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Le Poche Genève et La Bâtie - Festival de Genève
Entretien : Gérard Désarthe

Gérard Desarthe nous explique pourquoi il a choisi de monter Britannicus.

Article mis en ligne le septembre 2008
dernière modification le 26 septembre 2008

par Rosine SCHAUTZ

Retour en Suisse romande pour Gérard Desarthe, metteur en scène d’un Britannicus que l’on pourra voir au théâtre Pitoëff dans une production du Théâtre de Poche. Entretien.

Pourquoi monter aujourd’hui Britannicus ? La langue ? Le son de la pièce ? Son écho dans le monde contemporain ? Quelle est l’idée qui a présidé ?
Mon choix est celui des mots, des phrases, d’un texte. Bien évidemment que cette pièce est politique, mais moi, ce qui m’importe, c’est de revenir aux textes fondamentaux. J’ai besoin, régulièrement, de me ressourcer dans des textes, de me re-confronter à des mots. J’ai trop l’impression que culturellement on est en perdition, en train de laisser s’éloigner de plus en plus ce grand répertoire. En France, c’est très compliqué de le monter car il est en quelque sorte réservé à la Comédie Française, ou à quelques grands théâtres nationaux, ou alors, il est monté dans une cave par de jeunes compagnies…J’ai besoin de revenir, personnellement, à ce genre de textes, à cette difficulté, de me retrouver face à des acteurs et à ne pas perdre – ou laisser perdre – cette technique. C’est très difficile de dire les alexandrins, c’est une contrainte, et c’est tout ce que j’aime au théâtre.

Gérard Desarthe
© Steeve Iuncker

Pour vous c’est un texte classique comme un autre. Il n’y a pas une fulgurance dans ce texte qui vous aurait appelé… ç’aurait pu être Phèdre ?
Oui. Ou Andromaque, ou Corneille… J’ai commencé en mettant en scène Le Cid. J’ai mis la barre très haut…

Comment travaillez-vous les vers ? Vitez les travaillait à sa manière, Gruber à la sienne, et vous ?
Pour moi, il faut dire les vers avant de les jouer, et surtout les repenser. Il faut, selon moi, éviter le classicisme total qui est l’alexandrin césuré en 6-6, 12-12. Cette musique ne me satisfait pas, car elle devient monotone, ennuyeuse et je pense que c’est ce qui a détourné le jeune public. Cette manière chantante, mais uniforme. Pour moi, le sens prime. Je m’appuie sur le sens et je césure beaucoup.

Pour vous, un vers est une matière ?
Il y a l’école de la musique et l’école du sens. Je tiens plus pour l’école du sens : faire entendre ce qu’il se dit. Pour ce faire, j’évite beaucoup de liaisons, d’afféteries, de fioritures. J’essaie de faire réentendre de manière claire, simple et présente, un texte.

Qu’est-ce qu’un héros pour vous ?
Ici, c’est Britannicus. C’est un héros. Sacrifié.

Un héros en creux ?
Oui, il a été évincé. Mais c’est lui le héros ‘légitime’.

On s’est souvent demandé pourquoi la pièce ne s’appelait pas ‘Néron’. Qu’en dites-vous ?
Impossible ! Comme pour Don Juan, Molière ne pouvait pas l’appeler Sganarelle. Il s’implique trop personnellement derrière le personnage. Regardez Iphigénie, c’est l’héroïne sacrifiée. Pour Caligula de Camus c’est l’inverse…
Appeler cette pièce Néron n’était pas possible au XVIIe siècle : ç’aurait été trop monstrueux. Cela aurait signifié justifier le matricide, par exemple.

Junie, c’est qui pour vous ? Comment la traitez-vous ?
Elle est souvent décrite, jouée, comme un personnage fragile. J’ai une vision différente. Pour moi, cette femme s’est déjà retirée du monde… Elle vit dans le palais, mais dans une sorte de retraite. La passion de Junie et Britannicus me semble un peu étrange. Je pense qu’elle est dans la compassion. Elle connaît Britannicus, a vécu ‘à ses côtés’, enfant, adolescente… Lui n’a plus qu’elle pour l’écouter, auprès de qui il peut pleurer, s’épancher, se plaindre. Elle, elle est déjà ailleurs. Proche de Dieu ?
Ça m’intéresse de la voir comme ça, et non comme une petite idiote, une oie blanche terrorisée. Je la vois lucide. Elle ne fréquente pas la cour (« l’hypocrisie de la cour »). C’est une sorte de mystique.

Une question plus… personnelle. Quand vous regardez votre carrière, quel est le rôle qui vous a le plus habité ? Pour moi, vous êtes à jamais Peer Gynt…
Oui…Peer Gynt… habité… Même traumatisé ! Ce rôle ne m’a pas laissé indemne, j’ai eu beaucoup de mal à me sortir de la problématique du personnage, le thème du personnage. Etre soi-même… C’est tombé peut-être à un moment de ma vie qui faisait que ça m’a beaucoup ébranlé. Après, j’ai eu beaucoup d’autres rôles qui m’ont nourri, avec Strehler, avec Karge-Langhoff, avec Chéreau, avec Engel, avec Jourdheuil. J’ai eu la chance d’avoir un parcours et de jouer des rôles magnifiques avec de très grands metteurs en scène.

Propos recueillis par Rosine Schautz

« Britannicus » de Racine, mise en scène Gérard Desarthe. Théâtre Pitoëff, les lu 8, ve 12 sept., 20h30, me 10, je 11, sa 13 sept., 19h
Coproduction Le Poche Genève, Théâtre Vidy-Lausanne, Théâtre des Osses, avec la participation du Théâtre en Cavale et La Bâtie-Festival de Genève