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Festival d’Avignon
Avignon : “ 2008 Vallée“

Entretien avec Mathilde Monnier au sujet de la chorégraphie de 2008 Vallée et de la participation de Philippe Katherine.

Article mis en ligne le juillet 2008
dernière modification le 7 août 2008

par Bertrand TAPPOLET

Au sein de 2008 Vallée, chorégraphie présentée au Festival d’Avignon et créée conjointement avec Mathilde Monnier, le coryphée Philippe Katherine joue des contrastes dans des textes anxiogènes et néanmoins teintés d’humour issus de son album déjà culte Robot après tout.

Il est cloné dans ses poses et chansons de geste par les danseurs. Ce dispositif rappelle de loin en loin le travail de Vanessa Beecroft et ses modèles uniformément vêtus. Mais aussi celui à l’œuvre sur les images mêmes de l’album, secrète hantise de faire partie d’une collectivité où tous viennent à se ressembler. Mais le chanteur est aussi suivi par une Monnier accolée en fond de scène, comme une ombre en miroir, répétant ses gestes de manière parfois décalée. Par sa présence, à la lisière de l’incarnation, sa gestuelle pariétale, anguleuse, et la sensualité espiègle, désœuvrée qui en émane comme un regret, elle bascule imperceptiblement dans les anfractuosités d’un show mécanique bien rôdé. Rejointe par les danseurs de la tribu, elle vient s’enrouler comme ronce, s’agglutiner à l’icône chantante, nouvelle secte phagocytant son leader charismatique, lui déformant le visage, l’expression du son par autant de mains imposées. Pour le contraindre au silence, le subvertir dans une lutte au sol visant à la bâillonner.

Doux flux
Tel un burlesque muet, le corps se pare de grimaces, puis délie le mouvement, minimal, en s’accomplissant de manière épurée dans de petites capsules de récits. Les pas des choristes sont superbement synchronisés dans des surplaces qui finissent par semer le frisson d’un trouble dans une ordonnance aussi parfaite. Un doux flux distribue les corps et quelque chose d’impalpable de l’ordre du rituel se révèle au contre-jour des présences. De noirs idéogrammes glissent sur la surface jaune du plateau avec leur pied de micros. Le tout dessine une sorte d’alphabet des ténèbres, une calligraphie cartographiant le plateau dans un réseau pulsionnel, une architecture faite de déplacements retenus jusqu’à une danse impliquant l’ensemble du groupe avec d’incessants changements de directions. De ce surplace entêtant, émergent des corps boussoles ou balises qui ramènent sur les rives délicieusement hantées du minimalisme de la post modern-danse. Essorés, comme fauchés en plein rêve éveillé, les corps du collectif se posent alors lentement sur la grève après le naufrage et la traversée biblique d’un matelas jaune devenu falaise à franchir.
Rencontre avec la chorégraphe et danseuse Mathilde Monnier

« 2008 Vallée » de Mathilde Monnier et Philippe Katerine
Photo de Marc Coudrais

Philippe Katherine avance que les thèmes parcourant ses chansons fonctionnent bien avec une collectivité et une individualité. Cette double idée d’entrer dans un groupe et d’en être exclu est l’un des leitmotivs de la chorégraphie.
Mathilde Monnier : Sa façon de travailler est à la fois éminemment solitaire et intimement liée à son groupe, une forme de clan. D’où l’idée d’expérimenter ce balancement entre communauté et personne comme une mise en scène développée sur le plateau. Il y a cette volonté, dans un esprit post soixante-huitard, de retrouver un rapport premier au groupe dans une forme de fausse utopie. L’idée originelle de Katerine était ainsi de chanter et de réenchanter ce monde communautaire, égalitaire, parfait, idéal. C’est une vision rêvée de cette façon d’être ensemble sur un plateau et peut-être pas dans la vie réelle. Nous sommes aussi partis sur cette idée de tribu post nucléaire qui se reconfigurerait de manière utopique.

Mai 68 incarne aussi une pulsion radicalement narcissique ne renvoyant tendanciellement qu’au même, à l’identique, au jeune, au camarade. C’est ce clonage de l’identité que l’on retrouve dans les musiciens de Katherine portant haut rose et perruque blonde. Cette notion de communauté rapporte aussi à La Possibilité d’une île de Houellebecq.
Assurément, il s’agit d’imaginer une communauté du futur comme un pari, une utopie et non quelque chose de réel, contrairement à 68 où certains pensaient à une société égalitaire possible. On ne peut envisager ce projet que comme élément irréel, présence scénique contemporaine. Le faire exister dans une relation artistique, dans une mise en scène mais pas dans le réel d’un phalanstère.

Vous développez un travail sur l’unisson, la choralité traversé de médusants surplaces.
La pièce suivante, Tempo 76, est liée à cette fin de 2008 Vallée avec ses changements de directions dans un piétinement hypnotique. Ce moment qualifie l’idéalité que l’on souhaite figurer sur scène, cette espèce de bonheur fabriqué, cet unisson abordé de manière fort différente dans Tempo 76. Cela s’inscrit dans l’esprit d’un groupe qui, tout en étant formé d’individualités singulières et contrastée, tend vers la même chose, tout en ayant conscience de sa vacuité, de son caractère vain. Néanmoins tout le monde y croit dans le moment où il le faut. Sur cette notion de choralité, il s’agit sans doute de chorales enfantines dans une conception naïve et premier degré. Cette fraîcheur qui n’exclut nulle ambiguïté est la marque de 2008 Vallée. L’intérêt avec Katherine, c’est une atmosphère d’apparente naïveté qui fait que des idées très simples peuvent fonctionner sur scène.

Comment les chansons de Katherine redécoupent-elles les corps ?
C’est à ce point que se situe l’alpha du travail. Katherine ne parle pas du corps générique, mais témoigne de son anatomie propre, de ses problèmes avec ses contours physiques dans un registre presque maladif. À aucun moment, le corps n’est abstrait ou archétypal dans ses textes. Du coup, il était plus aisé pour moi d’entrer dans le plissé de cette enveloppe charnelle incertaine, inquiète, de saisir un corps maladroit, qui se cherche. Mais aussi une corporalité à échafaude, car souvent déployée sur un canevas fragmenté, comme découpée en morceaux. Car loin d’être une image, la réalité corporelle est un élément éminemment concret revenant dans presque chaque chanson. Le chanteur regarde son corps, qui, partant, devient l’un des thèmes principaux de ses compositions.

Vous développez en fond de scène un dialogue avec le corps de Katherine, comme un duo dans lequel vous reproduisez certains de ses gestes de manière différée.
Le plaisir était de le porter, de le protéger sur le plateau, de le dédoubler, moins comme un fantôme qu’une figure protectrice. Rentrer aussi dans sa gestuelle, sa façon de bouger, d’être un double dans l’ombre. D’où l’intérêt de travailler ce corps de guingois, bâtard, une sorte de dandy idiot propre à Katherine. Je suis souvent attirée par les forces contraires pouvant animer un corps et comment ce même corps se meut, ce qui m’enseigne en retour sur mon propre corps, ma gestuelle. En entrant ainsi dans le corps de Philippe, il s’agit de comprendre son esthétique, sa signature physique, mouvementiste et mentale.

Parlez-nous de ce moment de fascination capillaire commune.
Lorsque j’ai écouté Louxor de Katherine, de manière intuitive je me suis demandé comment faire danser tant les cheveux que les gens. Le titre originel de l’album était d’ailleurs « Coiffure ». Ce moment non calculé de dialogue amplifié poursuit le fait que nous avons beaucoup échangé sur notre intérêt capillaire commun. A mes yeux, l’idée de faire danser les cheveux fait écho à ce monde de la pop, de la pub pour boisson gazeuse si emblématique des années 80.

Et le rapport à la musique ?
Ce lien passe par les textes et la rythmique à l’œuvre chez Katherine. Ce sont deux éléments conjugués essentiels dans la réception de Louxor et Robots après tout. 2008 Vallée s’axe d’ailleurs davantage sur l’esprit, le sens qu’une chorégraphie comme Public, inspirée par l’univers sonore de PJ Harvey où l’on se cristallise dans le registre du ressenti, de la sensation et de sa découverte. 2008 Vallée nous immerge dans quelque chose de plus mature, adulte et perverti. Le corps de Philippe amène une dimension ambiguë, moins candide. Si la naïveté existe ici, elle ne se confond pas avec l’innocence.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

« 2008 Vallée ». Festival d’Avignon du 24 au 26 juillet 2008
www.festival-avignon.com