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En direct du Festival de Cannes
Entretien : Xavier Beauvois

Xavier Beauvois a séduit les professionnels comme les festivaliers avec son film Des hommes et des dieux.

Article mis en ligne le octobre 2010
dernière modification le 13 octobre 2010

par Firouz Elisabeth PILLET

Lauréat du Prix du jury en 1995 pour N’oublie pas que tu vas mourir, le Français Xavier Beauvois revient sur la Croisette avec Des hommes et des dieux, un film puissant et marquant dans lequel il est question d’amour fraternel entre les êtres humains. C’était aussi le dernier des trois longs métrages français en lice pour la Palme cannoise.

Xavier Beauvois a séduit les professionnels comme les festivaliers avec son film Des hommes et des dieux, avec Lambert Wilson, inspiré de l’assassinat en mars 1996 de sept moines trappistes à Tibhirine, dans l’Atlas algérien, enlevés de leur monastère isolé situé près de Medea, à une centaine de kilomètres au sud d’Alger. Des assassinats imputés à l’époque aux islamistes du GIA mais dont le dossier est réouvert alors que l’on parle d’une bavure de l’armée algérienne. Le réalisateur raconte comment lui et ses acteurs se sont imprégnés de la vie de ces moines trappistes. Rencontre sur La Croisette.

Xavier Beauvois

Désireux de rester hors de la controverse sur ce drame, Xavier Beauvois s’attache plus à dépeindre la vie austère d’une petite communauté cistercienne dévouée à la population locale, dans un monastère isolé situé dans les montagnes de l’Atlas. Son film, rythmé par les chants et les prières, immerge littéralement les spectateurs au sein de la communauté de ces Pères Blancs, contemplatifs, et dont le travail de la terre et l’harmonie avec la nature sont les piliers. Un univers paisible qui a surmonté les affres de la Guerre d’Indépendance mais sera brutalement perturbé par l’irruption de la violence dans la région, avec des assassinats imputés à des groupes islamistes et des représailles de l’armée.
 

Pourquoi avez-choisi de porter un tel sujet sur grand écran ? Et comment ?
Etienne Comar, producteur et ami, m’a envoyé le scénario sous un pseudonyme ; j’ai accepté de faire le film à condition de pouvoir tout réécrire. Ces moines sont un sujet de curiosité pour les autres, leur message est universel, ce sont des priants parmi des priants, des gens formidables. Serge est un tel exemple de tolérance, sans aucun prosélytisme. On apprend ainsi ce qu’est une vie donnée par l’amour. Ces moines ont tellement donné aux autochtones.

Votre film traite le massacre des sept moines de manière elliptique. Comment vous êtes-vous préparé ?
Quand on prétend déplacer les gens au cinéma, il est primordial de se documenter, de s’immerger dans le milieu que l’on filme. J’ai fait une retraite à l’Abbaye de Tamié, en Savoie, près d’Alberville, tout comme les acteurs ; je me suis documenté, ai lu les ouvrages de Christian de Chergé. J’ai essayé d’imaginer une petite souris qui observe les moines depuis un coin du monastère. Je ne m’intéresse ni à l’enquête ni au meurtre mais à la vie des moines durant les quelques mois qui précédent la tragédie. Je m’intéresse aux frères. D’autres gens se chargent de savoir comment ils sont morts. Plutôt que leur mort, je souhaitais montrer leur vie, leur intégration auprès des Algériens, leurs convictions et leurs doutes.

Lambert Wilson dans « Des Hommes et des Dieux » de Xavier Beauvois

Comment le tournage s’est-il déroulé ?
Je n’ai jamais fait un film aussi intéressant au niveau de la direction d’acteurs. Je souhaitais montrer qui étaient ces moines trappistes. Au fil du tournage, nous nous sommes sentis habités par eux. Je ne suis pas spécialement croyant mais on sentait une réelle présence parmi nous. On a eu de petits miracles sur le tournage. J’ai rencontré Frère Jean-Pierre, le dernier survivant. J’ai suivi le rythme des frères et c’est un mode de vie éprouvant ; sept offices par jour, et cela dès quatre heures du matin, ils prient pendant une heure et demi. Grâce aux survivants, on a découvert qu’ils étaient très aimés des autochtones, ils servaient de marabouts, conseillaient les gens. C’est une vie de partage. Chaque acteur fouinait et faisait des recherches sur le moine qu’il interprétait.

Le paysage est sublime mais on imagine que vous n’avez pas pu tourner en Algérie vu la réouverture du dossier ; où avez-vu tourné ?
On a tourné dans un pays au paysage fabuleux, au Maroc où les gens nous ont extrêmement bien accueillis. Nous étions dans le village d’Azrou près de Meknès, près de Fès. On a construit une église avec des Musulmans, tous ensemble. On a fait le ramadan, fêté l’Aïd. Les frères sont des contemplatifs, en harmonie avec la nature. L’accueil chaleureux que les Marocains nous ont réservé contrastait tellement avec les débats ridicules sur le port de la burqa qui agitaient la France au même moment ! Ces moines sont dans l’être, et non l’avoir ou le paraître. Dans une société égoïste, il est rare de voir des personnes s’intéresser aux autres, en l’occurrence aux musulmans. Les moines vivaient en symbiose avec la nature, d’où l’importance des paysages. Personnellement, j’aime m’asseoir et contempler des paysages, je voulais donc rendre la dimension contemplative de la vie des moines.

« Des hommes et des dieux » de Xavier Beauvois

Votre film traite le massacre des sept moines de manière elliptique mais on sent la montée de la peur, la menace…
On connaît malheureusement l’issue tragique des moines de Tihbirine. Ce qui m’intéressait, c’était de comprendre leur choix de rester malgré les nombreuses incitations à partir. Leur vie est déjà donnée à Dieu. Le fait de rester en Algérie, malgré les menaces terroristes, fait partie de leur choix de vie.

Le temps n’est pas compressible dans votre film, d’où le fait que vous suiviez le rythme de la vie monacale ?
Si le film peut apporter un certain message, c’est grâce au personnage qu’interprète Lambert, Christian, qui avait une passion pour l’Algérie et son peuple. Il recherchait un langage universel qui réunisse tous les gens, quelles que soient leur confession, leur origine, leur culture.

A la soirée de clôture, à Cannes, Salma Hayek a annoncé le Grand Prix en disant que ce prix change la vie de celui qui le reçoit ; comment l’avez-vous vécu ?
Je croyais rêver. C’était tellement de bonheur de recevoir ce prix à Cannes. J’ai tout de suite pensé à mon équipe, j’ai pensé aux Marocains, des techniciens qui ont travaillé avec moi. J’ai eu des acteurs qu’on peut qualifier de Stradivarius. En travaillant sur ce film, nous sommes tombés amoureux de ces personnages et ce prix leur rend hommage.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet, Cannes 2010