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Stadttheater, Berne
Berne : Fin de saison mouvementée

Retour sur la fin de la saison lyrique bernoise.

Article mis en ligne le juin 2010
dernière modification le 28 juillet 2010

par Eric POUSAZ

Le programme des derniers mois de l’actuelle saison lyrique bernoise est dominé par trois productions qui ont fait des vagues : les parti pris esthétiques des metteurs en scène choisis ont agacé voire révolté le public alors que les distributions suscitaient
plutôt l’enthousiasme…

Une Finta giardiniera américaine
Transposer dans un far-west d’opérette l’univers bouffon de l’intrigue tarabiscotée de cet opéra mozartien tournant autour du crime présumé d’un Comte n’est peut-être pas la façon la plus évidente de rendre justice à la musique. L’opéra se joue dans le hall d’accueil d’un minable motel perdu dans la campagne américaine, entouré de pâturages où paissent des vaches que l’un ou l’autre des personnages abat froidement de son colt lorsque la soif de sang le tarabuste. Les entrées et sorties des sept personnages sont réglées au cordeau par Anna Dirckinck-Holmfeld mais semblent plutôt le fruit du hasard que d’une quelconque logique dramatique qu’il eût fallu réinventer pour l’occasion. Les gags, amusants au départ, font rapidement long feu et finissent même par ennuyer tant ils sont répétitifs. La distribution est composée des chanteurs de la petite troupe bernoise qui se tirent avec panache des situations les plus invraisemblables. Le soprano d’Hélène Le Corre est encore trop léger pour le rôle de Sandrina, mais elle s’investit avec un tel aplomb dans le personnage que la minceur du timbre s’oublie rapidement. En Comte Belfiore, le ténor Andries Clœte convainc par son jeu scénique impérieux autant que par son timbre riche en graves. Fabienne Jost est une Arminda envahissante, dont la voix chaleureuse fait idéalement contraste avec les accents pointus du soprano encore vert d’Anne-Florence Marbot.

« La Finta giardiniera »
Photo Philipp Zinniker

Dorian Keilhack dirige l’Orchestre Symphonique de Berne avec vigueur, mais ne parvient pas toujours à donner à son interprétation le poli instrumental que l’on attend d’une soirée mozartienne réussie : trop de couacs du côté des vents s’ajoutent à bon nombre d’entrées savonnées chez les cordes et finissent par gâcher le plaisir d’une soirée qui eût mérité un travail orchestral plus soigné. (Représentation du 14 avril)

Dialogues des carmélites en pleine société de consommation
Dès le lever du rideau, le décor d’Alain Rappaport et les costumes de Dagmar Fabisch frappent par leur laideur. Les nonnes vivent dans une thébaïde rocheuse à mi-chemin entre le Cervin et un amas de pierres sis au milieu du désert du Sinaï ; les costumes, eux, opposent les habits jaune-orange des nonnes aux tenues de ski très trend de révolutionnaires affublés de couvre-chefs jaune-citron (une version moderne des bonnets phrygiens ?). Dans sa mise en scène, Bernd Mottl entend mettre en opposition la recherche effrénée du plaisir par les distractions bon marché et les achats compulsifs des ‘révolutionnaires’ que nous sommes devenus aujourd’hui et la quête spirituelle d’une petite minorité qui ne se satisfait pas d’un mode de vie axé essentiellement sur la consommation. La traduction scénique de cette idée, qui n’est d’ailleurs pas sans intérêt, se veut avant tout repoussante par sa laideur, mais – la question reste posée - peut-on rendre ‘beau’ le sanguinaire livret de Bernanos mis en musique par Poulenc ?

« Dialogues des Carmélites »
Photo Annette Boutellier

Musicalement, la troupe se montre à la hauteur de ces rôles difficiles, même si le chef a tendance à confondre la musique de Poulenc avec celle de Puccini avec ses déferlements de décibels qui sortent d’une fosse où les instrumentistes paraissent tout de même en meilleure forme que le soir précédent. Rachel Harnisch est une Blanche rayonnante, aux aigus ronds et presque sensuels dont le jeu scénique, d’une troublante véracité, fait partager au spectateur les angoisses existentielles qui l’habitent. Hélène Le Corre en Sœur Constance ne le lui cède en rien avec un chant plus anguleux, mais parfaitement adapté à ce personnage ouvertement capricieux. Claude Eichenberger est un Mère Marie de l’Incarnation qui impressionne par la retenue autant que par la dignité de son chant) et Ursula Füri-Bernhard une Madame de Croissy aux débordements vocaux impressionnants dans une scène d’agonie qui fait froid dans le dos. Le reste de la distribution convainc aussi, mais sans toujours parvenir à transmettre ce degré d’exaltation qui rend sensible l’affrontement entre deux conceptions opposées du monde. (Représentation du 15 avril)

Un Eugène Onéguine exhibitionniste
Changement d’atmosphère avec cet Eugène Onéguine que Constantin Chilovski fait jouer dans une salle du Conservatoire de Moscou (pour les élèves duquel le compositeur a d’ailleurs écrit son ouvrage). A l’intrigue de Pouchkine, le metteur en scène superpose celles qui se nouent entre les élèves de l’institution et qui font écho aux péripéties du livret. A un couple de jeunes homosexuels qui fait immédiatement référence à l’attirance d’Onéguine pour Lenski, s’ajoutent diverses combinaisons amoureuses de partenaires mal assortis qui se font et se défont au gré d’une soirée musicale propice à l’échangisme. On peut certes sourire à cette superposition d’intentions qui ne rendent pas très claire l’intrigue principale avec ses constants dédoublements de personnes, mais l’intelligence du propos ne saurait être niée ici et il faut savoir gré à ce spectacle de mettre crûment en lumière les non-dits qui abondent dans cet opéra, même s’il faut aller jusqu’à supporter un Onéguine qui se promène la poitrine dénudée dans les salons du Prince Grémine.

« Eugène Onéguine »
Photo Annette Boutellier

Sous la direction de Dorian Keilhack, l’orchestre joue de nouveau très fort et tend à noyer les raffinements d’une écriture magnifiquement variée sous les coups de boutoir d’inutiles effets instrumentaux mal gérés, car réalisés par des musiciens distraits ou malhabiles.
Le rôle titre échoit à un chanteur tout simplement parfait : Robin Adams, doté d’un physique avantageux, y fait une démonstration de chant habité et signifiant jusque dans ses moindres inflexions ; il a certes encore tendance à abuser de la puissance d’un timbre sain et sonore mais ne saurait rester encore longtemps ignoré des grandes scènes lyriques. Il en va de même pour le Lenski idéal de Peter Wedd qui joue avec subtilité d’une émission large et pourtant souple capable des plus impalpables pianissimi sans perte de rayonnement vocal. Tamara Alexeeva et Natasa Jovic ont toutes les qualités et les défauts des chanteuses formées à l’Est : le vibrato est large et pas toujours maîtrisé, les arêtes vives de l’aigu deviennent vite agressives, mais la générosité et le mordant de leur interprétation font toujours mouche dans ce type de répertoire. Bon Grémine de Carlos Esquivel, excellent Triquet de Andries Clœte, mais rien à signaler de particulier du côté des autres comparses qui paraissent systématiquement noyés par l’orchestre. (Représentation du 17 avril)

Eric Pousaz