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Avignon 2007 : La chair des mots - [Arts-Scènes]
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Festival d’Avignon 2007
Avignon 2007 : La chair des mots

Survol des spectacles qui seront proposés durant l’édition 2007

Article mis en ligne le mai 2007
dernière modification le 15 juillet 2007

par Bertrand TAPPOLET

Durant trois semaines, du 6 au 27 juillet, la cité des papes va accueillir une trentaine de spectacles, dont 65% de créations. Cette 61e édition du Festival d’Avignon décline, sur le mode de la polyphonie sensorielle, les germinations et éclosions qui forgent l’identité de textes désormais classiques (Shakespeare, Klaus Mann, Char, Genet, Céline) avec des metteurs en scène qui, à l’image de l’artiste associé Frédéric Fisbach, préfèrent souvent un morceau de phrase qui se cabre, l’orage d’une image ou un chuintement de
syllabes à un récit trop constitué.

Chez nombre d’entre eux, des mots-sensations, des perceptions exacerbées, une tessiture de la voix, participent de cette exigence de forme et de sens qui anime et nourri le souci qu’ils ont de la langue et le plaisir qu’ils prennent à faire vibrer, à nous faire sentir le pouls d’une écriture. Ils savent sans doute bien que la vérité absolue sur un texte n’est que mirage et qu’il y aura toujours du non dit, du tu à l’insu du « moi écrivant » se remémorant des fragments épars ou des éclats multiples d’un récit, d’un destin confronté au vif du monde notamment. Ne pouvant s’habituer aux renoncements contemporains, n’admettant pas l’adaptation à ce qui est, comme si ce qui est ne pouvait être autrement, c’est aussi une parole avec René Char qui sait dire non, et protester contre l’asservissement, ou la bêtise de la notion de pouvoir.

Goût du réel
La création de ce qui allait devenir l’un des plus grands festivals de théâtre au monde est née d’une rencontre : celle de Jean Vilar, comédien, metteur en scène avec le poète René Char. Si la résistance définit bien une poésie, qui « vit d’insomnie perpétuelle », elle est aussi terre d’action. Char passe ainsi à la Résistance, à Céreste, où il est de 1942 à 1944 le capitaine Alexandre, chef de secteur dans l’Armée secrète. « On ne se bat bien que pour les causes qu’on modèle soi-même et avec lesquelles on se brûle en s’identifiant. » La vie âpre, souterraine, des maquis des Basses-Alpes est consignée dans les Feuillets d’Hypnos (1946) : affrontement de la mort et de la trahison, régression vers la vie des cavernes. La parole d’allure prophétique et fragmentaire, volontiers placée sous le signe du philosophe Héraclite et du peintre de La Tour se déploie au fil de 237 paragraphes rédigés clandestinement sur un petit carnet.
Parole singulière qui va bien au-delà du cadre convenu des littératures engagées ou partisanes.

Frédéric Fisbach

« Feuillets d’Hypnos parle de l’homme et de la condition humaine dans le constant dépassement de soi, précise le metteur en scène Frédéric Fisbach. J’ai demandé aux acteurs de travailler comme au cinéma, comme si ces feuillets étaient extraits de 237 films différents, de trouver des atmosphères, des manières d’adresser ou de prendre la parole. C’est aussi une manière de ramener de la fiction ou plutôt d’inscrire des bribes, des amorces de fiction dans un texte qui n’est pas une œuvre dramatique au sens où il n’y a ni personnage ni action dramatique courant sur l’ensemble des feuillets. Il est nécessaire de travailler sur la notion d’amplification et de diffusion pour conserver une intimité avec la langue. La qualité de présence du corps, cette mémoire oubliée dans l’instant, provient du texte dont j’envisage qu’une partie ne soit pas toujours parfaitement audible. Le projet sera porté par des comédiens professionnels mais aussi une centaine d’amateurs avignonnais. La présence d’acteurs non professionnels m’a toujours passionnée. Ce sont souvent des corps, des voix que l’on voit peu sur les scènes et qui sont chargés d’une autre réalité et d’un immense désir premier d’aborder le plateau. » Dans cette œuvre, les manières de dire prennent diverses formes : aphorismes qu’illimite la métaphore « sans tutelle », poèmes en prose où le sujet s’intègre à une matière résistante, se noue à la syntaxe, théâtre sous les arbres où la parole allégée vole et s’échange. Mais aussi témoignage quasi cinématographique, comme saisi dans un long plan séquence, du résistant sauvé par des villageois face à deux compagnies de SS et un détachement de miliciens : « Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait rompre ». La poésie est prise entre « fureur » et « mystère », entre la fragmentation d’une « énergie disloquante » et la réalité humaine, hétérogène et complexe comme la nature et le monde. Tout baigne dans la révolte et le permanent dépassement de soi. Ce qui se traduit dans ces fragments par le refus de ce qui limiterait le champ des possibles, contrecarrerait l’élan vital et le mouvement vers l’inaccessible.

Contre le théâtre
Toute la théorie théâtrale de Genet réfute la tyrannie du réalisme : la représentation ne saurait être reproduction figurative, mimétique. Elle doit imaginer un système de signes. Elle doit apprendre à faire allusion et non plus illusion. Le théâtre selon ses aspirations devrait se présenter comme un cérémonial à la façon des théâtres d’Extrême-Orient, un rituel à la manière d’une messe, un jeu aussi emprunt de gravité que le jeu d’enfant. Entre le théâtre et le réel, pas de continuité ni d’antinomie, car il n’y a pas de réalité. L’être ne cesse de se dérober. Dans Les Paravents, Genet dévoile le jeu du théâtre à vue en se déployant comme une sorte de magicien du plateau. C’est donc assez logiquement que Frédéric Fisbach a renoncé à tout naturalisme lors de sa création en 2002 en optant pour un espace sobre et épuré. « La scène est totalement vide : c’est le cimetière », précise à un instant Genet. Fisbach a aussi retenu que dans la pièce tout semble réalisé pour exalter jusqu’au grotesque la théâtralité du théâtre, le soulignement constant de l’artifice : moments d’écriture automatique, situations absurdes, jeu masqué. Le metteur en scène ajoute à la partition des Paravents des commentaires de son auteur sur l’œuvre. Genet ne voulait-il pas pour l’évocation de Si Slimane, le premier combattant dans la pièce, « que le public sût qu’il s’agit d’un jeu », un jeu ponctué d’accélérations de rythme jusqu’à rendre le texte inaudible ou traversés de stases, de lenteurs inexplicable. Si ce sont trois comédiens bien réels qui campent Saïd, voleur, incendiaire, délateur, assassin abattu par les maquisards, sa mère et sa femme Leïla, les autres figures de ce conte sont de raffinées et petites marionnettes japonaises actionnées à vue par des officiants mutiques pratiquant le bunraku. « Le bunraku a pour caractéristique qu’il faut trois hommes placés derrière la marionnette pour la manipuler. Tous habillés en noir pour qu’on ne les voie pas. Ils atteignent un degré de délicatesse et de minutie dans le jeu très supérieur à ce qu’on obtient avec des marionnettes à fil et à tige », expliquait le cinéaste Takeshi Kitano à l’occasion de la sortie de son film Dolls. Le personnage dans ce théâtre de figures est bien comme chez Genet la partie visible de ce qui est, et qui reste, invisible. Dans le dispositif optique imaginé par Fisbach, chaque spectateur peut à loisir géométriser son cadre de scène, ajuster sa vue et ses visées, ainsi que zoomer où bon lui semble grâce à une paire de jumelles remises au début du spectacle. Juchés sur une estrade, deux acteurs profèrent avec ironie et rage les dialogues des 96 personnages de l’opus.
Les visions sont souvent sidérantes à l’image de cet étonnant ballet d’ombres chinoises où la perception auditive peut être à la fois connectée et déconnectée de la perception rétinienne. Dans Un Captif amoureux, Genet parle du pouvoir de l’image, théâtrale ou non, dans sa double et antinomique postulation : concrétion visuelle et auditive et, simultanément, irréalité foncière. « Tout découle de cette question du lien que l’on entretient entre l’oreille et l’œil, explique Fisbach. Par moments, j’ai l’impression d’entendre par l’œil et de voir par l’oreille. C’est vraiment une expérience que chaque spectateur peut réaliser. Dans la mise en espace proposée et son accès à la jumelle, il est possible de cadrer là une marionnette, ici un manipulateur, qui serait comme l’écho, la résonance, l’ombre ou la provenance de la figure. Cette possibilité d’abstraire par instants l’œil de la grande fiction proposée sur le plateau, tout en restant relié à la narration par l’oreille me parait éminemment salutaire. »

Insideout, mise en scène et chorégraphie de Sasha Waltz. Photo Jochen Sandig

Fuite en avant
Son œuvre durant, Céline se présenta en victime, dont on voulait la mort, physique, littéraire. Tel fut l’immuable scénario qu’il distilla, brouillant les cartes, taisant les faits délicats, occultant des pans entiers de sa vie. Une vie qu’il a jouée sur ses haines. Son antisémitisme viscéral n’étant qu’une variante d’un racisme biologique auquel il adhéra par delà les comédies et les palinodies. Le metteur en scène allemand Frank Castorf a choisi d’adapter à la scène le roman Nord, qui occupe une place centrale dans la trilogie célinienne finale comptant aussi D’un château l’autre et Rigodon. Autant de chroniques de son périple germanique et de ses pérégrinations jusqu’au Danemark qui lui ramènent de façon massive des lecteurs. Sans nier les responsabilités atroces que Céline a partagées, il faut voir en lui l’un des plus extraordinaire inventeur de mots qui soit. Son "style émotif", son écriture qui s’avoue volontiers terroriste, halètement infatigable visant à transcrire la spontanéité imagée du conteur ou le parler oral populaire pour mieux les faire dériver vers la poésie ou la comédie.
Dans Nord, l’Allemagne des derniers feux du Reich est un pays en ruines, insolite, dont les habitants sont des gnomes ou des ombres. Comme dans Shakespeare, « le siècle est hors de ses gonds ». Frank Castorf n’ignore sans doute rien de Céline. Ses mises en scène jouent de la surenchère, abordent la plateau en bateau ivre où se débattent les comédiens jusqu’à créer la sensation d’une sorte d’apocalypse inéluctable. Comme chez Céline, tout cela se déroule sur un ton étrangement badin, ludique. Si c’est avec un œil de touriste malgré lui qui ne voit que du bizarre que le persécuteur persécuté Céline enregistre les visions parfois hallucinées de son périple allemand, Castorf, lui, a toujours su cultiver un magnifique art de la distance, un sens puissant de l’ironie noire et intérieure et une pertinence du regard porté sur sa propre représentation aux états extrêmes : corps horriblement suicidés, simulation d’orgasmes avec un détachement souverain ramenant sur les terres de l’enfance.
Mélange de Rabelais, de parodie de vaudeville 1900, de farce ubuesque et de fantaisie romantique, le comique célinien souvent théâtral et cinématographique devrait rencontrer le bruit et la fureur qui se dégagent des mises en scène de Castorf dénonçant la « comédie humaine ». Dans l’insolite de la défaite, de l’exode, des ruines, Céline, cet "accablé d’orgueil" réalise à Berlin un travail de scénariste, isolant les morceaux de réalité, focalisés par l’accentuation du monstrueux et du cocasse. Un homme qui a un mauser demeure alors le seul pouvoir dans la décomposition totale d’une société. Céline y commente sans cesse la fantasmagorie et le grouillement des images, des actions inattendues, pour dresser un tableau de l’homme par une sorte d’enquête médicale. C’est peut-être aussi en "entomologiste" que Castorf aborde sa farandole et son apparente anarchie scénique qu’il agence de manière aussi millimétrée et parfaitement rythmée que Céline ses farandoles grotesques et hargneuses. Dans sa transposition scénique de "Cocaïne", le roman de l’Italien Dino Segre, le nihilisme et l’autodestruction portés à ébullition comme seuls viatiques et une servilité nauséeuse à l’égard de toute manifestation de pouvoir valent bien le paroxysme, le triomphe du macabre et l’optimisme tragique qui se dégagent de l’œil du peintre célinien découvrant que « la première fois, tout est tragique, la seconde fois, tout est grotesque ».

Bertrand Tappolet

Festival d’Avignon, du 6 au 27 juillet
Location : 0033 4 90 14 14 14 14.

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