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A Monte-Carlo
Monte-Carlo : Printemps des arts
Article mis en ligne le 1er juillet 2007
dernière modification le 11 septembre 2013

par Frank FREDENRICH, Pierre-René SERNA

Etant lui-même compositeur, Marc Monnet est bien placé en tant qu’organisateur du Printemps des Arts de Monte-Carlo pour démontrer la nécessité de donner une chance au compositeurs d’aujourd’hui à l’occasion d’une manifestation qu’il a su rendre attractive et novatrice.

Kagel, Aperghis et l’IRCAM étaient en particulier à l’honneur lors de cette édition 2007, et à l’occasion d’un dernier week-end on a pu entendre une création commandée par le festival à Stefano Gervasoni : Whisper not. Ces trois études pour alto et électronique en temps réel permettaient de retrouver un compositeur bien connu des amateurs de musique contemporaine puisqu’il a par exemple souvent été programmé par l’Ensemble Contrechamps depuis une dizaine d’années. Promettant « une investigation des sonorités de l’alto par rapport à d’autres instruments et ses affinités avec d’autres sonorités qui n’appartiennent pas à sa nature » grâce à l’emploi de l’électronique avec les moyens de l’informatique musicale de l’IRCAM, l’œuvre n’a que partiellement convaincu. La faute en incombe au peu de sérieux d’un team d’informaticiens qui avaient tout bonnement oublié de brancher un micro sur le chevalet. L’écoute était ainsi tronquée, les effets supposés ayant été inexistants durant une première partie confuse. L’oubli réparé, les frottages, pizzicati, glissandi et autres effets reproduits et travaillés révélaient grâce au brio de Geneviève Strosser une indéniable cohérence dans un genre pourtant moins original qu’espéré. Lors du même concert, Régis Pasquier et Nicolas Bringuier rivalisaient de virtuosité dans la Première Sonate pour piano et violon et la Suite « En plein air », deux compositions de Bartok datant des années 20.
Tout aussi remarquable, l’interprétation de Christian Tetzlaff du Concerto pour violon no 2 du même Bartok a marqué un moment fort de la programmation du Printemps des Arts. Structurée comme des variations, l’oeuvre donne au soliste l’occasion de ce qu’il convient de nommer une véritable performance faisant apprécier les qualités du violoniste allemand à la sonorité limpide et infaillible. Cette soirée consacrée au compositeur hongrois donnait également l’opportunité d’apprécier l’accompagnement de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo placé sous la baguette précise de Graeme Jenkins dans le Concerto pour Orchestre et la Musique pour cordes, percussion et célesta.

Fragments d’un discours de désamour
« C’est le nouveau théâtre » s’exclamait avec un sourire complice un voisin dont on peut estimer qu’il avait probablement découvert le théâtre grâce à la famille Pitoëff. Il faut dire que la centaine de spectateurs confortablement installés dans de moelleux canapés 3 places avaient de quoi méditer sur l’évolution de la scénographie contemporaine dans une grande halle transformée pour l’occasion. De fait, la Salle du Canton de la cité monégasque ressemblait plus pour ces représentations de Faces à un dancing improvisé qu’à un lieu voué au théâtre. Le parti pris du metteur en scène Daniel Benoin avait au moins le mérite de la clarté pour cette adaptation du chef-d’œuvre qu’est le film de John Cassavetes : jouer au milieu du public pour inviter les spectateurs à être les témoins de l’histoire d’un couple « qui semble se désagréger en une nuit et qui finalement se retrouvera peut-être le lendemain ».
Faces, ou le récit d’un déchirement, une brève conflagration qui commence avec l’annonce d’un divorce et se poursuit avec des rires et des larmes, dépression, faux-semblants, le tout dans une atmosphère que ne renieraient pas des partisans de l’Actor’s Studio. Faces ou le trouble d’homme et de femmes entraînés par leurs désirs fugaces et leurs illusions ou encore dissection du désir amoureux sous une forme brute ou brutale. Daniel Benoin, directeur du Centre Dramatique National de Nice Côte d’Azur, après avoir mis en scène une première adaptation cinématographique avec Festen en 2002, réussit à faire vivre les protagonistes imaginés par John Cassavetes et à créer le trouble et l’émotion grâce à ce choix de la proximité qui introduit le spectateur comme témoin ou voyeur. Faces est servi par une excellente équipe d’une dizaine de comédiens, parmi lesquels on retrouve Valérie Kaprisky, à la fois forte et fragile en épouse délaissée et surtout l’imposant François Marthouret qui trouve un rôle à sa (dé)mesure en incarnant un mari déchiré par ses contradictions et ses faiblesses.

Frank Fredenrich

Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo - Marek Janowski (photo Guy Vivien)

Lieder en fête
L’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo est l’un des plus anciens qui soient. 150 ans, ça n’est pas rien ! Et pour marquer ce glorieux anniversaire, les Gurrelieder et leurs quatre cents exécutants étaient tout indiqués. Il s’agit d’un ancien projet de Marek Janowski : réunir deux formations orchestrales, en compagnie de chœurs innombrables et de solistes, pour un concert monstre. Peu d’œuvres s’y prêtent. Le Requiem de Berlioz ayant déjà fait office il y a trois ans au pied du rocher monégasque, la grande page postromantique de Schoenberg est l’une des rares à pouvoir remplir ce cahier des charges. Et c’est ainsi que la phalange de la principauté se retrouve associée à l’Orchestre symphonique de la radio de Berlin, aux Chœurs réunis des radios de Berlin et de Leipzig. Autant d’ensembles que Marek Janowski connaît bien, pour en avoir été titulaire à un moment ou l’autre. S’il vient de quitter le Philharmonique de Monte-Carlo, s’il a renoncé il y a quelques temps déjà à son poste à Leipzig, il préside toujours aux destinées de l’orchestre berlinois. Pour ce concert conjoint à Monaco et à Berlin (repris dans la foulée), le chef est donc dans son élément.
Il est aussi à son affaire pour ce qui du répertoire, de Wagner à Bruckner jusqu’au premier Schoenberg, où il n’a plus à prouver sa maîtrise. Au Grimaldi Forum de Monaco, la sonorité d’ensemble ne faillit pas : houle des vagues instrumentales, immenses, où flottent mille frémissements et cent frêles esquifs de notes individuellement parsemées. Le plateau vocal répond à la gageure, vigoureusement et puissamment dans le cas de Petra Lang ou Kwangchul Youn, plus délicatement en l’espèce pour la soprano Eva-Maria Westbroek et le ténor Robert-Dean Smith – deux rôles principaux (Tove et Waldemar) qui seraient parfaitement en phase, n’était l’acoustique sèche du lieu. Car c’est là le point incertain : d’une œuvre monumentale qui fait place aussi à la finesse, l’espace bétonné du Grimaldi privilégie surtout la composante monolithique. Le chef aurait peut-être dû mieux en tenir compte, et ne pas laisser ainsi sa masse orchestrale submerger un ténor dont le phrasé ne conserve alors son éclat que parmi les premiers fauteuils (comme l’a démontré un changement de place). Les chœurs, eux, ne sont pas en reste, d’une intensité rêche et rebelle. Quant à François Le Roux, c’est la belle et grande surprise de la soirée : conférant au Récitant une musicalité inattendue et révélatrice, là où habituellement le sprechgesang de rigueur, à être trop souvent platement ânonné, fait achopper au final le chef-d’œuvre.

Pierre-René Serna