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Grand Théâtre de Genève
Genève : “L’Histoire du soldat“

Dimitri et sa Troupe présentent l‘Histoire du soldat au Grand Théâtre de Genève.

Article mis en ligne le novembre 2009
dernière modification le 26 novembre 2009

par Philippe GIRARD

« On doit - je pense - toujours rire dans le cœur. Je voudrais mouvoir le cœur et l’esprit des gens. De leur voix devrait venir un sourire ou un rire. Comme celui des enfants, innocents et bien-intentionnés . » Dimitri

Quelques considérations, en marge de la représentation de l’Histoire du soldat de Ramuz et Strawinsky par la Compagnie DIMITRI au Grand Théâtre de Genève.

« L’Histoire du soldat » par Dimitri & sa Troupe

C’est un rire peut-être moins pur et enfantin qui dut retentir chez certains spectateurs bien pensants lors de la création de « l‘Histoire du soldat ». Tentons d’imaginer la stupéfaction des auditeurs de la première, le 18 septembre 1918 au Théâtre Municipal de Lausanne. Si la langue de Ramuz pouvait être relativement familière à certains, il en allait tout autrement de la musique de Strawinsky. Ce ne sont pas les quelques œuvres que le public suisse romand avait pu entendre à Montreux en 1914 puis à Genève grâce à Ernest Ansermet ou sous la direction du compositeur qui purent former l’oreille des mélomanes à ce langage si novateur. Le sujet abordé dut également troubler plus d’un spectateur. En cette cinquième année de la Grande Guerre, traiter d’un déserteur dont la conduite n’a rien de bien honorable, voilà qui contraste avec les grands spectacles patriotiques qui se montaient alors. Cette incompréhension est confirmée à la lecture de la majorité des critiques parues alors. Pourtant, cette Histoire véhicule une force et une cohérence qui se révèlera petit à petit à un public de plus en plus large. Les représentations de l’œuvre en français, dans le années quarante, permettront enfin de lui attribuer la place qu’elle mérite dans le répertoire. La traduction allemande, elle, aura conquis les salles germaniques et suisses alémaniques avec près de vingt ans d’avance.

Kaléidoscope
Reste la surprenante rencontre de ces deux créateurs. Il y a pourtant des liens intimes entre le propos du poète et celui du musicien. Si l’élégant compositeur de St Petersbourg se retrouve prisonnier de notre petit pays en raison de la guerre et surtout de la révolution bolchevique, il mettra à profit ce calme relatif pour poursuivre son travail. Il œuvre essentiellement à la partition de Noces qu’il ne terminera qu’en 1923. Le chemin parcouru entre le Sacre du printemps et ce dernier ballet ne peut se concevoir sans notre Histoire du soldat. De son côté, Ramuz, le « vigneron sans vigne » selon ses dires, avec Adieu à beaucoup de personnages et autres morceaux, réalise une sorte de bilan du chemin parcouru et jette les bases d’une nouvelle poétique. « Je vois que tout est séparé » constate-t-il. La réunification de ce monde morcelé va devenir sa préoccupation majeure ; délivrer le monde de la séparation, du temps et de la mort. On voit à quel point ce souci est sensible dans le traitement du conte d’Afanassiev qui sert de point de départ à l’Histoire du soldat. Constituée d’une succession de lectures et de scènes jouées, en une alternance sur laquelle le poète travailla longuement, le texte renvoie directement au formidable kaléidoscope musical que nous propose le compositeur. A la fois juxtaposition de pièces apparemment hétérogènes et construction savamment menée de cellules musicales combinable à l’infini.

« L’Histoire du soldat » par Dimitri & sa Troupe

Multiples lectures
Cette œuvre bientôt centenaire, comme tous les authentiques chefs-d’œuvre, se prête à de multiples lectures. Du petit Faust que certains y voient au spectacle de tréteaux fleurant bon le terroir, tout est possible. La discographie nous en donne quelques beaux exemples. Outre les enregistrements classiques de Charles Dutoit, Ernest Ansermet (live), Igor Markevitch parmi bien d’autres, il est particulièrement rafraîchissant de se plonger dans l’enregistrement, en anglais, dirigé par Kent Nagano ou celui, plus récent réalisé sous la conduite du violoniste Shlomo Mintz. En effet, que ce soit par l’effet de la distance imposée par la langue anglaise dans le premier ou du jeu très sobre de Gérard Depardieu (!) dans le second, nous appréhendons mieux les richesses d’une pièce qui n’a jamais fini de dévoiler ses secrets.

Philippe Girard

Les 5 et 7 novembre à 20h et le 8 novembre à 11h et 17h : « L’histoire du soldat » de Stravinski, Dimitri & sa Troupe m.e.s. Dimitri. Grand Théâtre (loc. 022/418.31.30)