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Kunsthaus Zurich
Zurich : « Le Feu Baroque »

A ne pas manquer !

Article mis en ligne le 28 janvier 2022
dernière modification le 9 mars 2022

par Vinciane Vuilleumier

Le Kunsthaus de Zürich présente jusqu’au début du mois de mars, et pour la première fois dans le monde germanophone, l’œuvre graphique d’une figure un peu oubliée par l’histoire, le génois Giovanni Benedetto Castiglione.

Le Feu Baroque présente une sélection de quelques 80 œuvres sur papier, réunies grâce à la générosité de nombreux prêteurs – du Cabinet des estampes de Vevey à Sa Majesté la reine d’Angleterre – ainsi qu’un tableau à l’huile qui sait faire mouche dans l’espace de l’exposition.

Fraîcheur du geste
Castiglione, surnommé à son époque Il Grechetto, mais aussi « second Rembrandt », est un peintre et graveur génois (1609-1664) qui a su se démarquer, entre autres, grâce à la virtuosité de ses dessins, croqués sur papier au pinceau et à l’huile, et de ses estampes. Comme son contemporain du Nord et rival en eau-forte, il a une fraîcheur du geste, une facilité de composition, et surtout une curiosité insatiable qui le fait explorer et explorer encore les sujets qu’il affectionne tout particulièrement : l’Arche de Noé, pour l’histoire sainte, et le festin de Circé, pour la mythologie, en sont deux exemples.

Cette technique originale du dessin à l’huile est d’abord popularisée par les peintres flamands Van Dyck et Rubens, qui traçaient leurs dessins sur des panneaux de bois légèrement apprêtés. Castiglione reprend l’idée et approfondit d’une feuille à l’autre une pratique qui lui permet de déployer toutes les richesses expressives du pinceau et de l’huile, jouant avec la saturation par dilution dans l’huile de lin. Traits secs, empâtements saturés, touches en lavis de ce brun-rouge signature – le génois esquisse d’une main rapide des compositions à plusieurs personnages, scènes saintes de voyage ou épisodes des Métamorphoses d’Ovide, où les nuances apportées au médium lui permettent d’éclairer l’action par la gamme des valeurs.
Point d’orgue à ces œuvres vives, un pan de ciel bleu souvent vient détacher les personnages du fond et offrir aux compositions l’harmonie d’un contraste de couleur. Comme Rembrandt lorsqu’il compose des scènes de l’histoire sainte, les dessins à l’huile de Castiglione ont le statut d’œuvres autonomes – les explorations inlassables ne sont pas des études subordonnées anticipant la réalisation d’un tableau. Dans une très belle crucifixion datant des années 1650-55, le grain du papier où le pinceau dépose une touche presque sèche fait surgir derrière le Christ la rugosité de la Croix, les traits blancs illuminent le bras, les côtes et le pagne dans ce mouvement oblique et qui presque s’enroule, là où jaillit sans emphase le sang du flanc percé.

Explorateur, Castiglione l’est également dans le médium de l’eau-forte, et Rembrandt fait figure de modèle et de rival. Dès 1630, semble-t-il, le génois commence à étudier l’œuvre de son contemporain septentrional, et s’il s’inspire parfois d’un motif précis, comme le beau et sombre autoportrait en manteau et écharpe, il va bien plus saisir ensemble et digérer les leçons de l’œuvre comme un tout. Il s’approprie les tracés en zig-zag, les superpositions nombreuses qui font jaillir le noir – et s’il ne déploiera jamais dans sa pratique de l’eau-forte le noir si profond caractéristique de Rembrandt, il développera cependant une maîtrise du clair-obscur et un style bien reconnaissable.

Monotype
Le noir intense, le ténébrisme, il l’atteindra d’une autre manière, entièrement nouvelle : par le monotype. Seule technique d’impression originaire d’Italie, c’est bien Castiglione qui en fut l’inventeur autour de 1648. Étalant l’encre noire sur une plaque de cuivre, il esquisse à traits de lumière des compositions saisissantes. Sans gravure, la matrice ne produit qu’une estampe à pleines valeurs, mais l’exposition nous présente aussi l’apparence que peut prendre un deuxième tirage – la comparaison avec le premier nous montre à quel point les valeurs influencent et particularisent l’image.
Explorateur, inventeur, Castiglione a laissé derrière lui un œuvre graphique important, où les dessins à l’huile côtoient les estampes et les monotypes. Ces œuvres autonomes, des collectionneurs aussi célèbres que Tiepolo ou Fragonard se démenaient pour les acquérir, trouvant dans les périples visuels du génois ce que lui-même cherchait chez ses prédécesseurs et contemporains : des motifs à reprendre, à s’approprier, avec lesquels nourrir une invention nouvelle, encore inédite. Ce sera toujours pour l’artiste que l’art constituera la plus grande richesse, et Maurice Merleau-Ponty l’aura dit comme nul autre : « Pour peu qu’ils s’y prêtent, une peinture conservée et transmise développe dans ses héritiers une puissance de suscitation qui est sans proportion avec ce qu’elle est, non seulement comme morceau de toile peinte, mais même comme ouvrage doué par son créateur d’une signification définie. » (Signes, p. 110)

Vinciane Vuilleumier

Kunsthaus : Le feu baroque. Dessins et estampes de Giovanni Benedetto Castiglione. Jusqu’au 6 mars.