Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

A Montpellier
Montpellier Danse 2007 : Musicalité du geste

Montpellier danse 07 offre une palette agitée de mouvements et de démarches.

Article mis en ligne le juillet 2007
dernière modification le 18 août 2007

par Bertrand TAPPOLET

Montpellier danse offre une palette agitée de mouvements et de démarches qui
touchent au cœur du temps présent avec une grande musicalité du geste.

Mathilde Monnier arpente dans Tempo 76 les notions de collectif, de choralité, d’unisson qui imprègnent de manière tenace les chorégraphies les plus populaires. Au dansez ensemble, la Sud-africaine Robyn Orlin adjoint, sur le fil de chants et de musiques traditionnelles de sa région, une percée ironique et douloureuse au cœur du continent le plus touché par la pandémie du sida (We must eat our suckers with wrappers on…). Grande figure de la danse nord-américaine, Trisha Brown tente, au détour de trois opus, de tisser des passerelles entre expérimentation virtuelle et concrétude réelle des corps, lier danse non figurative et trame narrative, mêler la biomécanique du vivant à la cybernétique de l’androïde. Anjelin Preljocaj, enfin, délie les attaques de Vivaldi dans son Magnificat pour Annonciation, rejoint les paroles et phonèmes de John Cage à l’occasion de Empty Moves et développe une nouvelle relation entre danse et musique dans Eldorado, sur une partition composée pour lui par Stockhausen.

« We must eat our suckers with the wrapper on… . Chorégraphie : Robyn Orlin

Le sida et ses corps
Face à un mal qui tend à se banaliser en Occident avec le développement des trithérapies, Robyn Orlin bouleverse les idées scéniques reçues avec We must eat… (On doit manger nos sucettes avec leur emballage), un adage souvent rencontré dans les Townships. Toutes ses pièces relèvent du "théâtre d’intervention" davantage que de chorégraphie au sens commun du terme. C’est depuis la salle, parmi les regardeurs, que les interprètes initient la représentation. Public que le spectacle gardera dans sa visée en filmant de très près la peau et les yeux de plusieurs spectateurs à l’aide de petites caméras portées par des officiants et dont les images sont projetées. Autant de collages, d’inserts sur le vif qui déréalisent l’anatomie jusqu’à la rendre abstraite par une fragmentation évacuant tout souci de vérisme. "Petit à petit, avec la lenteur du caméléon, il nous frappe l’un après l’autre", chantent les interprètes, sur la pulsation de danses zouloues et de gestes puisés à même le quotidien. Un homme supposé atteint par le virus déballe sa sucette et invite les volontaires à la savourer. On retire les chaussures des pieds du public pour former le ruban rouge de lutte contre le sida. Du rapprochement parfois malaisé à l’enrôlement du spectateur, Orlin développe un travail sur la proximité extrême et la mise à distance ainsi que sur l’image digitale vécue comme un arpentage du corps au plus près. En baskets et robes courtes colorées, les danseurs, hommes et femmes, nantis de seaux en plastique rouge, jouent de leur travestissement et accessoires pour conter des récits. Des rythmes jaillissent des pieds, sur les seaux. Ainsi va cette danse manifeste d’agit-prop qui souhaite sans doute remémorer que, dans l’indifférence des opinions publiques, un quart de la population adulte est déclarée contaminée du sida dans l’ancien pays de l’apartheid. La perspective toujours changeante sur une maladie, voilà bien l’un des axes forts de cette création. Sur le plateau, se meurt une victime du fléau. Un cercle se forme alentour, du sable carmin circonscrit le deuil sous les pas des danseurs. La vision surplombante de la scène donnée par une caméra mobile voit celle-ci chuter en cadrant au plus près les traits du mourant. Comment mieux dire la fin, si proche, si lointaine ? Et ce désir souterrain d’aimanter des solitudes et les limailles de nos regards face à la mort qui vient dans le creuset d’une expérience commune.

Massive attaque
La question du lien, du vivre ensemble, et selon quelles modalités, est centrale dans le travail de Mathilde Monnier. Comme se conjuguer au singulier tout en accueillant la dictée de la masse qu’impose le monde à sa singularité. Depuis Les Lieux de là (1998) notamment, la chorégraphe tisse des liens entre l’individu et le groupe, met en lumière les flux enchevêtrés d’attraction et de répulsion, les soubresauts qui fécondent la communauté en marche. L’impulsion tendait alors à l’agrégation des interprètes jusqu’à former un tumulus. Topographie conjonctive des corps reprise dans son dernier oups en date, 2008 Vallée, et sa secrète hantise de faire partie d’une collectivité où tous viennent à se ressembler. Avec la peur comme ennemi et moteur, une vision découvrait, dans certains déséquilibres vertigineux, ces mouvements d’ensemble quasi militaires, sur des paroles qui claquaient comme une choralité vénéneuse et décalée. Que le mouvement choral soit manifeste ou constitue un fondement sous-jacent, c’est souvent la question de l’un et du multiple qui est privilégiée et met la scène en mouvement chez la chorégraphe.
Dans Tempo 76, Monnier questionne, sur un mode critique qui n’exclut nulle jubilation, l’image de l’unisson : comment dessiner un monde avec les solitudes intempestives ? Comme créer de l’ "être ensemble" tout en restant soi ? Pour Tempo 76, neuf danseurs se fondent au cœur d’une écriture hautement architecturée, produisant un mouvement envoûtant, comme issu d’une immense mécanique rythmique, distillant l’hypnose à force de répétitions sérielles. Sur une scénographie de nature domestiquée en paysagisme jardinier, règne le "silhouettage" d’une méticuleuse bande dessinée avec ses "impuretés", qui mélange le grotesque et la terreur, le démoniaque et le comique. Le geste délie une musicalité inédite sur la musique de Ligeti, sans césure, comme si elle n’avait ni début ni clôture ; une masse sonore issue de l’environnement, qui vient vers l’interprète comme un lourd regard traverse le corps.

Bertrand Tappolet

Rés et renseignements : 0033 (0) 800 600 740