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Sur les scènes lyriques parisiennes
Paris, Opéra : “Demofoonte“ resurgit des limbes

Oeuvres commentées : DemofoonteL’enfant et les sortilègesFaustDavidCendrillon. Notes sur les Têtes de Chiens et le Livres des illusions.

Article mis en ligne le octobre 2009
dernière modification le 17 décembre 2009

par Pierre-René SERNA

Niccolò Jommelli fut un compositeur napolitain d’opera seria et buffa à succès au XVIIIe siècle. De lui on ne sait maintenant presque rien, laissé dans l’ombre par la renommée des ses contemporains, comme Haendel ou Gluck. Avec raison semble-t-il quand on écoute Demofoonte (1770), un de ses derniers opéras et assurément son ouvrage le plus ambitieux.

Au Palais Garnier, il faut savoir garder patience durant un premier acte sans fin, déroulant ses arias da capo sur le même modèle et sans surprise aucune. Le deuxième acte comporte un air final qui recèle plus de force, et au troisième et dernier se présentent deux ou trois airs qui offrent quelque consistance. Manque alors peut-être un quatrième acte, pourvu du génie que l’on attend en vain durant trois heures et demies. Le livret de Métastase, sur un sujet mythologique, abonde en situations invraisemblables – un héros amoureux de celle qu’il découvre être sa sœur ! – et achève de convaincre du peu d’intérêt de l’œuvre.

« Demofoonte », avec Josè Maria Lo Monaco (Timante), Valer Bama-Sabadus (Adrasto), Maria Grazia Schiavo (Dircea).
Crédit : Fred Toulet / Opéra national de Paris

Cela ne semble pas, apparemment, être le sentiment du chef Riccardo Muti, à la célébrité de qui l’on doit la remise à jour de Demofoonte. Sa direction résulte nonobstant routinière face à un Orchestra Giovanile Luigi Cherubini un peu vert et à un plateau vocal, lui, il est vrai, totalement impliqué. Maria Grazia Schiavo, Eleonora Buratto et Valentina Coladonato, associées aux tessitures également aiguës du ténor Dmitry Korchak et des contre-ténors Antonio Giovannini et Valer Barna-Sabadus, possèdent tous un chant fluide et des caractérisations qui confèrent au bout compte relief à l’ouvrage. La mise en scène de Cesare Lievi montre de belles images accompagnées des gestes conventionnels. Comme une peinture animée et sans beaucoup d’effets. Ainsi que la soirée.

Enfant et sortilèges
Ravel et son Enfant et les Sortilèges sont prétexte au dernier spectacle de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris. Dans une évocatrice mise en scène de Jean Liermier, faite de riens mais où tout est dit, les jeunes chanteurs font merveille : Elisa Cenni (l’Enfant), Aude Extrémo, Andrea Hill, Julie Mathevet, Claudia Galli, Maria Virginia Savastano ou Manuel Nuñez Camelino, pour ne citer qu’eux, déploient une assurance et une maîtrise que bien des célébrités des planches pourraient leur envier. À l’Amphithéâtre de Bastille, la direction de Didier Puntos, un piano à quatre mains, une flûte et un violoncelle, suffisent à parachever le sortilège.

« L’enfant et les sortilèges » avec Aude Extrémo (Maman) et Elisa Cenni (L’Enfant)
Crédit : Cosimo Mirco Magliocca / Opéra national de Paris

Faust et inédit
Au Théâtre d’Herblay, à l’ouest de la région parisienne, c’est Faust qui est l’objet de toutes les attentions. Ou quand l’art lyrique essaime aussi en banlieue. Les moyens ne sont pas ceux des grandes institutions nationales, mais le savoir-faire ne manque pas. Surtout musicalement dans ce cas-ci. Le plateau vocal s’avère un bon choix : Bruno Comparetti se révèle un Faust parfaitement crédible, et ses partenaires, Marc Souchet, Séverine Étienne-Maquaire, Laure André et Thomas Huertas, respectivement Méphistophélès, Siebel, Marthe et Wagner, lui tiennent bien compagnie. Sarah Vaysset est une Marguerite bien projetée mais à la voix parfois flottante. Le grand vainqueur restant Matthieu Lécroart, Valentin servi par le phrasé sûr qu’on lui connaît. Le chœur, celui maison, possède la vaillance de circonstance. Mais c’est à l’orchestre que tout s’affirme, celui d’OstinatO, vigoureux et épanché sous la baguette acerbe de Jean-Luc Tingaud. De la conception scénique de Christophe Luthringer, ne ressort guère qu’une mise en place avec quelques poncifs et sans génie particulier. Mais l’opéra de Gounod, tel qu’ici musicalement transmis, suffit à emporter l’adhésion.
Le même Orchestre OstinatO et le même chef, son directeur titulaire Jean-Luc Tingaud, présentent peu de jours après un inédit absolu de Bizet à l’auditorium de la Grande Bibliothèque. C’est la cantate de Prix de Rome, non couronnée en 1857, David. Déjà perce la couleur et l’élan de l’auteur de l’Arlésienne. Du trio vocal qui la sert, ressort le ténor Sébastien Guèze, en clarté de la projection avec de jolies notes filées. Un ténor à suivre. C’est heureux puisqu’il s’agit du rôle-titre ; la soprano Anne-Marguerite Werster connaissant quelques difficultés de justesse, et la bonne basse Florian Westphal égarant la sienne quand il chante en duo. L’orchestre s’acquitte avec une belle couleur d’ensemble sous une direction franche, n’étaient des violoncelles incertains. Une pierre à ajouter à la connaissance du grand Bizet.

Cendrillon, chiens et gastronomie
À l’Opéra de Massy, Cendrillon se veut une expérience, offerte aux jeunes voix de l’École normale de musique de Paris. Retenons les interventions bien senties de Stéphanie Gouilly (la Fée), Julie Robard-Gendre (le Prince), Philippe Ermelier (Pandolfe) et Emiko Kinoshita, cette dernière remplaçant au pied levé le rôle-titre prévu, dans un coin de la scène et avec une parfaite lecture à vue.

Ferran Adria
© DR

Pour l’occasion, l’orchestre se trouve réduit à 23 musiciens, ce qui forcément constitue une frustration, dirigé successivement – pour chaque acte – par deux jeunes chefs : Franck Chastrusse Colombier et Xavier-Dominique Saumon, le second l’emportant sans conteste pour la précision gestuelle. De la mise en scène de Nadine Duffaut on retient de jolis tableautins sans excès de complications. Un Massenet de poche en quelque sorte, mais qui convaincrait plutôt moins que le Faust donné dans la plus modeste maison théâtrale d’Herblay.
Au Théâtre du Tambour-Royal, niché dans une ruelle de Belleville, les Têtes de Chiens font leur spectacle. Il s’agit de huit chanteurs a capella, tous issus d’une excellente pratique lyrique, qui en alternance ou ensemble égrènent des chansons du XIXe siècle français, avec humour, tendresse parfois et une judicieuse animation scénique. Le ténor Didier Verdeille est le porte-parole principal de cette formation originale qui ravit un public enthousiaste.
À Pleyel, un autre chien succède. Ou plutôt un bouledogue, dit “bulli” en catalan. Il s’agit du Livre des illusions, une création du compositeur Bruno Mantovani en hommage au “premier restaurant du monde” – selon la sentence de la presse spécialisée – El Bulli, sis sur la Costa Brava, et à son chef Ferran Adria, qui du reste intervient lui-même sur scène. Pour ce faire Mantovani a repris un menu de la maison, dont il illustre musicalement chacune de la trentaine de pièces (que d’aucuns appelleraient tapas). La gastronomie inventive et moléculaire devient traduite sur forme orchestrale et électroacoustique, en une série d’autant de courts fragments de couleur bariolée et intersidérale. Tel un neuf Carnaval de Schumann, selon un témoin oculaire (Christian Wasselin). Difficile d’y goûter des saveurs culinaires, mais l’Orchestre de Paris sous la direction de Jean Deroyer (autre chef) et la technique Ircam font tout pour en donner l’illusion. C’est l’objet même de l’œuvre.

Pierre-René Serna