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Musée d’art moderne de la Ville de Paris
Paris : Giorgio De Chirico

Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris consacre une importante rétrospective à un peintre iconoclaste, Giorgio De Chirico.

Article mis en ligne le avril 2009
dernière modification le 30 mai 2009

par Régine KOPP

La rétrospective, intitulée Giorgio De Chirico - La fabrique des rêves, et composée de 170 œuvres, que le Musée d’art moderne de la Ville de Paris consacre à Giorgio De Chirico, le peintre italien le plus connu du XX° siècle, est aussi intéressante que déconcertante.

Hybridations
Intéressante puisque toute les périodes de l’œuvre sont montrées : la période métaphysique, celle de l’angoisse existentielle que les surréalistes avaient portée aux nues. André Breton déclarant l’artiste « le démiurge de l’art moderne ». Suit la période de retour aux classiques, où De Chirico multiplie les hybridations de style, cherchant à affirmer la supériorité de l’art ancien sur l’art moderne, exécutant des œuvres dans un style de kitsch flamboyant, conspuées par les surréalistes et occultées par les conservateurs et historiens d’art. Une haine que de Chirico leur rendra bien, dénonçant les premiers dans ses Mémoires comme « un groupe de paresseux, de fils à papa et d’abouliques qui, pompeusement, s’étaient baptisés eux-mêmes surréalistes », accusant tous les pays sauf l’Italie « d’être pervertis par le snobisme et la dictature imposée par les marchands de tableaux ».

Clarté linéaire
Le parcours imaginé par la commissaire de l’exposition, conservatrice au musée, Jacqueline Munck, propose des sections thématiques (classique/anticlassique, période néobaroque, replay) qui suivent la chronologie.
Si familières que soient pour le visiteur les œuvres des premières salles provenant de la période métaphysique (1910-1920), leurs significations n’en demeurent pas moins impénétrables et énigmatiques. Places désertes, sculptures, mannequins, objets détournés de leur fonction initiale constituent une iconographie mystérieuse, ne se pliant à aucune interprétation rationnelle. L’Enigme de l’heure (1911), l’Enigme d’un après-midi d’automne (1912), La Méditation matinale (1911/1912), ont en commun une rigoureuse clarté linéaire, la description de l’espace ne répond cependant plus aux lois de la perspective. Et comment comprendre ces fruits et objets ordinaires représentés de manière réaliste, mais détachés de tout contexte, que l’artiste insère dans ses toiles ?

Orientation stylistique
C’est en 1911 que De Chirico vient à Paris, après avoir passé plusieurs années à Munich, où il s’était inscrit à l’académie des beaux-arts, découvrant les écrits de Nietzsche et admirant l’œuvre de Böcklin auquel il rend hommage avec Combat des centaures (1909).
A son arrivée à Paris, l’atmosphère chaotique d’une ville en plein bouleversement industriel imprègne son œuvre, dont témoigne La Gare Montparnasse ou la mélancolie du départ (1914). Il rencontre aussi Apollinaire dont il peint le portrait en 1914, affublant un buste de lunettes noires pour recréer la figure antique du poète aveugle, seul capable de voir l’invisible.
En 1915, De Chirico rentre en Italie, cantonné à Ferrare de 1915 à 1917 lors de sa mobilisation, s’installant ensuite en 1918 à Rome. Il visite les musées et prône un retour à l’iconographie traditionnelle, insiste sur la nécessité d’étudier et de maîtriser les techniques picturales. Son Autoportrait (1922-1924) illustre cette nouvelle orientation stylistique dans laquelle le buste de marbre de l’artiste fait face au peintre vu des trois quarts dans une composition qui se réfère aux portraits de la Renaissance. C’est le mérite de l’exposition parisienne, d’oser montrer toutes ces copies issus des époques les plus diverses, de Lotto à Rubens, de Michel-Ange à Fragonard, de Titien à Courbet. Il se lance dans les déformations corporelles, faisant gicler la couleur comme dans les pires chromos, ce que Marx Ernst appelle « son œuvre patiente d’autodestruction » et qui a de quoi mettre mal à l’aise le visiteur.

Détournement
Toute une série d’autoportraits baroques en costume du XVII° siècle, en torero ou en peintre de la Renaissance (Portrait de l’artiste en costume rouge, 1942) nous semblent évidemment très kitsch, si l’on ne se souvient pas que cette manière de détourner l’œuvre est volontairement faite pour déranger. Mais De Chirico n’a cure du jugement des autres. A partir des années 1940, il persiste et signe. Il prend le contre-pied des idées reçues sur l’évolution linéaire de l’artiste et la notion du chef-d’œuvre, ouvre une nouvelle brèche, en multipliant les répliques de ses tableaux de la pittura metafisica.

Stratégie
Et si en 1950, certains voyaient dans ces duplicata d’œuvres, le talent qui s’épuise, d’autres comme Andy Warhol admire l’originalité de sa démarche : « j’adore son œuvre et cette façon de répéter les mêmes peintures encore et encore ». Pour l’artiste, cette duplication est une stratégie contre la fétichisation et la survalorisation de sa période métaphysique. Il entreprend un dialogue avec ses œuvres passées, d’où la dimension critique et ironique n’est jamais absente comme dans Le Retour d’Ulysse qui nous montre Ulysse ramant dans une barque échouée au milieu d’une chambre, métaphore de la posture du peintre.
Le fait que les tableaux de la seconde période ne sont pas dans les musées mais dispersées chez des collectionneurs, qui ont accepté exceptionnellement de les prêter pour l’exposition, est une raison suffisante de ne pas manquer cette première grande rétrospective.

Régine Kopp

« Giorgio De Chirico - La fabrique des rêves ».
Musée d’art moderne de la ville de Paris, 11 Avenue du Président Wilson (tous les jours, sauf lundi de 10h. à 18h.) jusqu’au 24 mai 2009.