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De passage à Genève
Entretien : Jean-Guihen Queyras

Rencontre avec Jean-Guihen Queyras, un musicien à l’archet nomade.

Article mis en ligne le mai 2008
dernière modification le 13 juin 2008

par Beata ZAKES

Le 3 juin 2008, le violoncelliste français se produira avec l’Orchestre de Chambre de Genève, sous la baguette d’Arie van Beek. Rencontre avec un musicien qui reconstitue avec passion son propre « puzzle musical ».

Vous vous sentez à l’aise aussi bien dans le répertoire très moderne (créations de concertos d’Ivan Fedele, Gilbert Amy et plus récemment ceux de Bruno Mantovani et de Philippe Schoeller), que dans la musique ancienne (Suites pour violoncelle de Bach), sans oublier votre intérêt pour la musique traditionnelle du Bassin Méditerranéen. D’où vous vient cet « éclectisme musical » ?
Cet éclectisme vient de deux facteurs principaux : tout d’abord une inclination personnelle, presque « génétique » ; j’ai toujours été fasciné par la découverte de nouveaux langages ; j’ai toujours trouvé passionnant de recevoir une partition sur laquelle il y a des notes, voire des signes, qui ne sont pas des notes et qu’il faut déchiffrer. J’ai eu la chance d’avoir une enseignante très ouverte, Madame Reine Flachot, qui, lorsque j’avais 14 ans, m’a fait jouer le concerto de Dutilleux... Le deuxième facteur, c’est mon histoire personnelle, mes voyages, mon vécu. Je suis né au Canada, ensuite j’ai suivi mes parents en Algérie, à huit ans je me suis retrouvé dans le Sud de la France, à treize j’étais à Lyon, pour poursuivre mes études. Dès mon enfance, je baignais dans le monde de la musique. Sans être musiciens, mes parents étaient de grands mélomanes : ils possédaient des collections entières d’enregistrements de Kuijken ou de Harnoncourt. Il y avait aussi la musique arabe, que j’ai entendue en Algérie... Dans chacun de mes récitals, j’essaie de trouver les similitudes dans la forme entre différents genres de musique, de rechercher des ponts...

Jean-Guihen Queyras
© Yoshinori Mido

Avez-vous déjà pensé à intégrer dans votre répertoire le jazz, comme d’autres musiciens classiques (Yo-Yo Ma) ?
Non, j’ai plutôt besoin de reconstruire mon puzzle à moi... Mon cross-over personnel se situe autour de la Méditerranée... Par exemple, j’ai rencontré les frères Chemirani, maîtres du zarb, avec lesquels j’ai toujours aimé improviser autour des thèmes de musique orientale, grecque, par exemple.

Instrument moderne ou un violoncelle d’époque ? Comment faites-vous le choix ?
Quand j’étais étudiant, je jouais sur des instruments modernes. En fait, l’occasion de m’intéresser professionnellement aux instruments d’époque s’est présentée autour de mes trente ans. J’ai alors rencontré des baroqueux, comme les musiciens du Freiburger Barockorchester ou Andreas Staier. A vrai dire, j’ai un plaisir égal à jouer sur les deux types de violoncelles, je fais mes choix plutôt en fonction du compositeur et des œuvres à interpréter. Je pense que Bach, par exemple, sonne aussi bien sur un instrument moderne que sur celui d’époque. J’ai toujours un plaisir égal à l’entendre exécuté sur un clavecin ou un piano. Par contre, jouer Haydn sur les cordes en boyau apporte quelque chose : une dynamique particulière, un autre grain de son. Parfois le choix est imposé par des paramètres techniques : la célèbre 6e suite de Bach, pour le violoncelle piccolo, je l’ai interprétée sur un instrument moderne à 4 cordes, accordé à propos.

Vous allez vous produire à Genève. Quels contacts avez-vous avec les musiciens suisses ?
Je connais très bien Emmanuel Pahud, c’est quelqu’un tellement complet ! Et un très fidèle ami. J’ai eu récemment le plaisir de retrouver le compositeur Michael Jarell, dont l’univers, fort poétique, est très proche de Schubert... Il y en a beaucoup d’autres, mais il est difficile d’évoquer toutes les collaborations...

Vous avez été dernièrement distingué par les Victoires de la Musique Classique dans la catégorie « soliste instrumental ». Quels projets de tournées, d’enregistrement avez-vous pour les prochains mois ?
Je viens d’achever un enregistrement en duo, avec Alexandre Tharaud. Il s’agit d’une confrontation musicale entre Debussy et Poulenc, deux compositeurs représentant le même pays et la même époque, mais qui avaient deux regards complètement différents sur la musique française. Le disque sortira en automne. Bien évidemment, mon agenda est assez chargé, mais il y a parfois des imprévus, comme récemment à Amsterdam, où j’ai accepté de remplacer, au pied levé, un collègue qui devait interpréter le concerto de Dvorak avec le Budapest Festival Orchestra et Adam Fischer. Cela faisait longtemps que je souhaitais rencontrer ces musiciens. La culture hongroise, et surtout la musique hongroise, m’a toujours attiré. J’ai beaucoup d’admiration pour leurs compositeurs, comme Kurtag, et leurs interprètes, notamment Miklós Perény. Il n’y a pas dans cet univers un seul artiste superficiel... Lors de cette rencontre nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour parler de la musique hongroise, mais c’est peut-être le début d’une prochaine collaboration ?

Propos recueillis par Beata Zakes

Concert du 3 juin. Bâtiment des Forces motrices, à 20h30. « La Symphonie de Feu » (Haydn, Stravinsky, Dvorak, Bach, Schumann).
Rens. et rés. www.locg.ch/abo.php ou tél. 022 807 17 96

Disques disponibles chez Harmonia Mundi (« Suites » de Bach, « Quatuor à cordes » de Bartók, avec Quatuor Arcanto, « Concertos » de Haydn, « Suites pour violoncelle solo » de Britten, Oeuvres de Kodaly, Kurtag, Veress), Deutsche Grammophon (enregistrement sous la baguette de Pierre Boulez), EMI Classics (« Quatuors pour flûte et cordes » de Mozart, avec E. Pahud).