Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Concerts-Club, Genève
Genève : Maestro avec conviction(s)

Fin octobre, Roger Norrington dirigera l’Orchestre Symphonique de la Radio de Stuttgart. Portrait.

Article mis en ligne le octobre 2008
dernière modification le 28 octobre 2008

par Beata ZAKES

Si « Britannique » rime avec « excentrique », Roger Norrington en est un
parfait exemple. Plus encore, à un parcours peu commun, ce personnage ajoute une touche carrément donquichottesque : son combat pour une musique « authentique », pour un son pur, non dénaturé par le vibrato.

Ayant grandi dans un environnement familial très favorable (ses parents, chanteurs amateurs, se sont rencontrés lors des répétitions d’une représentation de « Gilbert et Sullivan », ndlr), le jeune Roger a avant tout développé sa voix, tout en pratiquant le violon. L’enfant a chanté comme soprano dans les célèbres chœurs des garçons, pour ensuite se muer en ténor. Jusqu’à l’âge de 28 ans, il était persuadé qu’il poursuivrait la tradition familiale : s’adonner à la musique durant son temps libre, comme un plaisir et un loisir. Les débuts de sa carrière professionnelle le rapprochaient de son père, vice-recteur de la réputée Université d’Oxford. En effet, il a décroché son premier travail « sérieux » au sein des éditions universitaires « Oxford University Press », en tant que chargé des publications religieuses. On l’a même envoyé en Afrique pour s’occuper de la promotion !

Sir Roger Norrington

Mais, en même temps, sa découverte du monde de la musique s’est approfondie et élargie : Comme choriste ou musicien d’orchestre, Roger Norrington a eu la chance de rencontrer et d’observer à l’œuvre de grands chefs, comme Colin Davis, Carlo Giulini ou encore Wilhelm Furtwängler. Une découverte change son parcours au début des années 60 : passionné de musique ancienne, il « tombe » sur les partitions d’un compositeur allemand du XVIIe, à l’époque peu connu, Heinrich Schütz. Il décide de créer une chorale, pour pratiquer cette musique « entre amis ». Le premier concert est un succès, à tel point qu’on lui propose une place au Royal College of Music, sans que le jeune directeur n’ait à passer un seul examen ! De cette période, l’artiste parle encore avec un certain émerveillement : « C’était extraordinaire de poursuivre les études, sans avoir le poids des évaluations sur les épaules. Je suis un chef qui ne possède même pas un diplôme de flûte à bec ! Cela m’étonne moi-même ! » La passion pour la musique reste une affaire de famille : Kay Lawrence, sa seconde femme, est chorégraphe ; ensemble ils ont collaboré à des projets d’opéra ; leur fils, Tom, lié au prestigieux Collège d’Eton, poursuit la tradition du chant : il vient de débuter à Covent Garden dans une représentation de Pelléas et Mélisande.

Une énergie débordante
Roger Norrington s’est fait connaître comme interprète de musique baroque, dans un style bien propre et bien spécifique. Enregistrée entre 1986-88, sa première intégrale des symphonies de Beethoven, à la tête de « son » ensemble, les London Classical Players créé en 1978, lui a valu beaucoup de commentaires, aussi bien positifs qu’indignés. Dans sa conception prime « le retour à l’authenticité », non seulement à travers l’emploi d’instruments d’époque, mais aussi grâce à l’application de tempi très relevés (que certains estiment carrément « impraticables ») et à l’abandon total du vibrato. Devenu en 1998 directeur principal de l’Orchestre Symphonique de la Radio de Stuttgart, le chef reste fidèle à ses idées, tout en travaillant avec des instruments modernes, persuadé de s’approcher ainsi des souhaits des compositeurs. Le maestro poursuit courageusement sa carrière, en parallèle avec son combat pour la santé, car dans les années 90, on lui a diagnostiqué un cancer de peau et une tumeur de cerveau. « J’ai la chance d’avoir un excellent médecin à New York. Grâce à son aide et à une centaine de pilules qu’il me fait avaler chaque jour, je ne sens aucune douleur. Et puis, la musique, c’est la meilleure thérapie. C’est mon énergie ! » Le musicien travaille et se renouvelle sans cesse : dernièrement il a même accepté de présider le jury dans un « reality show » produit par la BBC 2. Le but du programme, intitulé « Maestro », est de sélectionner parmi huit candidats, tous « amateurs passionnés par la musique classique », celui qui aura le privilège de diriger l’Orchestre de la BBC, le 13 septembre à Hyde Park.

La guerre contre le vibrato
« Le vibrato peut avoir un effet étonnamment destructif pour l’expression orchestrale. C’est une sorte de chauffage central acoustique » affirme le maestro, tout en admettant qu’il peut être essentiel, par exemple, dans le jazz. « Les orchestres symphoniques, en règle générale, n’ont commencé à utiliser cette technique qu’à partir des années 1930. C’était une mode, comme la cigarette, qui est devenue populaire pratiquement en même temps. De moins en moins gens fument de nos jours, il y a donc des chances que le vibrato disparaisse aussi ! Imaginez seulement, un monde sans vibrato ! »
Après Beethoven, Haydn, Mozart ou Mahler dépouillés du tremblement des cordes, Roger Norrington essaie à présent de s’attaquer aux symboles nationaux ! Son interprétation de la Première Symphonie d’Elgar (composée en 1908) aux célèbres « Proms » a suscité une grande polémique cet été. Alors que le maestro pense enfin arriver à un parfait équilibre sonore, « en faisant de sorte que les instruments se marient véritablement », nombreux sont ses confrères à crier au sacrilège : « Entendre cette musique romantique jouée sans aucun vibrato a déchiré mon coeur. Norrington appelle cela “une approche nouvelle et fraîche”, mais vous pouvez étiqueter n’importe quoi de “frais” et c’est quand même dégoûtant », a affirmé Raymond Cohen, professeur au Royal College of Music. Au moment de la rédaction de cet article, Roger Norrington s’apprête à clore cette édition des Proms en dirigeant la Dernière Nuit, dont le programme inclut les indispensables « Pomp et Circumstance » d’Elgar. Alors que les mélomanes traditionalistes tremblent, les curieux attendent ce moment avec impatience. Une chose est sûre, à Genève, comme à Londres, Sir Roger fera vibrer nos âmes, à défaut de faire vibrer les cordes des violons...

Beata Zakes

Concerts-Club, le 31 octobre à 20h30. Victoria Hall à Genève (loc. SCM 022/319.61.11)

Discographie sélective :
Chez Virgin : intégrale des symphonies de Beethoven avec London Classical Players. + intégrale des Concertos pour piano de Beethoven, avec Melvyn Tan. / Chez EMI Classics : « The Fairy Queen » de Purcell, avec London Classical Players. / Chez Haenssler : intégrale des symphonies de Beethoven avec L’Orchestre Symphonique de la Radio de Stuttgart.