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Stadttheater, Berne
Berne : “Der göttliche Tivoli“

L’un des spectacles de l’ouverture de saison est d’un intérêt artistique incontournable.

Article mis en ligne le novembre 2008
dernière modification le 4 décembre 2008

par Jacques SCHMITT

Avec, depuis mi-septembre, trois spectacles d’opéra aux fortunes artistiques diverses, le Stadttheater de Berne démarre sa nouvelle saison lyrique sur les
chapeaux de roues.

Si Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach rassemblent les suffrages du public et de la critique autour de la mise en scène, la prestation vocale s’avère malheureusement d’une qualité plus discutable. A l’opposé, dans La Chauve-Souris de Johann Strauss, une mise en scène incohérente plombe une distribution vocale de très bon niveau. Mais c’est Der göttliche Tivoli de Per Nørgård qui s’avère le spectacle d’un intérêt artistique incontournable.

Voyage au centre de la schizophrénie
Né en 1932, le compositeur danois Per Nørgård s’est passionné pour la vie et l’œuvre d’Adolf Wölfi. Orphelin à dix ans, fils d’un père alcoolique qui devait mourir de delirium tremens et d’une mère qui le suivra peu de temps après, Adolf Wölfi se débat dans une vie rurale sans charme, sans amour ni pitié. Repoussé par tous, en proie aux déboires amoureux qu’il peine à gérer, son immaturité mentale l’entraîne vers la pédophilie. Arrêté, emprisonné pour plusieurs années à l’âge de 26 ans, il récidive à peine libéré. Cinq ans plus tard, il sera interné dans un asile psychiatrique des alentours de Berne où il restera jusqu’à sa mort en 1930, composant de la musique, un énorme livre et de très nombreuses peintures. Une œuvre gigantesque qui lui vaut aujourd’hui d’être reconnu dans le monde de l’art brut comme un « génie fou ».

« Der göttliche Tivoli » de Per Nørgård

S’inspirant des 25’000 pages (un livre de deux mètres cinquante !) écrites et des peintures exécutées par son héros durant les quelque trente ans d’internement, Nørgård retrace avec force percussions, cris et bruits divers, les affres du dérangement mental qui assaille à tous instants l’esprit de son héros malheureux dans ce voyage au centre de la schizophrénie. 
Dans sa mise en scène, Sandra Leupold s’attache à décrire la déconstruction mentale d’Adolf Wölfi constamment cerné par ses démons intérieurs. Si dans le premier acte, elle le montre subissant une réalité familiale qu’il ne saisit pas, alors qu’autour de lui déjà gravitent ses doubles, le second acte le voit dans un monde de créativité artistique détaché des objets de la vie quotidienne tentant désespérément d’éloigner l’assaut de ses projections délirantes. Ainsi, Adolf Wölfi assiste sans relâche à son enfance et à son adolescence, sous la forme de deux enfants et de deux jeunes adultes qui, comme des sosies, lui offre l’écho de sa propre vie, lui rappelant ses fantasmes, ses actes et ses dires passés.

Engagement
Profitant de la distribution identique à celle qui créa cet opéra sur la scène de l’opéra de Lübeck en mars 2007, la production bernoise bénéficie de l’extraordinaire engagement de l’équipe des chanteurs et des percussionnistes (dont les instruments s’étendent sur toute la surface de la fosse). Si d’emblée le solo de batterie en guise d’ouverture agresse le spectateur, peu à peu l’oreille se plie à la brutalité des percussions parce qu’il n’est d’autres musiques capables de décrire les tortures mentales. Parler de chant au sens que l’on donne généralement à l’opéra ne s’applique guère à cette œuvre. Certes, il faut savoir chanter pour que les voix des uns couvrent ou ne couvrent pas celles des autres dans cette partition à l’écriture musicale complexe. Reste néanmoins très difficile d’apprécier une voix au sens strict de l’expression vocale. Comment exprimer les tourments d’un esprit aussi perturbé que celui d’Adolf Wölfi sans entendre le martèlement continuel d’un tambour, l’excès vocal des mots qu’on reçoit sans en comprendre la signification ? Aussi se bornera-t-on à relever l’admirable engagement artistique des protagonistes qui s’immergent sans compter dans cet immense défi théâtral qui s’articule dans l’esprit du théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud. Un spectacle où les chanteurs (formidable Hubert Wild) s’investissent totalement dans les jaillissements de la confusion mentale qui règne dans la tête d’Adolf Wölfi.
Si l’entracte donne à quelques-uns l’occasion de fuir la réalité de cette intenable souffrance humaine, elle prouve bien qu’on ne reste pas indifférent à un spectacle d’une aussi grande force.

Jacques Schmitt

Prochaines représentations : les 9 et 15 novembre 2008
http://www.stadttheaterbern.ch