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Entretien : Françoise Courvoisier
Article mis en ligne le novembre 2007
dernière modification le 4 novembre 2007

par Laurent CENNAMO

Du 29 octobre au 25 novembre au Poche, Françoise Courvoisier met en scène Sang de l’écrivain suédois contemporain Lars Norén. Une pièce explosive, tout à la fois envoûtante et glaçante, qui explore des territoires souterrains entre psychanalyse et sorcellerie. Françoise Courvoisier nous éclaire sur son rapport à cette écriture.

Vous mettez en scène Sang de Lars Norén. Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette écriture ?
J’ai découvert le théâtre de Lars Norén il y a une dizaine d’années. Fascinée par l’impact et la densité des dialogues et des situations qu’il propose, j’ai eu envie de lire tout ce qui était publié de lui en français. Son répertoire entier est caractérisé par une soif de dévoiler l’humain, sans complaisance ni concessions. Alors pourquoi Sang ? Peut-être parce que cette pièce m’a tout d’abord désarçonnée, que je n’arrivais pas tout de suite à en mesurer l’étendue, la complexité et qu’alors, cela devenait pour moi vraiment un pari de m’y atteler. Parfois il est bon pour un metteur en scène d’affronter une œuvre qui le dépasse un peu. Au cœur des répétitions, je puis vous dire que je ne regrette absolument pas mon choix. En effet, chercher à raconter l’irracontable, à rendre crédible l’incroyable, à toucher avec les personnages le fond du gouffre, éprouver l’effroi puis en sourire, transmettre cet humour, cette distance face à la mort et au désastre de la condition humaine, c’est ce à quoi Lars Norén nous entraîne et c’est vraiment passionnant. Pas de belle littérature ni de bons sentiments, mais des êtres qui essaient de se parler, de se toucher, de sublimer leur souffrance.

Le thème de la famille est au cœur de la pièce de Norén. Est-ce que vous avez été sensible à l’actualité de cette thématique ?
Je ne sais pas si la famille est un thème plus actuel aujourd’hui qu’autrefois… Peut-être qu’avec la psychanalyse, on s’est mis à étudier plus sérieusement la complexité des rapports humains, mais dans l’antiquité, quand les grecs donnaient au théâtre la tragédie d’Œdipe, justement, je pense qu’elle devait déjà avoir un sacré écho. Si Lars Norén l’utilise comme canevas, c’est parce que ses résonances sont éternelles, profondes et multiples. Il y a bien sûr les liens familiaux qui sont en jeu, mais le thème de l’aveuglement est aussi très présent. « Faut-il que de génération en génération se reproduise le même drame fatal ? » fait-il dire à l’un des personnages. En effet, l’auteur semble accablé par le sentiment que l’homme n’évolue pas. L’individu comme la race semble aveugle à tout avertissement du destin et travaille consciencieusement à sa propre destruction… L’intelligence de Lars Norén est de choisir, pour raconter ce drame, des êtres très humains, cultivés, aimables, auxquels il prête des sentiments et des actions concrètes et « normales », afin que le spectateur puisse s’identifier et ainsi se laisser embarquer, insidieusement, dans l’émiettement progressif des normes et finalement, vers la folie. C’est un vrai voyage qui est proposé au public. Pas seulement une réflexion ou un divertissement, mais un parcours de sensations fortes. Troubler, émouvoir, déranger, font partie des objectifs du théâtre.

Bastien Semenzato, jeune acteur issu de la première volée de la Manufacture, sera sur la scène du Théâtre de Poche, dans la pièce « SANG » de Lars Norén.

Les médias sont omniprésents dans le texte, en particulier la télévision. Quel rôle jouent-ils selon vous dans l’économie de la pièce ? comment traiter des médias au théâtre ?
En effet la pièce Sang commence par une émission télévisée et se termine de la même façon. C’est à la fois une force et une difficulté, théâtralement. On doit d’une part amener les spectateurs à croire à l’authenticité des événements vécus et des sentiments éprouvés par les personnages puis, tout de suite après, leur faire revivre l’histoire avec ce filtre un peu obscène qu’est la télévision, récupérant le drame pour faire de l’audimat et détournant avec perversité les mobiles du meurtre et ses aboutissants. Au-delà de l’intention qu’a certainement l’auteur de dénoncer le cynisme et la médiocrité des médias et en particulier de la télévision, je pense qu’il s’agit aussi d’une astuce théâtrale. Ces scènes nous permettent de prendre de la distance avec le drame, voire d’en rire et ainsi, d’éviter le mélo ou l’apitoiement. C’est alors qu’apparaît plus que jamais une difficulté notoire au théâtre : le dosage. Autant il serait faux de sombrer dans une noirceur absolue et opaque, autant une distance et une ironie exagérées risqueraient de nuire à la crédibilité de l’ensemble et d’empêcher le spectateur d’entrer à fond dans l’histoire…

Propos recueillis par Laurent Cennamo

Sang, de Lars Norén. Du 29 octobre au 25 novembre 2007
location : +41 (0) 22 310 37 59
www.lepoche.ch