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Entretien : Stanislas Nordey

Entretien avec Stanislas Nordey, au sujet de ses mises en scène, à l’Opéra Garnier et Avignon, après Monte-Carlo au printemps.

Article mis en ligne le juillet 2008
dernière modification le 11 août 2008

par Julien LAMBERT

Directeur de l’école du Théâtre National de Bretagne, Stanislas Nordey a de quoi s’intéresser au métier d’acteur. Il confronte ainsi volontiers ses élèves à un texte de pur profération, dur, dru, sans personnages, dans les pièces politiques de Falk Richter jouées à Monaco (voir compte-rendu du Festival).

Das System, programmé en Avignon en juillet, en reprendra de larges extraits. Quant aux chanteurs de l’Opéra Garnier, il les confrontera ce mois à l’écriture du romancier Jon Fosse, avec Melancholia de Georg Friedrich Haas.

Comment définiriez-vous votre identité artistique ? Reconnaissez-vous une quelconque ascendance ?
Je me suis toujours senti plus proche des grands-parents de théâtre, des Pitoëff, Copeau, Dullin, que de mes parents, Chéreau, Planchon, car c’étaient des découvreurs, des explorateurs, de la décentralisation mais aussi de textes contemporains, ce qui fait aussi ma particularité, alors que la génération suivante s’est surtout intéressée aux classiques. Même dans la facture, ces pionniers me sont plus proches car ils travaillaient avec les moyens premiers du théâtre : l’acteur et le texte, le rapport au public, alors que la génération de Chéreau, dans sa fascination de l’image, s’est vite rapprochée du cinéma.

Stanislas Nordey

Pourquoi un tel retour en arrière ?
Parce qu’on a poussé le bouchon trop loin, en voulant faire de grands spectacles emballés dans des costumes et des décors ambitieux, souvent pour mieux cacher la misère du propos. Je déteste qu’un metteur en scène s’entête à mettre en œuvre une idée propre à lui seul, en contradiction avec le texte, ainsi des coupes ; comme si un conservateur voulait rajouter du noir sur la Joconde ! Le metteur en scène est moins intelligent que l’auteur et que l’acteur confronté à son rôle, ce n’est pas un artiste, lui, mais un passeur, qui aide à l’interprétation : d’où mon amour de l’opéra où le metteur en scène, soumis au chef d’orchestre, est là pour faire entendre la musique.

Vous limitez passablement la marge d’intervention du metteur en scène : que lui reste-t-il donc ?
Je cherche à être en difficulté, en écartant les textes que je vois comment monter pour préférer ceux qui résistent, d’où aussi mon travail sur différents formats, de l’intimisme à l’opéra, qui me permettent de ne jamais m’installer, de renouveler mon geste. Il est facile de maîtriser un plateau, mais moins de laisser des traces chez le spectateur. Or celui-ci se souvient des spectacles qui l’ont énervé, enthousiasmé, déplacé. Le théâtre est un lieu de dissension.

Avec les pièces de Richter sur la guerre et l’Amérique, espériez-vous ainsi choquer le public ?
Pas le choquer mais le déranger, ce que l’auteur a cherché à créer sur lui-même, bouleversé par l’entrée en guerre de l’Allemagne en Irak après soixante ans de plus jamais ça. Le théâtre politique est sain en cela qu’il fait travailler le spectateur, ne divertissant que sa pensée, mais régénérant ses cellules ; ce théâtre dit documentaire l’informe, car les médias ne disent pas tout.

Plus qu’un documentaire, Richter produit un théâtre partisan, comme Paravidino, que vous avez aussi monté : ne craignez-vous pas le simplisme ?
Le théâtre, depuis Les Perses d’Eschyle, est forcément partisan. Richter va même plus loin que Paravidino qui vise surtout à restituer la véracité des faits : il assume carrément une charge très violente contre l’Amérique de Bush, pensant que face à des médias réservés l’écrivain se doit d’être témoin à charge de l’actualité. Pourquoi pas ? La force du théâtre comme service public est d’être protéiforme et donc aussi de se saisir parfois de ce qui se trouve hors du champ du théâtre. Je me suis trouvé surpris de découvrir avec Gênes 01 le public en attente de ce type de parole, d’entendre résonner l’information différemment qu’à la télévision, dans le temps particulier du théâtre.

Justement, comment porter à la scène cette parole distribuée par tirets, sans attribution de personnages ?
Ce texte est fait pour être assumé par un chœur, intervenant par définition politique, par opposition aux protagonistes qui restituent leurs affects. Se pose alors la question de la place de la légitimité que ces individus et ces acteurs dans leur personnalité ont par exemple à dire « Fuck George Bush » sur le plateau. Plus qu’une pièce à personnages, ce type de théâtre appartient aux acteurs.

« Melancholia » avec Melanie Walz (Helene) et Otto Katzameier (Lars).
Crédit : B. Uhlig/ Opéra national de Paris

Qu’est-ce qui vous a attiré dans le roman de Fosse Melancholia et son adaptation à l’opéra ?
Melancholia traite d’un peintre et de sa difficulté à créer, de la reconnaissance, de la proximité de la folie. Or je suis passionné par l’art contemporain et sa rencontre avec la scène, d’où l’intérêt aussi que Fosse ait lui-même réglé la question souvent problématique du livret, en faisant de vrais choix dictés par des partis pris forts, et non des réductions de Jivaros. J’aime le danger de l’opéra contemporain, cette avancée dans la brume, sans connaître la musique ni les voix et l’orchestre qui n’apparaîtront qu’aux dernières répétitions.

Mais ne reculez-vous pas devant la difficulté de travailler avec des chanteurs parfois récalcitrants aux mises en scène contemporaines, comme le public à la nouveauté ?
Au contraire, il faut souvent retenir les jeunes chanteurs qui ont plutôt envie de chanter les pieds au mur. Je me sens donc très libre d’agir, surtout sur une création contemporaine épargnée de traditions qui enferment dans une connaissance illusoire, les chanteurs voulant reproduire une interprétation qui avait bien fonctionné ailleurs.
Je ne crée pas innocemment du contemporain dans des lieux peu consensuels comme Monaco ou l’Opéra Garnier, participant ainsi à l’éveil de spectateurs qui ne viennent pas revoir La Traviata mais être déplacés. La musique contemporaine n’est pas difficile, mais joueuse : elle reste très en lien avec le public, elle lui dit sans cesse : ces sons que vous entendez pour la première fois, que vous font-ils ressentir ?

Propos recueillis par Julien Lambert

« Das System », de Falk Richter, 13 au 20 juillet à 15h, Salle Benoît-XII, Festival d’Avignon. (Loc. +33 4 90 14 14 14)
« Melancholia », de Haas, les 9, 12, 15, 18, 22, 24 et 27 juin, à l’Opéra Garnier, Paris. (Loc. +33 892 89 90 90 90)
« Gênes 01 », qui enquête à partir de documents réels sur la mort d’un manifestant en marge du G8, a été présenté par Denis Maillefer à l’Arsenic et à Saint-Gervais en 2007 (cf SM 145, mars 2007).