Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Septembre Musical de Montreux
Montreux : Septembre Musical 2009

Belle affiche au Septembre Musical 2009.

Article mis en ligne le octobre 2009
dernière modification le 17 décembre 2009

par Eric POUSAZ

L’orchestre - Staatskapelle de Dresde - dirigé par Fabio Luisi depuis qu’il a quitté l’OSR avait déjà fait grande impression par le passé ; il s’est surpassé cette année avec une exécution superlative de la Symphonie alpestre de Richard Strauss.

Il est en effet rare d’entendre un ensemble symphonique aussi parfait dans cette œuvre monumentale qui s’écoute comme un vaste traité d’instrumentation dont les trouvailles, infinies, émerveillent l’oreille à chaque instant malgré sa propension à l’hypertrophie sonore. La direction énergique du chef sait radiographier les grands blocs symphoniques construits autour de quelques thèmes inlassablement repris décrivant une ascension spectaculaire sur un sommet vertigineux, du lever de soleil initial à la tempête fracassante de la fin. Les séquences s’enchaînent élégamment, les effets sont dosés avec une minutie qui permet d’en déguster chaque phase alors que la virtuosité de tous les pupitres est fortement mise à contribution par une écriture orchestrale d’une diversité fascinante. Fabio Luisi évite brillamment la tentation de la simple orgie sonore pour faire ressortir les éléments constitutifs de cette vaste structure et les rendre parfaitement lisibles. La matière sonore, toujours brillante, n’apparaît pourtant jamais agressive dans les tutti tonitruants ou gratuitement charmeuse dans l’évocation de la cascade ou le passage devant le glacier car le matériau thématique initial reste constamment au cœur de ces peintures sonores. Ainsi, malgré l’aspect parfois indigeste d’une telle avalanche de décibels, il était difficile en cette soirée exceptionnelle de se soustraire à la fascination d’une aussi brillante démonstration de panache instrumental.

Fabio Luisi
Photo Barbara Luisi

En première partie de concert, Lang Lang interprétait le 2e Concerto de Chopin. L’approche du compositeur polonais séduit par son aisance confondante et son rubato d’une rare ampleur. Il est cependant permis de préférer à une telle démonstration de sensiblerie un Chopin plus digne, plus construit, plus rigoureux. Un bis croulant sous la pédale a parachevé le triomphe de ce soliste aux dons superlatifs, doté d’une sensibilité à fleur de peau, mais peu apte à mettre un frein à ses languides émois.

Lang Lang
© Pierre Henri Verlhac

Ivo Pogorelich égal à lui-même
Le pianiste Ivo Pogorelich fascine ou irrite, tant ses interprétations sont marquées au sceau d’une personnalité qui ne connaît pas le compromis. Avec ses tempi étirés, ses brusques effets de clair-obscur et ses non moins soudaines oppositions de nuances, le pianiste croate renouvelle de fond en comble des pièces que l’on croyait connaître et leur fait délivrer un message que l’auditeur n’imaginait pas contenu dans les pages de partitions portant archi-connues. Ainsi, à Montreux, Pogorelich s’est-il offert le luxe d’une Valse triste de Sibelius élaborée avec une telle lenteur que le rythme à trois temps semblait lui-même se dissoudre sous ses doigts ; une accentuation inhabituellement forte des basses ou une brutale mise en avant d’une ligne mélodique secondaire faisait disparaître la mélodie sous les voix secondaires jusqu’à laisser transparaître une noirceur chaotique que l’on n’associe guère à cette page pourtant archi-rabâchée.
Dans la Troisième Sonate de Chopin, les effets ne sont pas moins surprenants. Les transitions, par exemple, sont abordées avec une telle lenteur que la musique se dissout, comme si la mélodie se cherchait ; pourtant, un tel étirement du temps ne lasse pas, car le pianiste sait créer le suspense ; ses silences sont parlants, ses notes isolées suscitent des associations intérieures laissant à l’auditeur le temps de se réapproprier l’ouvrage en le contemplant sous un autre angle. Le mouvement lent est significatif de cette tendance à surjouer chaque séquence : la mélodie se délite, certes, mais la tension ne retombe jamais car aucune note ne fait figure de pure ornementation. La Méphisto-Valse no 2 de Liszt, prise dans ses parties rapides sur un rythme affolant, ou les trois vignettes musicales de Gaspard de la Nuit de Ravel ont toutes bénéficié de ce type d’antithèses sonores soulignées avec un volontarisme qui peut paraître friser l’absurde, mais le procédé ne laisse pas de convaincre celui qui ne tient pas absolument à entendre ces partitions coulées dans un moule traditionnel. La question de la fidélité à la musique se pose bien évidemment, mais le pianiste n’en a cure : il interprète, c’est-à-dire qu’il recrée dans l’instant ce qui lui semble en phase avec sa sensibilité du jour. Le miracle tient au panache avec lequel il mène son entreprise à bon port, même s’il lui faut pour cela piétiner quelques plates-bandes que d’aucuns ne souhaitent pas voir déflorées.

Eric Pousaz