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Printemps des arts de Monte-Carlo
Monte-Carlo : Printemps des Arts

Compte-rendu de la programmation 2008 du Printemps des arts de Monte-Carlo.

Article mis en ligne le juillet 2008
dernière modification le 11 août 2008

par Julien LAMBERT

En se prenant un tantinet au jeu de la métaphore lourde, on pourrait qualifier la programmation 2008 du Printemps des arts de Monte-Carlo de révolutionnaire. Pas seulement pour l’image séduisante de films soviétiques et d’un théâtre d’agit-prop antiaméricaine projetés comme un pavé dans un paradis fiscal endormi, mais surtout parce qu’artistiquement, le directeur Marc Monney a eu le courage ou la folie de faire représenter par des projets plutôt radicaux ces deux arts dramatiques dans un fief de la musique classique.

La leçon du cinéma
Il l’a pourtant fait intelligemment, en démontrant la fertilité du dialogue entre les arts, dans des projets musico-cinématographiques par exemple, où les évocations lyriques respectives de motifs musicaux et d’images filmées s’alimentent mutuellement. Autant qu’un certain Eisenstein, les réalisateurs Dovjenko et Konzintsev ont créé une syntaxe neuve fondée sur l’agencement symbolique d’images éloquentes. Cette passionnante journée de la musique et du cinéma proposait un choix très ouvert entre deux types de ponctuation musicale à y adjoindre. L’orchestre philharmonique de Monte-Carlo s’offrait de restituer dans sa grandiloquence enivrée la solution d’époque. La musique de Chostakovitch, toute en force et en solidité architecturale, porte littéralement dans un tourbillonnement ascendant l’élan révolutionnaire des communards dans La Nouvelle Babylone de Kozintsev, mais son éloquence sait également épouser les contours contradictoires du film. En effet, au sein de la nation faussement unie dans la guerre contre l’Allemagne, se confondent et se confrontent riches pansus et communards vainement héroïques, auxquels répondent respectivement des airs triomphants d’autodérision et de grands élans désespérés d’héroïsme. Paraît cependant plus subtile la solution contemporaine d’une réécriture, commandée à l’Ensemble Sphota, de la partition de La Terre, ode ultrasensuelle à la régénération de la nature et des sociétés dans la mécanisation, signée Dovjenko. Violon électrique grésillant, guitare musclée et clavier bruiteur se perdent sans doute un peu quand ils cherchent à restituer la densité et la complexité psychologique des dialogues muets par la recherche des sons les plus fins accordés en dissonances qui triturent le psychisme, en revanche ils donnent dans leur agencement équilibriste une amplitude véritablement métaphysique aux charges des tracteurs ou de la foule.

« Sept secondes » de Falk Richter, mise en scène de Stanislas Nordey

Théâtre de front
L’affiche théâtrale, toute neuve au Printemps des arts, a suivi plus encore le parti pris d’une contemporanéité formelle audacieuse. Tandis que Pascal Rambert, tout en revenant à la fable au sens propre dans Toute la vie, ressuscite sur scène l’utopie avant-gardiste d’une métaphore totalisante de la vie humaine, Stanislas Nordey fait le choix inverse d’une focalisation du théâtre sur l’actualité politique. Dans les deux textes de l’auteur Falk Richter qu’il met en scène, société de consommation, médias et hégémonie américaine sont mis à mal. Créé au Théâtre du Rond-Point, Sept secondes est une partition chorale dépersonnalisée qui confronte sous des traits hurlants de cynisme l’idéologie primaire de l’american way of life version Bush et les délires aériens meurtriers d’un pilote en Irak. Si ce texte d’une rage digne d’adolescents shootés à l’altermondialisme, qu’évoquent malheureusement les comédiens en t-shirt cartoon, ne peut faire valoir que très indirectement sa nuance voulue dans l’excès autoproclamé, en revanche la restitution essentiellement formelle que lui a trouvée Nordey est d’une cohérence a priori sans faille.Transformés en pieds de micro en érection nerveuse, les corps des comédiens martyrisés, tendus face au public, soutiennent une prise de parole frontale qui impose les mots dans leur émotivité brute. Si les déplacements improvisés n’offrent aucune plus-value, si ce n’est de désorienter un peu plus le spectateur giflé de toutes parts, en revanche la diversité des intonations déploie un florilège inattendu des attitudes à prendre dans l’endossement vocal d’un tel brûlot ; moquerie effrontée, haine, désarroi ou même détachement hautain interpellent pourtant avec un succès variable. Si la sauce prend malgré tout, que le fatras de donuts et d’évangélisme déraillant s’architecture étonnamment, tend le texte vers un accomplissement qui tombe juste, c’est sûrement principalement à cause de l’implication humaine des comédiens qu’ils ont mis à contribution d’une présence scénique authentique et forte, mais aussi grâce à un subtile calibrage rythmique des répliques en rafale, qui culmine en un slam rageur et s’achève sur un silence d’une rare consistance physique et psychique.

François-Frédéric Guy

Beethoven à la machette
Mais la plus exaltante des vies nouvelles prophétisées par le Printemps n’est paradoxalement ni bolchevique ni contestataire, elle trace une voie sacrée, noblement héroïque de ses origines viennoises vers des cieux habités par l’immatérielle musique : camouflée chronologiquement au cœur d’une programmation qui flirte avec les extrêmes médiévaux et contemporains, le projet du pianiste François-Frédéric Guy tient de l’expédition. En une semaine, le barbu joue les trente-deux sonates de Beethoven comme un débroussailleur amazonien animé par l’hyperémotivité intériorisée du compositeur même, doublée de son talent de joueur désarçonnant. Obsédé par le retraçage expressif, presque didactique des contours de cette œuvre encyclopédique, le pianiste peut transiter sans un affaissement d’épaules d’un tour de force il piu presto, exécuté avec une dextérité digitale que camoufle un engagement corporel total, vers des moments moins lumineux, revalorisés par leur position dans l’ensemble du marathon, dont il restitue avec dévotion les plus faibles nuances par une touche exacte, caressante, qui tempère avec douceur l’emphase héroïque et grave de la Pathétique.

Julien Lambert