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Festival d’Avignon
Avignon 2010 : Langages scéniques

Petit tour d’horizon des spectacles 2010.

Article mis en ligne le septembre 2010
dernière modification le 18 septembre 2010

par Stéphanie LUPO

Il y avait quelque chose de 2005 dans les spectacles et débats de la 64e édition du festival d’Avignon. De nouveau la question centrale a tourné autour des langages scéniques qui semblent échapper à la catégorisation purement théâtrale.

Et en effet de l’univers plastique de Philippe Quesne qui avec son spectacle Big bang nous a menés dans les méandres du néant, d’une certaine mélancolie d’être au monde parmi les matières et les sons, à la parole « sauvage » de Christophe Fiat présentée dans le cadre des sujets à vif, ce qui a frappé dans cette nouvelle édition c’est assurément la disparité des formes et des langages. Cette année aussi ce sont les termes « musical » et « performatif » que l’on aura beaucoup entendus, du « bal » et des concerts de Rudolf Burger aux propositions « rock » qui ont abondé dans le cadre de la 25e heure. On retiendra dans le cadre de cette programmation décalée et tardive à l’école d’art La leçon du loup de l’artiste allemande Silke Mansholt et Jonathan Capdevielle avec Adieu pour leur esprit singulier et rebelle.

Révélation
Tandis que ceux-là creusent une brèche vitale dans la respiration bien cadrée du festival, l‘artiste espagnole Angelica Liddell a été sans aucun doute la révélation choc de ce festival. Auteur, metteur en scène et interprète, inconnue jusque-là en France, Angelica Liddell a 43 ans. Dès la fin de sa première pièce La casa della fuerza (La maison de la force) qui a duré 5h30, on a parlé d’elle comme d’un phénomène entre Rodrigo Garcia et Marina Abramovic. Elle a étonné en effet et ému par sa prise de parole à la première personne d’une rare intensité, incarnée, alternant entre la confession et le cri de rage, mais aussi par un impressionnant don de créer des images scéniques. Travailleuse de la douleur, de l’extrême, ange noir, Angelica Liddell « écri(t) avec (s)on sang ». Dans l’esprit de la performance chez elle les images visuelles naissent sans utilisation de machines ou d’effets extérieurs particuliers mais directement des corps à corps des interprètes avec les matières vivantes. Pâte à modeler, sang, charbon, fleurs, citrons, alcool : ça gicle, ça se déverse, ça se transforme dans le temps présent.

Angelica Liddell, « La casa della fuerza »
© Christophe Raynaud de Lage

Comme deuxième pièce elle a montré El ano de Ricardo, un duo inspiré de Richard III de Shakespeare dans lequel elle s’attache à dépeindre la figure du monstre et du tyran. Souffrance sublimée, parole brute, émotions exacerbées, les propositions d’Angelica Liddell ont une haute dimension métaphysique et semblent relier à l’essence et au mystère du théâtre. Ses spectacles ont laissé une très forte impression parmi le public, celle peut-être d’un souvenir de rituel collectif de purification et d’expiation.

Maître de l’espace temps
Côté choc et claque, il faut ici mentionner les deux spectacles de l’invité d’honneur Christophe Marthaler. Du premier, Papperlapapp, créé spécialement pour la cour d’honneur, il y a eu ceux qui sont partis très vite et ceux qui au contraire se sont laissés envoûter par la maîtrise si particulière et caractéristique de l’artiste suisse de l’espace temps que ses acteurs traversent en marchant, en étant là, en chantant, en blaguant. De ce premier spectacle traitant sur le mode ironique et grinçant des abus du pouvoir papal, des mensonges, des faux semblants, on retient quelques moments forts et troublants comme un inoubliable tremblement de terre sous nos pieds et comme découlé directement d’un concert solo de violoncelle qui se déroulait en même temps.

« Papperlapapp » mise en scène de C. Marthaler
© Christophe Raynaud de Lage

Si du premier spectacle certains sortaient l’avis mitigé, du deuxième tous sont sortis abasourdis. Après une déambulation dans les salles de classe du collège catholique Champfleury transformé en lieu d’exposition totale, le public se retrouvait dans la cour devant une vidéo. Bienvenue à Steinhof « la cité des fous », originellement hôpital psychiatrique de Vienne qui durant le troisième Reich est devenu le lieu d’expérimentation et d’extermination de près de 7500 personnes atteints de troubles psychiques dont un grand nombre d’enfants. Tandis que dans la première partie du spectacle tous les acteurs un à un donnent un discours raciste, nationaliste ou fascisant avec comme slogan commun la nécessité de « Se protéger de l’avenir », titre du spectacle, dans la deuxième partie, les mêmes acteurs revêtent les masques des enfants tués et disséqués. Sur les chaises le public témoin reste cloué, compatissant, horrifié, ému et impuissant.

Voyageur, immobile, résistant
Enfin nous mentionnerons les différentes propositions de Jean-Lambert Wild, auteur, metteur en scène, performeur qui au fil des travaux présentés montrait un très singulier voyage d’ « un homme immobile » tentant de « se tenir debout » et digne dans la misère d’âme de son temps. Au cœur de son travail toujours la fable se déroule et tente de nous faire regarder le monde poétiquement.

« La mort d’Adam » de Jean-Lambert Wild
© Christophe Raynaud de Lage

Dans La mort d’Adam, il nous conduit à l’Ile de la réunion. Aux couleurs, à l’espace, à la magie des héros qui ont habité l’enfance répond la réalité d’un âge adulte rempli désormais de portes noires qui s’ouvrent et se ferment dans un labyrinthe sans fin. Double lieu pour un combat identitaire sanglant. Nous laisse lucide et nostalgique, à propos d’un aujourd’hui et d’un ailleurs, à propos de la nécessité de l’art et du rêve, à propos du fond de nous-mêmes.

Dans l’ensemble et de toutes ces formes pêle-mêle, on retient quelque unité de thème : regards solitaires sur un aujourd’hui qui de plus en plus laisse sans voix, la voix, qui pour s’imposer dans l’air du désenchantement, doit « frapper » nous dit Angelica Liddell, nécessairement.

Stéphanie Lupo