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Sur les scènes lyriques parisiennes
Paris, opéra d’avril 2011 : “Siegfreaks“

Vu et entendu : Siegfried - Cendrillon - La Voix Humaine - Hugoffenbach - Fidelio

Article mis en ligne le avril 2011
dernière modification le 16 novembre 2011

par Pierre-René SERNA

Troisième volet du Ring wagnérien à la Bastille, Siegfried se transporte chez les Freaks Brothers, les héros déjantés de la bande dessinée underground des années 70. De façon savoureuse, en première partie du moins. D’autant que la restitution musicale répond, quasiment, aux meilleures attentes.

Le premier acte de ce Siegfried a ainsi tout pour séduire. On est assez surpris à l’ouverture du rideau face à un plateau scénique goulûment coloré, quand on connaît la grisaille qui préside d’ordinaire à l’ouvrage : des jaunes, des rouges, des verts, criards de préférence, au milieu d’un fouillis d’ustensiles de cuisine. On pense aux scènes les plus kitsch des pellicules d’Almodovar, ou mieux encore à l’univers planté par Robert Crumb, chez les junkies de sa fameuse bande dessinée de l’époque beatnik. Mime, sous une perruque blonde façon Marilyn Monroe, fume son joint (et tous les personnages à la suite de tirer leur bouffée – on fume beaucoup sur les scènes de théâtre, depuis que l’usage en est proscrit dans les autres dépendances !). Siegfried, quant à lui, débarque en salopette et coiffure rasta. Leur vive confrontation prend du sel et du piment, tandis que mijotent des mixtures et autre façonnage d’épée. Au moment où Siegfried entonne son “ Notung ! ”, avec la gloriole obligée, Mime esquisse ironiquement des trémoussements style “ dancefloor ”… On aurait aimé qu’il poursuive son petit ballet. Mais ainsi, nulle “ envie d’envahir la Pologne ” ! pour se référer à Woody Allen.

A l’Opéra Bastille : « Siegfried » avec Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime).
Crédit : Elisa Haberer / Opéra national de Paris

À la vie du plateau répond l’interprétation musicale, dans des tempos alertes et une délicate couleur instrumentale de musique de chambre laissant les voix s’épanouir. Merveilleux ! la réalisation de tout ce premier acte confine à l’enchantement. Le Mime de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke se montre autant à son aise dans la virevolte scénique que vocale. Torsten Kerl est un Siegfried plus empâté (physiquement aussi), mais cette lourdeur correspond au personnage, et son chant reste du chant, mélodique et lié, sans hululement ni cri. La voix est petite – certes et tant mieux ! –, mais n’est jamais prise en défaut par un rôle où l’endurance la met à dure épreuve. Sa scène finale solitaire à l’acte suivant le prouverait assez, dans une franchise d’émission sans aucun vibrato intempestif. Un modèle ! On pourrait presque parler de bel canto, sauf que Kerl répond à la tessiture dépourvue d’aigus des ténors wagnériens. Ignorant toutefois le côté helden, apocryphe comme chacun sait. On a hâte de le réécouter dans ce même rôle – une prise de rôle – pour le Crépuscule des dieux promis à Bastille en juin.
Les deux autres héros de cette mise en bouche sont Philippe Jordan, qui baigne l’orchestre qu’il dirige de flux et de reflux incessants, et bien entendu le metteur en scène, Günter Krämer. Du moins, pour celui-ci, jusqu’à la fin du premier acte. Car par la suite sa promesse initiale s’évanouit quelque peu, à travers un plateau vide déjà trop vu dans ce répertoire, mal meublé de groupes indistincts de figurants à l’arrière plan (individus tout nus et barbouillés de charbon, d’autres portant casques et cuirasses, d’autres masqués et en longues robes devant une série de tables...), dont on cherche vainement la signification. Vocalement, viennent aussi les conventions : les voix oscillantes et forcées que livrent Juha Uusitalo, Qiu Lin Zhang et Katarina Dalayman, successivement le Wanderer, Erda et Bünnhilde. Seul Peter Sidhom, Alberich, conserve des élans sans égarement ; en compagnie, il est vrai, mais plus annexe encore pour le dragon Fafner, du caverneux Stpehen Milling. Et malgré les louables qualités que Jordan imprime à un orchestre toujours resplendissant de timbres et de ductilité, la soirée prend alors tendance à s’étaler.

Cendrillon fin d’époque
Autre féerie, et autre réussite, mais dans un autre registre : Cendrillon associe à l’Opéra-Comique les savoir-faire éprouvés de Marc Minkowski et de Benjamin Lazar. Une rencontre en quelque sorte, entre deux chefs, d’orchestre et de scène, ayant l’un et l’autre fait leurs armes dans les reconstitutions d’époque. Et il fallait cette conviction conjuguée pour ressortir le nommément désigné “ conte de fées ” de Massenet, créé en cette même salle Favart en 1899. L’ouvrage n’est toutefois pas si rare qu’on veut bien le croire ou le dire, représenté qu’il est de-ci de-là. Et il nous a été donné personnellement de le voir au moins à deux reprises : il y a une dizaine d’années à l’Opéra de Monte-Carlo, et il y a moins de deux ans à l’Opéra de Massy, en région parisienne (voir Scène Magazine de septembre 2009). On peut se laisser prendre à son charme suranné, à cette musique éclectique, travaillée comme toujours chez Massenet… Mais on aurait du mal à y trouver le génie, à l’instar de Rossini quand il aborde le même sujet quelque cent ans auparavant.

A l’Opéra Comique : « Cendrillon », avec Judith Gauthier dans le rôle-titre
© Elisabeth Carecchio

La mise en scène, ainsi qu’on l’imagine, remplit éminemment sa fonction. La reconstitution ici ne va cependant pas jusqu’aux décors, simple praticable stylisé à deux niveaux qui laisse le plateau noir et nu. Elle réside plutôt du côté de la gestuelle, avec entrechats réguliers, des costumes, qui mêlent un XVIIIe siècle revu par la fin du siècle suivant, et de quelques effets du même temps : premiers phonographes et caméras, et une foule de petits lumignons. La fée électricité… telle qu’on la découvrait sur les scènes. Mais c’est le jeu d’ensemble, animé et hardiment coloré, qui entraîne. Côté fosse, les Musiciens du Louvre-Grenoble ne lésinent pas sur les décibels. L’acoustique exceptionnelle de l’Opéra-Comique n’en fait pourtant pas souffrir les voix. On retient surtout Michèle Losier, Prince charmant des plus lyriques, et Laurent Alvaro, Pandolfe ou le père de la pauvre héroïne, dans un phrasé qui n’a d’égal que sa parfaite diction. Ewa Podlés campe pour sa part une mère matrone pétulante, quand Judith Gauthier incarne avec fragilité (dans divers sens, dont celui élogieux) la chétive Cendrillon. Le chœur, des Musiciens du Louvre-Grenoble, complète une restitution musicale équilibrée et, au final, un spectacle cohérent.

Au Théâtre de l’Athénée : « La Voix humaine »
© Amélie Kiritzé-Topor

Voix Humaine
Le Théâtre de l’Athénée deviendrait-il la cinquième salle lyrique de Paris ? C’est ainsi que, entre deux pièces de théâtre parlé, s’insèrent régulièrement des ouvrages lyriques. De petites dimensions, certes. Comme pour cette Voix humaine de Poulenc, soliloque d’une cantatrice accrochée au téléphone, d’après la pièce de Cocteau. Toutes les divas ont eu à cœur de servir ce grand aria de près d’une heure qui les sert si bien. Ce qui expliquerait sa constance au répertoire, en dépit d’un intérêt musical plutôt limité. C’est au tour de Stéphanie d’Oustrac, davantage connue pour ses interventions baroques, de s’y confronter. Elle ne déchoit pas, dans l’élan et même à l’occasion l’éclat, si ce n’est pour une prosodie quelque peu mâchouillée (un comble pour une baroqueuse !). Le piano de Pascal Jourdan l’accompagne, avec le perlé évanescent qui sied, pour cette transcription d’orchestre par Poulenc lui-même. Vincent Vittoz choisit un décor débordant de fleurs, papiers froissés, velours rouges et autres fanfreluches où la chanteuse se meut avec volupté. Deux mélodies, la Dame de Monte-Carlo et le Bel Indifférent, toujours de Poulenc, allongent la soirée. N’étant pas mieux dites par l’interprète. Si bien qu’on ne sait trop ce qu’elles racontent ni pourquoi elles préludent à l’opéra-monologue.

Au Théâtre musical Marsoulan : « Hugoffenbach » avec le narrateur et la chanteuse.
Photo Cie La Lune et l’Océan

Hugoffenbach
Dans le cadre du festival Victor Hugo et Égaux (qui vient de se voir retirer sa petite subvention de la Mairie de Paris), la compagnie la Lune et l’Océan présente Hugoffenbach au Théâtre musical Marsoulan, sis dans la rue de même nom. Ce gentil spectacle associe deux chanteurs, Marie Blanc et Philippe Scagni, à un comédien, Patrick Mons, également auteur de la mise en scène. L’idée peut paraître saugrenue de faire alterner des textes d’Hugo, poète engagé (ici contre Napoléon III, dit “ le petit ”), et des airs enjoués d’Offenbach qui en sont la satire même. Ou les deux visages du Second Empire… On passe ainsi de tirades pathétiques, excellemment dites, à des airs entraînants transmis avec abattage (et avec l’aide du guitariste Thierry Garcia). Deux fauteuils, un guéridon et un pupitre, des costumes crypto d’époque, et le tour est joué : entre chaud et froid, humour et profondeur.

Tiède Fidelio
La déception reste le sentiment dominant de ce Fidelio de concert au Théâtre des Champs-Élysées. L’Orchestre national de France au complet, le Chœur de Radio France et le plateau vocal réuni ne semblent pas se départir d’une grisaille incertaine. Les attaques imprécises des instrumentistes ou des choristes, un rendu sonore pâteux de la plupart des solistes et de l’ensemble, ravivent mal l’intérêt. D’autant que la suppression des dialogues parlés (et aussi du passage de mélodrame) ratiboise le singspiel de Beethoven à l’état d’une suite gratuite d’arias. Burckhard Fritz plante un Florestan lourd et sans nuance ; Melanie Diener s’en tire mieux, Leonore ferme mais un peu dure ; Kurt Rydl possède encore une belle projection, pour Rocco, mais dans une émission chevrotante qui n’évoque que le souvenir de la grande basse qu’il fut. Seul Matthias Goerne sauve le plateau, pour un Pizzaro investi et lié, lancé de sa grande force expressive (comme tout ce que touche ce baryton, actuellement sans égal). Kurt Masur, qui fait ici son grand retour, méritait meilleur hommage à sa battue légendaire. Le public, reconnaissant de son talent, lui réserve toutefois l’ovation qui lui est due.

Patricia Kopatchinskaja
© Marco Borggreve

Lyrismes de concert
Ce même Théâtre des Champs-Élysées, un jour plus tôt, resplendit de mille feux. Un concert à marquer d’une croix, comme il en est peu dans une vie de mélomane. C’est Roger Norrington qui officie, devant un Ensemble orchestral de Paris transfiguré. Un son coupant, une couleur d’airain, une subtilité infinie (ces pianissimos à la limite de l’audible) alliée à une ardeur tranchante, transportent dans un temps comme suspendu, où tout n’est que musique. Un grand moment d’art, simplement, qui paraît échapper à l’emprise de la durée et de l’espace. Pour le célèbre Concerto en ré majeur de Beethoven, la violoniste Patricia Kopatchinskaja, que l’on pourrait croire une pièce rapportée, se coule dans un timbre net, éloquent et sans aucun vibrato, comme Norrington le stipule à l’orchestre. À propos de pièce rapportée, la cadence conçue par la soliste elle-même se fait un peu besogneuse et longuette… Passons. Car la Deuxième Symphonie de Schumann, elle, répond à l’attente, crépitant d’un feu qu’elle a peu connu. En complément, et hors orchestre et chef, vient la version révisée de la Cantate n°4 de Nicolas Bacri, pour mezzo, Élodie Méchain en l’espèce, en phase comme toujours, et quatre violoncelles. Une succession d’accords parfaits de l’effet le plus planant…

Anna Caterina Antonacci
© Derossi-Naïve

À Pleyel, c’est une autre cantate et une autre mezzo qui sont à l’honneur. Anna Caterina Antonacci s’envole pour une Cléopâtre d’une seule aile : avec une incomparable caractérisation, quand l’élan vocal est rogné. Deux autres pages de Berlioz forment écrin : l’Ouverture du Roi Lear et la Marche funèbre d’Hamlet, pour lesquelles John Eliot Gardiner met beaucoup de nerfs face à l’Orchestre national de France. Pétrouchka, en seconde partie de concert, joint les mêmes attributs, mieux distribués peut-être pour ce Stravinsky. Mais on cherche les vertus interprétatives, conjuguées de rigueur et de musicalité, auxquelles ce chef nous avait jusqu’alors habitué.
L’Opéra de Paris parsème sa saison lyrique et chorégraphique de concerts. Comme la série dite “ Salon musical ”, vouée à la musique de chambre au Palais Garnier. Des membres de l’orchestre maison (Frédéric Laroque, Vanessa Jean, Fanny Baradeau, Aurélien Sabouret et Ryoko Hisayama) présentent ainsi un programme qui a subi quelques modifications ; primitivement de musique française et devenu plus éclectique. Le rare et beau Quatuor de Magnard ayant disparu de façon regrettable et inexplicable, le remplacent Mahler, pour l’unique mouvement qui soit resté de son unique Quatuor avec piano, et Ravel, avec son célèbre et bien peu rare Quatuor à cordes. Tant pis pour les amateurs de pages inhabituelles ! Reste, cependant, le Quintette avec piano n°1 de Fauré. L’ensemble est servi avec application et une virtuosité sans faille, mais qui restituent uniformément des compositeurs aussi différents.

Pierre-René Serna