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Beaune, Colmar, Montpellier : commentaires - [Arts-Scènes]
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Festivals 2008 en France
Beaune, Colmar, Montpellier : commentaires

Découvertes à Beaune, anniversaire à Colmar et affiche prestigieuse à Montpellier.

Article mis en ligne le septembre 2008
dernière modification le 19 janvier 2012

par François JESTIN, Jacques SCHMITT, Pierre JAQUET, Pierre-René SERNA

Beaune


Découvertes et renouveaux
Première fin de semaine marquée par un opéra inédit – comme il se doit – de Domenico Scarlatti, et deux concerts dédiés à Haendel et Bach mais réservant autant de surprises : le Festival international d’opéra baroque de Beaune ne fléchit pas et ne faillit pas à sa réputation.
Ottavia restituita al trono est un opéra d’un tout jeune Scarlatti, datant de ses débuts napolitains avant qu’il émigre définitivement à Madrid. On pensait l’œuvre perdue, sauf pour le livret. Jusqu’à ce que l’on s’avise récemment de ressortir une partition de (presque) tous les arias, conservée au Conservatoire de Naples. Tout simplement. Manquent les récitatifs et la musique des parties bouffes, auxquels Antonio Florio et son comparse le musicologue Alesandro Ciccolini ont suppléé. Les da capo ont eux été écrits par un autre complice, le musicien Carlos Aragon. Et voilà l’opéra remis à neuf. Florio et sa Cappella de’Turchini le créent l’an passé au Festival de San Sebastian, le reprennent dans la foulée à Naples, puis enfin à Beaune pour cette première française. Que dire de l’œuvre ? C’est un enchaînement d’arias da capo assez interchangeables, mais non pas sans saveur. Le livret est lui des plus échevelés, entremêlant drame et comique, comme de coutume à Naples à cette époque. Les parties musicales ajoutées lui rendent pleine justice, ainsi qu’au travail de ses fabriquants apocryphes. Mais tel, l’opéra n’apparaît pas impérissable. Une aventure louable donc que cette restitution, avec le risque inhérent à ce genre d’entreprise. Le plateau vocal réuni pour l’occasion mérite tous les éloges : à commencer par la Poppea de Maria Grazia Schiavo, soprano désormais en pleine possession de ses moyens. Les autres sopranos, Maria Ercolano et Yolanda Auyanet, pâlissent un peu, mais seulement par comparaison ; et quant aux contralto et sopraniste, masculins, Filippo Mineccia et Paolo Lopez, ils témoignent d’une technique impressionnante. On n’en dira pas autant de la direction musicale de Florio, routinière et sans relief, devant les pourtant excellents instrumentistes de sa formation.

Bach et et Haendel comme neufs
Deux concerts encadrent le Scarlatti : d’un lyrisme religieux cette fois, pour des œuvres d’une autre transcendance, dans des interprétations hors pair. L’anthem funéraire The way of Zion do mourn, rareté s’il en est, et le motet Dixit dominus sont d’un Haendel sublime – n’hésitons pas ! Ce qui tranche quelque peu avec le Scarlatti précédemment commenté. Le Chœur et Orchestre du Collegium vocale de Gand les restituent dans une émotion palpable jusque chez les interprètes, sous une battue de Daniel Reuss des plus inspirées. L’intégrale des six magnifiques motets de Bach, si peu fréquents au concert, n’est pas moins admirablement servie, avec l’ardeur contrapuntique de Joël Suhubiette à la tête de son Chœur Les éléments et de son ensemble instrumental Jacques Moderne.
Pierre-René Serna

« Orphée et Eurydice ». De gauche à droite : Magali Léger, Maria Riccarda Wesseling, Stefano Ferrari, Jérémie Rhorer
© Michel Baudoin

Orphée et Eurydice
La basilique Notre-Dame de Beaune était bondée pour assister à la représentation d’Orphée et Eurydice, le plus populaire des opéras de Christoph Willibald Gluck. Sans contraintes scéniques, sans machineries, avec pour seul décor une simple estrade et l’austérité de la collégiale, il ne reste au spectateur de ce concert que de se laisser emporter par l’interprétation musicale. Et quelle musique, quelle orchestration, quel sens de la couleur des mots, de l’intensité dramatique, du théâtre dans l’œuvre du compositeur ! Certes, pour donner sens au merveilleux de cette musique, encore faut-il qu’un orchestre et que les quelques solistes s’investissent dans l’esprit de l’oeuvre. Le Cercle de l’Harmonie emmené par la verve de son jeune chef Jérémie Rhorer l’a bien compris. Dès les premières mesures, il scelle l’empreinte communicative de l’enthousiasme et du désir de servir le compositeur. Les sourires entendus que s’échangent les instrumentistes font vite comprendre que le climat qui s’installe porte en soi un véritable miracle.
Il se renforce avec l’entrée du ténor italien Stefano Ferrari (Orphée) qui, en lançant son désespéré Eurydice, Eurydice… initial, glace le sang en submergeant l’auditoire de son émotion. Remplaçant au pied levé l’Orphée de Topi Lehtipuu, le ténor italien exhibe un personnage d’une générosité et d’une ardeur peu communes. Quelle authenticité, quelle profondeur dans ce chant d’une masculinité bouleversante. Fi de l’amoureux transi, de la plainte théâtrale. C’est un homme qui pleure. Un homme qui crie. Un homme qui se révolte. Ainsi, il s’érige en maître du plateau, en maître de la musique. Passés les premiers instants de légère gêne à ses « r » roulés, à son français résonnant d’accents transalpins, la voix l’emporte sur le texte. Une voix charnue qui raconte le drame. Une voix d’homme sachant aussi s’abandonner à des pianissimi d’une touchante beauté. Stefano Ferrari s’empare de la musique de Gluck et du mythe d’Orphée pour en livrer des moments d’une rare splendeur et d’un total dévouement à l’œuvre. Plus encore. Cette musique le transcende au point de lui jouer des tours quand, transporté par sa générosité artistique toute latine, il frôle la catastrophe dans des aigus qu’il redoute.
Dans l’assistance, on retient son souffle avec le drame. On le vit comme si chaque homme devenait Orphée et chaque femme était Eurydice. On respire au rythme de la musique qui enveloppe et enlève l’assistance dans un halo de bien-être. Il n’y a plus qu’elle qui emplit l’espace de ce prodige musical de tous les instants. C’est alors la rencontre avec l’Eurydice de Maria Riccarda Wesseling. Le visage baigné d’un sourire rayonnant, son Cet asile aimable et tranquille… prélude avec un charme hiératique le duo d’amour avec Orphée retrouvé. La voix claire, la diction parfaite, la prosodie déclamée avec sensibilité et intelligence, la mezzo suisse étend son talent sur l’ensemble de l’orchestre et de ses collègues. Il semble même qu’Orphée chante encore mieux qu’avant. Il semble se fondre encore plus dans son personnage. L’Amour de la soprano Magali Léger ne pouvait que succomber au climat éthéré qui se crée dans cette belle musique. Elle ne manque pas au rendez-vous, sa voix, sa diction, son éclatante jeunesse, sa présence raffermissant la joie communicative de son sourire. Dommage que le Chœur Les Eléments ne semble pas se prendre au jeu des chanteurs et de l’orchestre. Même si sa musicalité ne peut être mise en cause, même avec ses quelques légers décalages avec l’orchestre, l’ensemble vocal semble pourtant peu à l’aise avec la langue de Voltaire chantée, sa diction s’avèrant souvent pâteuse. Reste que le public a réservé un triomphe à cette soirée. Bravos et nombreux rappels ont souligné la performance inspirée d’un Jérémie Rohrer dont la jeunesse et celle de son ensemble laisse entrevoir de forts beaux jours à la musique baroque de demain.
Jacques Schmitt

Colmar


Un anniversaire avec éclat
Juillet 2008, la manifestation alsacienne célèbre les 20 ans de sa collaboration avec le maestro Spivakov, tout en rendant hommage à Rostropovitch. L’occasion de jeter quelques coups d’oeils dans le rétroviseur. En 1988, malade, le chef d’orchestre Karl Münchinger annonce qu’il va passer la main. Il ne se sent plus la force de continuer d’animer ce qui était un festival franco-allemand de musique de chambre. A ce moment-là, Vladimir Spivakov vient donner un concert à Colmar auquel assiste le maire de la ville Edmond Gerrer. Une rencontre, un repas... et c’est le début d’une collaboration qui fête actuellement la fin de sa deuxième décennie... tout en préparant la troisième !
Pendant toutes ces années, que de chemin parcouru et que d’artistes prestigieux invités ! L’association avec l’artiste russe a permis au public alsacien de découvrir des musiciens provenant de ce qu’était alors le pays de la perestroïka. Patiemment et intelligemment Vladimir Spivakov, ainsi que ses partenaires colmariens, ont construit un Festival qui ne se limite pas qu’à de magnifiques concerts. Considérons cette édition : Exposition sur Rostropovitch, rétrospectives photographiques de moments forts de ces vingt années, conférence-débat sur l’interprétation des suites pour violoncelle de Bach, productions au Musée du Jouet...

Le violoncelliste américain Gary Hoffman

Construit comme un réseau, le Festival s’appuie sur un partenariat assez généreux avec des institutions publiques et privées. Les secrets de la réussite ? Miser sur les grands noms pour ouvrir le chemin aux jeunes, unir la découverte musicale aux plaisirs gastronomiques et culturels, enfin, garder le sourire et cultiver l’accueil impeccable... en bref, permettre à chacun des festivaliers de vivre un moment inoubliable, de côtoyer et d’admirer les personnalités de loin et de près. Mais ce qui donne l’ossature à chacune des éditions, c’est la volonté d’axer les productions autour d’une personnalité forte : K. Penderecki en 2003, Jessye Norman en 2004, D. Chostakovitch en 2005, E. Guilels en 2006, Ch. Munch en 2007 et M. Rostropovitch pour cette édition 2008.
Toutes ces activités n’auraient pas pu se développer si harmonieusement si les personnes en charge de l’organisation n’avaient pu offrir aux interprètes une qualité de séjour. Le violoncelliste américain Gary Hoffman le résume fort bien : Colmar, c’est la fête et le plaisir de la vie ! De cet esprit de fête naît la meilleure des émulations ! Les artistes apprécient également les occasions de rencontres, de débuts d’échanges et de collaborations qui voient le jour à chaque édition : le directeur artistique provoque parfois des « clash » constructifs, en faisant se rencontrer un soliste et un chef d’orchestre dont les conceptions semblent très éloignées aux premiers abords. Le résultat : une (re)découverte qui implique tant le public que les interprètes eux-mêmes.
Impossible ici d’évoquer les multiples invités de l’édition 2008. Il y a eu, par exemple, la très impressionnante Japonaise Mayuko Kamio, qui a remplacé au pied levé l’absent Maxime Vengerov. Mais s’il fallait en retenir un, ce serait Tatiana Vassilieva, lauréate du prix Rostro à ses débuts qui, par son jeu naturel et inspiré, continue à rendre hommage au maître. La violoncelliste russe a dépeint deux suites de Bach et trois pages de Dutilleux avec talent et imagination, offrant à ce festival un intense centre de gravité ! Et chapeaux bas envers les jeunes choristes de l’Académie d’art choral de Moscou. Quel éventail de répertoire, quelle palette de timbres, quelle jeunesse et maturité !
Pierre Jaquet

Montpellier


Natalie Dessay / Jonas Kaufmann
C’est avec une somptueuse affiche que se clôt la 24ème édition du Festival de Radio France et Montpellier, en réunissant, pour un concert donné à guichets fermés, deux des chanteurs les plus en vue du moment : la soprano Natalie Dessay, dont la notoriété n’est plus à faire, et le ténor allemand Jonas Kaufmann, de plus en plus apprécié des connaisseurs. C’est Natalie – toute blonde ce soir – qui ouvre les festivités, avec une magnifique Manon de Massenet : diction admirable, mots ciselés, variant couleurs vocales et sentiments exprimés (une touche mélancolique, presque crépusculaire sur le 2ème couplet de « Profitons bien de la jeunesse… »). Les rôles qu’elle a moins fréquentés jusqu’ici la montreront un peu moins convaincante par la suite – Juliette de Gounod, Traviata, Gilda – avec trois ou quatre débuts d’accrocs sur certains passages lents, et une gestion perfectible de son souffle.

Natalie Dessay, Michaël Schœnwandt et Jonas Kaufmann
© Luc Jennepin

Ses prouesses techniques sur le « Sempre libera » – vocalises, aigu final – déclencheront un début de standing ovation, mais en abordant le rôle tout prochainement au festival américain de Santa Fe, elle aura certainement l’occasion de travailler la caractérisation du personnage de Violetta, qui pour l’instant n’a pas l’air de souffrir particulièrement, ni de douter dans ses choix de vie. Dès que Jonas Kaufmann ouvre la bouche, l’auditeur est marqué par la couleur barytonale de son timbre, tout en étant capable, à l’autre extrémité, d’aigus forte éclatants. L’instrument paraît d’une robustesse à toute épreuve, mais le style est particulièrement fin, avec de magnifiques piani et pianissimi sur l’air de « La fleur », extrait de Carmen, le «  E lucevan le stelle » de Tosca, ou sur le duo « Nuit d’Hyménée » de Roméo et Juliette. Remarquable dans ce répertoire – on attend avec impatience son Fidelio la saison prochaine à Bastille, et on garde espoir pour un Otello à moyen terme – il trouve immédiatement ses limites dans des emplois lyriques tirant sur le belcanto. Dans le Libiamo – unique rappel du concert ! – il escamote les modestes vocalises de sa partition, et ne fait preuve d’aucune souplesse vocale.
La soirée eut été plus belle avec une direction musicale plus adéquate. Michael Schœnwandt, à la tête de l’Orchestre National de Montpellier Languedoc-Roussillon, joue fort, trop fort aussi bien dans les nuances forte que piano. Le Carnaval romain de Berlioz et España de Chabrier sont ainsi plus sonores que véritablement brillants. La frontière du pompier est proche lors du Ballabile de l’Otello de Verdi, et une accélération malheureuse sur le duo de Rigoletto achève de nous convaincre que les deux stars auraient pu être mieux accompagnées pour cette fête de clôture.

François Jestin

Concert Natalie Dessay / Jonas Kaufmann : le 31 juillet 2008 au Corum de Montpellier