Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Festival d’Avignon
Avignon 2009 : Des Suisses sur le devant de la scène

Présence cet été à Avignon des artistes suisses Christophe Marthaler, Stefan Kaegi, Jean-Quentin Chatelain, Dominique Reymond, et Mélissa Von Vépy

Article mis en ligne le septembre 2009
dernière modification le 29 septembre 2009

par Jérôme ZANETTA

Alors que le bilan artistique de la 63e édition du Festival d’Avignon questionne l’absence déplorée de moments théâtraux forts, de vibrations scéniques et de frissons dramaturgiques, il nous faut relever la présence d’un certain nombre d’artistes suisses qui ont offert aux spectateurs des performances théâtrales
remarquées, voire de très hautes tenues.

Jugez-en plutôt : Christophe Marthaler, Stefan Kaegi, Jean-Quentin Chatelain, Dominique Reymond, Mélissa Von Vépy. Certes, la plupart d’entre eux ne se produisent pas essentiellement en terre helvétique et n’y résident même pas, mais ils ont tous su se faire un nom dans l’Europe des théâtres et bien au-delà pour certains.

« Riesenbutzbach. Eine Dauerkolonie » de Christoph Marthaler
© Dorothea Wimmer

Avec sa nouvelle création Riesenbutzbach. Eine Dauerkolonie (Une colonie permanente), Christophe Marthaler nous a donné le meilleur de lui-même dans son style tendu, subtil et caustique, véritablement inimitable. Il n’a pas son pareil pour rendre la vie de la petite bourgeoisie, au confort insipide et aux tics gestuels et langagiers dévastateurs. Un terrain de jeu grandeur nature avec ses espaces confinés, salons, séjours, garages, bureaux et loges de gardiens d’immeubles. Familles et voisins y évoluent dans un décor seventies, comme une communauté touchante et ridicule, dans un quotidien fait de petits affrontements et de médiocres arrangements. Et là, comme toujours chez le génial créateur suisse, les comédiens se mettent à chanter, à danser, à produire des bruits impossibles avec une légèreté et une élégance réjouissantes. Moments de grâce atteints avec Monteverdi, Bach, Malher ou les Bee Gees interprétés devant une porte de garage ou une entrée d’immeuble sordide ! Et puis, sans doute l’un des seuls metteurs en scène présents en Avignon à ne pas oublier que le théâtre est un art total qui nécessite de savoir organiser l’espace et le temps sur scène, afin que la parole et le geste s’y déploient, ici avec un sens du décalage qui s’empare de nos émotions de façon salutaire. Bref, de quoi laisser présager un prochain festival passionnant quand on sait que Marthaler en sera l’artiste associé, aux côtés du non moins singulier écrivain Olivier Cadiot.

Autre metteur en scène suisse très attendu dans ce festival, Stefan Kaegi qui avait déjà conquis le public avignonnais avec son collectif théâtral Rimini Protokoll, dans le remarquable et très drôle Mnemopark en 2006. Partant toujours d’un même principe théâtral qui mêle personnes réelles, documents vécus et représentations de la société, Stefan Kaegi fouille de nouveau dans l’étrangeté et la poésie du réel avec Radio Muezzin. Il s’intéresse à quatre muezzins venus du Caire, qui nous racontent sur scène comment a évolué l’appel à la prière, entre tradition et modernité, entre contrôle et liberté. Car inutile de préciser que ces quatre serviteurs de la tradition islamique ont dû limiter gestes et paroles dans le cadre d’une représentation théâtrale, pas toujours en phase et en esprit avec les exigences religieuses de leur fonction !

Re-présentation fascinante donc, sur un immense tapis de mosquée et décor qui atteint à une verticalité confondante lorsque le chant des muezzins s’élève vers le clocher du Cloître des Carmes… « travesti » durant quelques nuits en minaret cairote ! On est touché par l’authenticité de ces histoires, par la qualité de la mise en espace et par la démarche en amont de Kaegi qui donne à réfléchir sans jamais prendre parti, autrement que par la force-même de son geste théâtral.
Du côté des comédiens, est-il encore utile de revenir à la performance extraordinaire de Jean-Quentin Chatelain que Pessoa et Régy incitent à explorer des territoires dramatiques et à aller au bout de lui-même, comme rarement un comédien a pu le faire. Avec cette voix et cette diction uniques, le comédien suisse accompagne encore Régy sur les sommets vertigineux des nuances poétiques et spatiales du texte Ode Maritime dont accouche le souvenir vibrant du double Alvaro de Campos.

« Ode Maritime » de Fernando Pessoa
Photo de répétition au théâtre de Vidy

Dans l’excellente et presque confidentielle programmation dans le Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph, des Sujets à vif, le programme C proposait l’intervention de la comédienne Dominique Reymond qui avait choisi d’interpréter des textes de la troublante Valérie Mréjen, sous la houlette de Gian-Manuel Rau. Trois Quartiers reprend donc trois approches nourries du quotidien, de l’enfance et des souvenirs de l’auteur qui explore les possibilités du langage à travers des détails cruels ou burlesques, des lieux communs et des malentendus de l’existence. Le ton tranchant et les inflexions graves de la voix si singulière et hypnotique de Dominique Reymond font merveilles pour dire les mots de Valérie Mréjen.

Enfin, et toujours avec cette idée des Sujets à vif de faire se rencontrer deux artistes de milieux différents pour dialoguer sur scène, c’est une commande à la jeune Mélissa Von Vépy, Genevoise, venue du monde du cirque qui constituait l’autre versant de ce programme C. Accompagnée du génial pianiste Stéphan Oliva, elle nous a offert une incroyable rêverie visuelle et sonore. La situation de départ est celle d’une femme face à son miroir qui questionne chacun de nous au plus profond de son intimité pour mieux dire l’envers et le revers des choses. Mélissa Von Vépy joue avec les images que renvoie ce miroir, la sienne, la nôtre ; elle ira même jusqu’à briser le cœur du miroir pour mieux le traverser et jouer avec lui, non sans risques, puisque le support qui permet au miroir son mouvement de balancier sur scène n’est autre qu’un trapèze dissimulé en son revers et qui révèle des qualités physiques chez cette artiste, alliées à une inventivité théâtrale remarquable. Bref, une incontestable révélation que nous espérons revoir sur les scènes helvétiques la saison prochaine et qui a achevé de démontrer que la scène suisse en Avignon a fait mieux que de tenir son rang, elle a prouvé toute la richesse visuelle et évocatrice de nos compatriotes.

Jérôme Zanetta