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A Genève et Lausanne
Entretien : André Engel

André Engel, metteur en scène de renom, revient à Genève et Lausanne avec Minetti de Thomas Bernhard, avec Michel Piccoli dans le rôle principal.

Article mis en ligne le décembre 2008
dernière modification le 29 janvier 2009

par Nancy BRUCHEZ

Maintes fois récompensé pour son travail, André Engel est un metteur en scène de renom au parcours éclectique. Engel ne se limite pas aux textes théâtraux, il croise les écrits classiques et contemporains et parcoure des sentiers inexplorés. Il déplace volontiers ses spectacles hors des théâtres, dans des lieux insolites : hangar, hôtel, mine de fer. Il poursuit en parallèle une riche carrière de metteur en scène d’opéra. Il revient à Vidy du 9 au 21 décembre avec Minetti de Thomas Bernhard, avec Michel Piccoli dans le rôle principal*. Entretien.

Pourquoi avoir porté votre choix sur ce texte de Thomas Bernhard ?
Ce choix s’est fait quand nous avons monté, Michel Piccoli et moi, Le roi Lear. Nous étions l’un et l’autre satisfaits de l’expérience et nous avions envie de recommencer. Mais les temps sont devenus difficiles et c’est compliqué en France de monter deux spectacles à la suite qui réclament de forts moyens. Je connaissais déjà Thomas Bernhard, j’avais déjà monté deux de ses pièces (La force de l’habitude et Le réformateur du monde) et le Minetti m’est revenu à l’esprit, car cette pièce parle d’un personnage qui rêve de jouer Lear. C’est une sorte de plaisanterie au départ qui s’inscrit dans la continuité exacte de ce que l’on avait fait avec Michel. On voulait poursuivre avec Shakespeare, mais les moyens d’un Bernhard étaient plus appropriés. Voilà la raison factuelle, la vraie. Il y a ensuite un véritable intérêt pour Thomas Bernhard sans quoi on ne monte pas une pièce comme celle-là.

Les pièces que vous avez montées semblent pleines de correspondances. Vous créez, à Vidy en 1997, La force de l’habitude, pièce où Minetti tenait le rôle principal en 1974… et vous revenez en 2008 avec Minetti, interprété par Michel Piccoli…

André Engel
© Mario Del Curto

Il y a une grande part de hasard en fait dans tout cela. C’est normal qu’ayant un projet commun nous pensions au théâtre de Vidy et à son directeur. Michel Piccoli avait fait plusieurs spectacles au Théâtre de Vidy avec des collègues et moi aussi par le passé j’avais travaillé à Vidy. René Gonzales étant un ami commun, les choses se sont faites naturellement. Mais au départ, nous cherchions surtout à nous appuyer sur des structures qui pourraient nous aider à monter le projet. La chose n’a pas été véritablement pensée.

Qu’est-ce qui vous a plu dans le sujet du texte ? La mise en abîme de l’acteur qui joue un acteur vieillissant ?
La mise en abîme me plaît bien évidemment et aussi le fait que cela renvoie à une expérience vécue par Michel et moi. C’est un moment de notre aventure personnelle. En dehors de cela, qui n’est qu’anecdotique, mais en même temps essentiel, c’est une des pièces de Thomas Bernhard que je n’avais jamais montée. La figure de Minetti est assez à part et différente du reste de l’œuvre de Thomas Bernhard.

Minetti devient l’acteur favori de Bernhard, une espèce de muse…
Minetti a joué des pièces de Thomas Bernhard et c’est la raison pour laquelle au bout d’un moment, il a décidé d’écrire une pièce qui porterait son nom. Je ne connais pas la nature exacte de la relation entre Thomas Bernhard et l’acteur Bernhard Minetti. Je suppose qu’elle devait être cordiale.

Entre théâtres et opéras, comment faites-vous pour enchaîner les projets à un tel rythme ?
J’ai du mal ! Mais c’est surtout ces dernières années que tout s’est enchaîné. J’ai mené de front une activité de metteur en scène de théâtre et de metteur en scène d’opéra. Et comme il y a eu un certain nombre de reprises à l’opéra qui sont venues s’ajouter ces deux dernières saisons, j’ai fait beaucoup de choses ! Trop d’ailleurs ! Ce n’est pas quelque chose que je recherche, je fais face tout simplement à mes responsabilités. Je n’ai pas le caractère et le tempérament de quelqu’un qui a besoin d’en faire beaucoup. J’ai besoin d’avoir des projets réguliers, mais pas forcément à ce rythme-là.

« Minetti » avec Michel Piccoli
photo © Mario Del Curto

La démarche est-elle différente entre la mise en scène d’une pièce de théâtre et d’un opéra ou y trouve-t-on des similitudes ?
On y trouve des similitudes depuis une vingtaine d’années, dans la mesure où on a fait appel à des metteurs en scène de théâtre pour faire de l’opéra. Et ce n’est pas pour rien. Avant, il n’y avait pas de mise en scène, il y avait des chanteurs qui chantaient dans des costumes devant un décor, qui rentraient à gauche et à droite, et qui se mettaient l’un à côté de l’autre. Il n’y avait pas la volonté de faire exister des personnages, de jouer des situations, de créer des rapports ou même d’inventer tout simplement une autre manière de voir. Personnellement, lorsque je mets en scène des chanteurs, je les considère exactement comme des acteurs. La différence vient du fait qu’on ne peut pas leur demander n’importe quoi. Ils ont beaucoup d’autres choses à penser en dehors de l’interprétation. Ce qu’un acteur n’a qu’à faire au fond : apprendre son texte et jouer ce qu’on lui demande de jouer. Pour un chanteur, c’est beaucoup plus difficile. Il faut faire davantage attention, être plus responsable. Mais paradoxalement, je pense que l’opéra est plus facile, car à l’opéra le spectacle a déjà un rythme, c’est la musique qui le fournit. Alors que, de mon point de vue, au théâtre, l’une des choses les plus difficiles à trouver, c’est le rythme. Mais pour répondre à votre question, je fais en sorte qu’il y ait le moins de différences possibles.

Pour Minetti, vous avez choisi des comédiens qui ont déjà travaillé avec vous. Par confort ou pour les emmener toujours plus loin ?
Plus que le confort, c’est un rapport d’amitié avant tout. J’aime les gens avec qui je travaille. J’essaie de procéder comme si j’avais une troupe, parce que l’amitié joue un rôle important et qu’une complicité s’instaure. Ça va aussi plus vite. Lorsqu’on se connaît, on sait ce dont on a besoin les uns des autres en urgence. Cela permet aussi d’aller plus loin. J’y tiens beaucoup. Je souhaitais avoir sur le Minetti un certain nombre de gens qui avaient joué Le roi Lear avec Michel Piccoli, cela faisait partie de la blague. J’apprécie beaucoup Michel, par exemple, car il accepte de se mettre en danger et d’aller au bout des choses. C’est quelqu’un de très modeste dans le travail, il écoute énormément ce qu’on lui dit. Il s’applique à faire ce que le metteur en scène demande. Il a une formation d’acteur de théâtre et quand il est là, il l’est en tant que comédien et pas en tant que gloire du cinéma mondial. Ce qui est déjà très appréciable. Il a de l’humour dans le travail et il est extrêmement courageux. C’est difficile ce qu’on s’est proposé de faire avec ce texte. Il accepté le rôle sans discussion. Il a lu le texte et a trouvé très amusant la façon dont je bottais en touche. Je lui ai dit que je ne pouvais pas monter Shakespeare pour des raisons financières, mais que je pouvais monter l’histoire d’un acteur qui a envie de jouer Shakespeare ! Et il a très bien saisi le sourire qu’il y avait derrière tout cela…

Propos recueillis par Nancy Bruchez

* En fait, des changements de dates ont eu lieu : après la création à Paris, Minetti sera présenté au Théâtre de Carouge, du 18 février au 8 mars (tél. 078/709.09.81), puis à Vidy-Lausanne, du 21 au 25 avril et du 12 au 17 mai (021/691.45.45)