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Festival d’Avignon
Avignon 2010 : Invasion helvétique

Honneur aux Romands...

Article mis en ligne le juillet 2010
dernière modification le 12 août 2010

par Julien LAMBERT

Fait suffisamment rare pour être mentionné : In et Off d’Avignon accueillent huit spectacles romands au moins. Certains, en reprise, sont d’ailleurs des réussites attestées, d’autres restent à découvrir, parfois même en primeur…

Serait-ce la légendaire humilité suisse ? Les artistes de nos régions peuvent rarement se vanter d’être représentés dans la Mecque du théâtre européen. On aura certes pu, ces dernières années, voir Marielle Pinsart dans un Sujet à vif ou le vidéaste Yan Duyvendak mis en scène par Imanol Atorragasti dans un sous-sol au milieu de la nuit. Paradoxalement moins marginalisés dans le Off, Sarclo ou Pierre Miserez ont titillé le faible des hexagonaux pour l’exotisme helvétique. Mais Avignon est une jungle, et qui aurait, parmi les artistes d’ici, le culot et la patience de jouer le jeu du Off et de la pub informelle, comme ce délicieux hurluberlu de Miserez, se jetant au cou des passants avignonnais, affublé d’une ridicule casquette à croix blanche ? Outre la modestie et peut-être un certain confort, ainsi évidemment que le prix exorbitant des locations de salles, c’est bien sûr le manque d’expérience des Helvètes en matière de tournées qui est mis en cause.

Van Acker, Bertholet et Furlan
Mais tout change, même chez nous : huit spectacles romands répertoriés (liste non-exhaustive) cette année en Avignon. L’accent particulier mis par Jean Liermier sur la diffusion des spectacles du Théâtre de Carouge a-t-il eu une incidence ? Pas forcément ici. La programmation officielle invite même plutôt les représentants suisses d’un type de théâtre qui fait souvent l’objet de polémiques dans le bassin lémanique : le performer Massimo Furlan, avec une coproduction de l’Arsenic et de la Bâtie, et Cindy van Acker, pour plusieurs solos de danse et un Sujet à vif sur Rosa Luxembourg avec Mathieu Bertholet. Lui aussi habitué du Grütli, l’écrivain historico-branché s’y était déjà risqué à enfiler les chaussons sous l’aile de la chorégraphe.

« Lanx » de Cindy Van Acker
Photo Isabelle Meister

Si leur projet commun cherchera dans la danse une façon d’exprimer la force contestataire d’une figure historique, les solos Lanx, Obvie, Obtus et Nixe, dansés dans le Gymnase du Lycée Mistral, partent quant à eux d’une démarche essentiellement formelle, qui revisite l’inscription du corps dans l’espace. Quant à Massimo Furlan, dans 1973, il réaffirmera sa fascination trouble pour Patrick Juvet – qui hantait déjà les stations d’un mythique Nyon-Saint-Cergue nocturne au FAR. Cet homme-orchestre déluré y joue à lui tout seul tous les concurrents du Concours Eurovision, l’année où le Vaudois à tignasse blonde avait survolé les débats. Avec un tel cocktail de kitsch et de dérision mélancolique, Furlan a tout pour s’inscrire à merveille dans la ligne la plus emblématique du In avignonnais.

Bouvier, Nkebereza et Interface
Mais le In, comme chacun sait, n’est de loin pas tout, et le off pourra même se vanter d’accueillir deux reprises Made in Switzerland d’une qualité incontestable. Deux monologues, plus faciles à transporter, bien sûr, mais qui tous deux convoquent un imaginaire et une diversité de caractères plus vastes que bien des grosses distributions. Cela fait quelques années déjà que le Directeur du Théâtre du Passage, Robert Bouvier, distribue courageusement ses propres flyers dans les rues d’Avignon, et fait les beaux jours du Off (cette année le Théâtre Artistic Athévains) avec son François d’Assise d’après Delteil. Une ode vibrante à la création divine et à l’élémentaire que le comédien porte à bout de bras, animé par une force d’émerveillement du verbe incomparable. Pareil pour la Compagnie Interface, de Sion, qui a su discrètement faire son nid en Avignon, notamment avec sa tauromachie musicale et dansée intitulée Terruel. Ce petit noyau d’artistes polyvalents, qui ont la particularité de créer tous leurs spectacles en collectif sans intervention extérieure, exporte cette année Shabbath au Théâtre des Carmes : textes et danses s’y mêlent dans une imagerie foisonnante, donnant à voir la révolution de l’âme contre les cloisons qui l’entravent.

Frédéric Landenberg dans « La Confession du pasteur Burg » de Jacques Chessex, mise en scène par Didier Nkebereza

En revanche, Didier Nkebereza fait pour la première fois le pari d’Avignon, où il amène La Confession du Pasteur Burg, au Théâtre Notre-Dame du Lucernaire, moins d’un an après le décès de Chessex, intervenu lors de la reprise à l’Echandole de l’adaptation de son plus sulfureux roman. La performance de Frédéric Landenberg y est proprement stupéfiante, le plus baroque des comédiens genevois mettant tout son corps et les ressources de son faciès à disposition d’une galerie de personnages grotesques, dont le pasteur manichéen, pervers et puritain, qui prend des accents de fin du monde dans le découpage très fin du metteur en scène genevois.

Le Poche en Avignon
Françoise Courvoisier fait fort, en créant un spectacle de l’institution au Théâtre des Halles, qui plus est sur des textes d’une auteure genevoise aussi emblématique pour nous que méconnue en Avignon : Grisélidis Réal. C’est à l’âme de battante, mais aussi à la tendresse de l’écrivaine, comme du personnage dans sa totalité – mais comment distinguer !- que la metteuse en scène veut toucher, en réunissant les textes de trois recueils, trois époques différentes. Elle promet une scénographie épurée, qui fera place nette pour l’écriture « solaire » de la péripatétitienne des lettres genevoises.
La grand-messe de l’été servira peut-être bientôt de rattrappage aux mauvais élèves des salles romandes ? Quitte à aller en Avignon pour cela, il n’est jamais mauvais de se rappeler qu’on fait de très belles choses chez nous aussi…

Julien Lambert

Festival d’Avignon, du 7 au 27 juillet 2010.