualifiées, surrévoltées, certes, mais interdites de stabilité, et incapables de viser mieux que le statu quo. Les textes balancés au micro sont mis en miroir d’impressionnantes chorégraphies de groupe, dans lesquelles les corps se percutent pour rebondir plus loin dans l’isolement. Dans My secret garden, avec la complicité renouvelée du metteur en scène Stanislas Nordey, c’est l’univocité du journal intime que Richter fait imploser. La raideur habituelle de Nordey dans la scansion rythmique des monologues se diffracte avec l’irruption salvatrice de deux comédiens, et les souvenirs d’une morne enfance bourgeoise cèdent la place au devenir pluriel de l’autofiction. À la fin la paroi de nickel en fond de scène se décompose en caisses insoupçonnées, où se côtoient archives, vin et saucisses, unissant superbement le vertige du passé et l’autorisation d’une vie hic et nunc ! Ainsi ce Festival, fertile en propos désillusionnés, aura ouvert aussi de discrètes lucarnes d’espoir, souvent entre les lignes...

Julien Lambert