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Fondation de l’Hermitage
Lausanne : Collection Christian Zacharias

« La maison et l’infini » – la collection de Christian Zacharias présentée à l’Hermitage en décembre.

Article mis en ligne le décembre 2010
dernière modification le 29 janvier 2011

par Sarah CLAR-BOSON

Entrer dans l’intimité d’un collectionneur ressemble tantôt à une certaine intrusion, tantôt à une invitation chaleureuse. La même tension peut aussi se faire l’écho de celle tissée entre la contemplation des artistes pris individuellement d’une part, et la construction de l’ensemble d’autre part en tant qu’œuvre intrinsèque, fruit d’une vie de passionné. Quand le grand ordonnateur est lui-même musicien et chef d’orchestre reconnu, le résultat ne manque pas d’intérêt ni de surprise.

Disons-le d’emblée, ma curiosité fut piquée au vif par cette affiche, étant moi-même depuis fort longtemps une inconditionnelle de Christian Zacharias pianiste, sans discussion possible le plus grand interprète de Mozart de ces trente dernières années, dont je réécoute toujours avec vénération sa prodigieuse intégrale des concerti pour piano. Quel genre de virtuosité pouvait-il bien appliquer dès lors qu’il s’agissait ici de son œil avisé ?

Fait singulier, la collection de Christian Zacharias n’a presque rien d’un exercice de synesthésie : elle témoigne au contraire d’une sensibilité purement visuelle, qui ne nourrit aucune correspondance volontairement directe ou revendiquée entre les deux disciplines que sont peinture et musique. Le chef allemand a patiemment assemblé ce que lui dictait la perception de son œil, et ce ne sont pas ses affinités musicales qui ont guidé ses choix picturaux. On a beau chercher, hormis quelques analogies sur le thème temporel de la répétition, comme les séries de portraits de Scarlatti par Peter Dreher, les alignements répétitifs tendant vers l’infini de Roman Opalka ou la réinterprétation de la Bataille d’Alexandre d’Altdorfer par le Japonais Sumi Maro, le reste de la collection reflète au contraire le caractère, la biographie et l’identité germanique assumée de son prestigieux propriétaire.

Christian Zacharias
© Nicole Chuard

Toutefois, il est tentant de dresser des correspondances dans le travail et la carrière de Christian Zacharias et dans sa collection. Le mélange subtil à la fois fait de justesse et d’émotion dans le choix de ces peintures et œuvres graphiques n’est-il pas sans rappeler l’alliage virtuose entre la technique irréprochable du musicien et toute l’âme que savent faire transparaître les plus grands interprètes ? Zacharias est ainsi parvenu à constituer un ensemble d’une grande cohérence et qui lui ressemble. Ses racines germaniques et ses années d’apprentissage à Karlsruhe s’illustrent dans les œuvres de Hubbuch, Klemm, Max Neumann ou encore une sublime aquarelle d’Erich Heckel, toutes reflétant la vigueur et la pluralité de l’Allemagne. La Suisse romande, terre d’adoption, nourrit ensuite le même goût prononcé pour l’art de l’entre-deux guerres, mêlant une certaine rusticité (à travers l’Ecole de Savièse) et un dépouillement sublimé par une touche de classicisme (tels les tableaux d’Auberjonois ou Borgeaud).

Mais la surprise du chef réside ailleurs : Zacharias a en effet réuni un ensemble d’œuvres, souvent de dimensions et de techniques des plus modestes, d’artistes américains hors normes, inclassables, francs-tireurs et marginaux. Si James Brown a eu jadis son heure de gloire spéculative sur le marché de l’art, d’autres comme Forrest Bess et ses visions puissantes et dépouillées ou James Castle et ses dessins sur papier de récupération témoignent de leur univers exclusif et autarcique. L’ensemble conséquent de dessins de Louis Soutter participe de la même veine et reflète le goût affirmé du pianiste pour les fortes personnalités qui, tout comme sa propre recherche d’authenticité, savent se livrer sans concession à travers leur art.

Sarah Clar-Boson

« La maison et l’infini, La collection de Christian Zacharias », Lausanne, Fondation de l’Hermitage, jusqu’au 12 décembre 2010.